lundi 24 août 2009

Critique 99 : DAREDEVIL par ED BRUBAKER et MICHAEL LARK (4/7)


DAREDEVIL : WITHOUT FEAR ;
(vol.2, #100-105) ;
(Octobre 2007-Avril 2008).

Piègé par son adversaire qui, grâce à un gaz faisant perdre la raison à qui l'inhale, Daredevil doit faire face à ses démons dans le 100ème épisode spécial qui ouvre ce volume. Des pans de son passé tourmenté et des figures connues viennent alors le hanter, ne lui permettant provisoirement plus la possibilité d'arrêter Lamont Cranston/Mr Fear.
La situation est d'autant plus dramatique que son épouse, Pour Milla, son épouse, a elle aussi été exposée au poison et a perdu la raison, tentant même d'assassiner, dans une crise de jalousie, Lily de Lucca.
Le plat n'est pas encore assez corsé pour vous ? Qu'à cela ne tienne ! Dans la coulisse, the Hood guette les agissements de Mr Fear et s'interroge sur ses ambitions alors qu'il fédére autour de lui les super-vilains de la ville.
Pour Matt Murdock/DD, le défi est double : en tant qu'avocat, avec l'aide de Foggy Nelson, il va devoir éviter la prison à sa femme ; en tant que justicier, il doit retrouver la trace de Fear et faire cesser ses exactions. Notre héros sent la peur l'assaillir, une peur familière - celle de voir mourir, encore une fois, un être cher (Milla aujourd'hui, comme Karen Page hier). Et celle de perdre le contrôle de lui-même.
Tout cela ne peut que mal finir - et effectivement, le dénouement sera effroyable car l'ennemi cherche moins à supprimer Daredevil qu'à le briser et casser un héros, c'est souvent d'abord s'en prendre aux êtres qui lui sont chers...

Depuis qu'il a succédé - et avec quel brio ! - à Bendis sur le titre, Ed Brubaker développe des intrigues non pas en arcs classiques de 6 épisodes, mais bien en 12 chapitres : c'est la marque d'un feuilletonniste aguerri soucieux de traiter en profondeur à la fois les tenants et aboutissants d'une histoire et le comportement de ses acteurs. C'est encore une fois le cas ici pour une saga qui atteint des sommets de crispation pour le lecteur et de tension dramatique pour le héros et son entourage.

Chaque grand auteur qui a écrit Daredevil a souligné le chemin de croix du personnage : le diable rouge d'Hell's Kitchen est un justicier marqué par la religion - sa mère est d'ailleurs apparue dans la robe d'une nonne (dans Born again) - et les épreuves - l'abandon par sa mère, la mort de son père, sa cécité, ses amours malheureuses, etc. Tout le destin de DD est contenu dans ces éléments-là : il est fait pour souffrir, chaque victoire s'accompagne d'une douleur, chaque avancée d'un sacrifice. Il est littéralement un damné.

Mais cette damnation s'accompagne d'un altruisme incroyable qui lui donne une noblesse : il s'est donné pour mission, lui, l'homme sans vue, le solitaire, celui qui a tant subi, de protéger les autres, son quartier, sa ville. Il le fait avec gravité : Daredevil, c'est l'anti-Spider-Man. Là où le Tisseur repart au combat en dissimulant ses doutes et ses peines derrière l'humour, voire l'insouciance de sa jeunesse, DD lutte sans plaisir mais avec acharnement, prêt à tout perdre si cela permet de gagner. Il a souvent gagné, mais beaucoup perdu.

La question que pose Brubaker dans ces deux arcs consécutifs que sont To the devil his due et Without fear, c'est : Daredevil peut-il se relever s'il risque de perdre ce qui forme sa devise, c'est-à-dire le fait qu'il n'a peur de rien ? Autrement dit, si l'homme sans peur connaît la peur, peut-il encore se battre et vaincre ?

Quoi de plus évident alors que de lui opposer un adversaire portant le nom de... Mister Fear - soit un ennemi dont l'arme est justement d'inoculer la peur. Affronter un parti comme celui-ci, c'est peut-être l'épreuve ultime, décisive, pour Daredevil. L'occasion de faire face à ce qu'il dit ignorer, dépasser même.

Dans Born again, Frank Miller faisait dire au Caïd, après qu'il eut brisé l'existence de Matt Murdock, que c'était une erreur de s'en prendre à lui ainsi car "un homme sans espoir est un homme sans peur".

Dans Sans peur, Ed Brubaker aborde le problème autrement : si Daredevil fait l'expérience de la peur - la peur de ne plus se maîtriser et la peur que ceux qu'il aime le plus souffrent par sa faute en étant visés par celui qu'il affronte - , peut-il surmonter cela, riposter et l'emporter malgré tout ? L'homme derrière le masque est-il assez ou plus fort que Daredevil ?

La "solution" que délivre le scénariste est terrible à plus d'un point : non seulement le héros va se trouver face à un ennemi qui n'a effectivement plus peur de rien, mais qui va le terrasser en le frappant de manière détournée, intime et durable (voire définitive). Sans déflorer l'issue du combat, c'est un échec cinglant qui attend notre justicier, qui, pardon pour le jeu de mots, n'a rien venir.

La grande qualité d'un auteur, et celle-ci rejaillit sur la BD qu'il écrit, est de savoir profiter de ce que l'artiste avec lequel il travaille peut apporter de plus à son script. En l'occurrence, Brubaker devait, en plus de mener cet arc à son terme, s'acquitter d'une tâche périlleuse sans qu'elle ait l'air d'un gadget commémoratif : faire du 100ème épisode du volume 2 du titre à la fois un évènement en soi et une étape mémorable de son histoire. Et il a profité de l'occasion pour se et nous faire plaisir tout en servant le récit.

Conviés pour l'occasion, quelques grands noms comme John Romita Sr, Alex Maleev, Lee Bermejo, Gene Colan ou encore Bill Sienkiewicz ont donc signé quelques pages de ce n° 100, plus long que d'habitude. Mais leur participation n'est pas qu'une fanfreluche tape-à-l'oeil : en effet, à ce moment-là, Daredevil, exposé au gaz anxiogène de Mr Fear, est pris d'hallucinations en relation avec son passé. Il revit alors des moments avec son père, la Veuve Noire, Elektra, Karen Page, à chaque fois illustrés par un des artistes précités : idée à la fois simple et ingénieuse qui nous donne des pages magnifiques.

Le reste du récit est dessiné par deux tandems : les "titulaires" Michael Lark et Stefano Gaudiano nous gratifient encore une fois de passages magnifiques, de véritables leçons de découpage et d'ambiance, qui se fondent admirablement avec ceux mis en images par la paire Paul Azaceta-Tom Palmer. C'est un exemple bluffant de collaboration entre deux équipes artistiques pour maintenir une unité esthétique à une série d'épisodes.

Enfin, un dernier point est à noter. D'habitude plutôt déconnectée du reste du Marvelverse, la série avec la présence de the Hood reprend contact avec la continuité récente puisque ce criminel est devenu une des Némésis des Nouveaux Vengeurs (auxquels DD refusa de s'intégrer) et rappelle quelle place il occupe dans la hiérarchie du banditisme que côtoie fréquemment le héros. Cela annonce-t-il une implication prochaine plus conséquente de Daredevil dans les évènements post-Secret Invasion ? Pas impossible - même si cela ne se traduira peut-être pas directement dans le titre régulier...

En tout cas, ce nouveau tome confirme tout le bien qu'on peut penser des arrivées de Brubaker et Lark sur la série : c'est noir, très noir, mais tellement bien fait. Comment peut-on faire la fine bouche devant ça ?

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