Fables : War and Pieces est le 11ème recueil de la série créée et écrite par Bill Willingham, rassemblant les épisodes 70 à 75, publiés en 2008 par DC Comics dans la collection Vertigo. Les dessins sont signés Niko Henrichon pour l'épisode 70 (Kingdom Come) et Mark Buckingham pour les épisodes suivants (#71-72 : Skulduggery et #73-75 : War and Pieces).
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- Kingdom Come (#70) : A la Ferme, à la veille du début de la guerre entre les Fables exilés et l'Empire, Boy Blue avoue à Rose Red (Rose Rouge) qu'il l'aime. Mais elle ne partage pas ses sentiments et préfère qu'ils restent amis. Boy Blue, déçu, rassemble alors les habitants de la Ferme pour leur faire part de l'offre émise par Flycatcher (Gobe-Mouche) de gagner son royaume de Haven pour ceux qui ne souhaite pas combattre. A Fabletown, les préparatifs de la guerre battent leur plein et la Belle apprend qu'elle est destituée de son poste d'adjointe au maire...
- Skuldugerry (#71-72) : La meilleure espionne des Fables exilés, qui doit aussi s'acquitter d'une dette envers Frau Totenkinder, est envoyée en mission en Terre de Feu, au Sud extrème de l'Amérique du Sud : Cinderella (Cendrillon) doit y récupérer Pinocchio et elle devra affronter plusieurs obstacles pour cela, dont Hansel mais aussi Rodney et June Greenwood, les espions de l'Adversaire...
- War and Pieces (#73-75 + Epilogue) : La guerre est déclarée sur trois fronts : le premier voit le vaisseau volant, la Gloire de Bagdad, détruire tous les portails entre l'Empire et la Terre, avec à sa tête le Prince Charmant (qui a rendu son poste de maire de Fabletown à King Cole) et Sinbad ; le deuxième se joue à Fort Bravo, la base tenue par Bigby Wolf (le grand méchant loup) et ses troupes pour protéger le haricot magique menant au royaume des nuages ; et enfin le troisième se situe au coeur même de la cité impériale où Briar Rose (la Belle au bois dormant) est infiltrée. Pour assurer le relais entre ces trois fronts, Boy Blue utilise la cape magique. Le dénouement comptera des pertes dans les deux camps opposés...
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Avec ce 11ème tome, Bill Willingham achève tout un pan de l'histoire de la série en concluant un cycle entamé au tout début : les Fables exilés des Royaumes ont déclaré la guerre à l'Adversaire et son Empire et cette fois, la victoire de l'un ou l'autre sera totale, définitive. March of the Wooden Soldiers (Fables 4) constituait le premier acte de cette lutte, puis Wolves (Fables 8) le deuxième. War and Pieces marque la fin de la partie.
Le titre de l'arc principal et du recueil fait évidemment allusion au roman de Léon Tolstoï, War and Peace (Guerre et Paix), publié entre 1865 et 1869, en jouant sur la sonorité similaire de "Peace" (la Paix) et de "Pieces" (les morceaux, les gravats, les décombres, bref le paysage désolé après la bataille). Et, de fait, autant prévenir tout de suite le lecteur, cette guerre-là aura ses morts et son lot de dévastation : ce n'est nullement une banale saga épique riche en explosions et combats divers, où la poussière finira cachée sous un tapis (fusse-t-il volant), mais un authentique récit où il ya des morts, du sang, des larmes et des dégats considérables dans chaque camp. Après War and Pieces, rien ne sera vraiment jamais plus comme avant dans Fables.
Le premier chapitre donne le ton : Boy Blue, amoureux de Rose Red, découvre qu'elle n'a pas les mêmes sentiments pour lui. C'est rempli d'amertume, déçu et humilié, que le jeune trompettiste part à la guerre, se moquant alors certainement d'y périr. Quand les manoeuvres seront engagées, Boy Blue sert de messager entre les diverses armées des Fables exilés et narre par le détail toutes les étapes du conflit, sur un ton qui n'incite pourtant pas à l'optimisme, quand bien même ses amis remportent des succès décisifs ou résistent vaillamment. Ce procédé - la relation distanciée de Boy Blue et le déroulement des actions - permet à Willingham de ménager habilement le suspense, le lecteur craignant jusqu'au bout sinon une issue défavorable aux héros en tout cas un sort funeste pour un ou plusieurs protagonistes. Ce segment est illustré par l'artiste canadien Niko Henrichon, dont la prestation sans être indigne est décevante par rapport à celle de son chef-d'oeuvre (Pride of Baghdad, écrit par Brian K. Vaughan).
Puis, on entre, si je puis dire, dans le vif du sujet. D'abord, avec le dyptique Skulduggery (tricherie, manigance) où l'on retrouve la super-espionne la plus sexy et implacable des Fables, Cinderella (Cendrillon). Ce prélude ultime à la guerre est mené tambour-battant, avec là encore un emploi épatant de la voix-off (par l'héroïne elle-même), commentant froidement sa mission tout en la menant avec une détermination sans failles. Pinocchio est au centre de cette intrigue où Hansel puis Rodney et June Greenwood mènent la vie dure à Cendrillon. Mark Buckingham (qui dédicace son travail sur cette partie à plusieurs de ses confrères qui l'ont inspiré : Duncan Fegredo, Charlie Adlard, Mike Oeming entre autres) découpe le script avec une redoutable efficacité, avec des planches très nerveuses, le plus souvent en 4 cases. C'est remarquable.
Mais, évidemment, le plat de résistance arrive avec les 4 chapitres de War and Pieces, soit 100 pages éblouissantes, où Willingham maintient une tension de chaque instant, alterne des séquences dans les trois sites principaux de la guerre (à bord de la Gloire de Bagdad dans le ciel de l'Empire, à Fort Bravo, dans la cité impériale) et enchaîne les morceaux de bravoure. Des séquences comme la charge des dragons, l'endormissement et l'envahissement végétal de la cité impériale, le duel entre l'Adversaire et Bigby Wolf, le sacrifice du Prince Charmant bénéficient des meilleures planches de Buckingham, qui utilise abondamment un découpage inattendu composé de cases verticales comme des volets sur des doubles-pages qui parfois éclatent pour devenir des fresques dignes de Kirby : magistral !
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Pour agrémenter royalement cet album exceptionnel, des bonus sont servis comme digestif : d'abord une postface par Willingham, qui promet qu'il a encore bien des choses à raconter avec les Fables ; ensuite un sketchbook magnifique de Buckingham, où l'on découvre les designs de vaisseaux, accessoires et costumes pour cet arc ; et enfin une galerie de pin-ups réalisées par des fans prestigieux comme Eric Powell (The Goon), Kevin Nowlan (Batman), ou Darwyn Cooke (La Nouvelle Frontière).
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Après cette lecture jubilatoire, une pause s'impose. Mais bientôt, il sera temps de parler du nouvel acte des Fables...
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