Arrowsmith est une série en six épisodes écrite par Kurt Busiek et illustrée par Carlos Pacheco, publié par Wildstorm, une filiale de DC Comics, en 2003.
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L'histoire se déroule dans une réalité alternative : les Etats-Unis d'amérique s'y appellent les Etats-Unis de Columbia, la magie y a largement cours, et la première guerre mondiale voit s'affronter des soldats mais aussi des dragons, des sorciers, des vampires et tout un tas de créatures fantastiques.
Nous suivons l'initiation de Fletcher Arrowsmith, jeune homme idéaliste qui prend part à l'effort de guerre du côté des alliés, apprend les rudiments de la sorcellerie, découvre l'amour et combat l'ennemi Prussien.
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Arrowsmith est un merveilleux comic book, ce genre de bande dessinée où les auteurs sont au meilleur d'eux-mêmes en évoluant en dehors du registre des super-héros.
Les comics peuvent être un fabuleux médium pour ce type d'histoires fantastiques pour peu qu'on ait à faire à des créateurs de talent, à l'aise avec cet univers, ses codes, tout en étant capables de faire preuve d'originalité. C'est aussi l'occasion de se changer les idées tout en restant dans le domaine de l'extraordinaire.
La réussite d'Arrowsmith ne doit rien au hasard puisqu'il s'agit d'une oeuvre produite par deux grands artistes, d'un côté Kurt Busiek (qui a déjà exploré, quoique différemment, ce répertoire avec ses Conan) et de l'autre Carlos Pacheco : ce tandem a aussi signé une des meilleures histoires des Vengeurs, le classique Avengers Forever.
Arrowsmith joue sur un habile décalage avec l'Histoire que nous connaissons : la première guerre mondiale sert de contexte mais la magie y est couramment pratiquée et change donc la physionomie du conflit.
Arrowsmith joue sur un habile décalage avec l'Histoire que nous connaissons : la première guerre mondiale sert de contexte mais la magie y est couramment pratiquée et change donc la physionomie du conflit.
De la même manière, le monde décrit par Busiek et Pacheco détourne à peine la géographie du nôtre : l'Albion remplace l'Angleterre, la Gallia la France, la Lotharingia la Belgique et la Hollande et la Muscovy la Russie, unies contre la Prussia (Allemagne), Tyrolia-Hungary (Autriche-Hongrie) et l'Empire Ottoman.
Au centre de l'intrigue se trouve un héros auquel on peut facilement s'identifier en partageant ses rêves de justice puis ses doutes, un jeune "américain" du nom de Fletcher Arrowsmith qui s'engage comme volontaire dans cette unité d'élite aèrienne qui utilise des dragons pour les combats dans le ciel de l'Europe.
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Ces six épisodes doivent beaucoup au fabuleux dessin de l'espagnol Carlos Pacheco, qui produit des planches somptueuses quand il s'agit d'en mettre plein la vue, mais qui est également capable de la même excellence dans des scènes plus intimistes où son sens des expressions et de la gestuelle fait merveille.
Il y a là des séquences à couper le souffle, où on prend plaisir à s'arrêter, comme lorsque les trolls prussiens attaquent les lignes alliées dans les premières pages, jusqu'à la destruction de ce village ennemi par de gigantesques salamandres enflammées.
Mais, comme je l'ai dit plus haut, Pacheco est aussi bon lorsqu'il illustre des plages plus calmes, dessinant merveilleusement les émotions qui saisissent Fletcher, Grace, Rocky le colossal troll de pierre, et tous les seconds rôles.
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Busiek emploie tous les clichés de l'histoire de guerre, et c'est peut-être la seule faiblesse de la série si on veut se montrer difficile. Avec, par exemple, un film comme Il faut sauver le soldat Ryan de Spielberg, notre vision de ce genre de récit a considérablement évolué car nous avons compris qu'il n'y a aucune beauté dans la représentation de la guerre.
Dans un monde où la magie fait partie du tableau, il est donc encore plus délicat pour Busiek de nous convaincre de l'horreur de la guerre car la magie, le merveilleux qu'elle suggère, joue en quelque sorte contre le postulat anti-guerre du projet. Le lecteur est plus ébloui par les prodiges de la sorcellerie que dégoûté par ses ravages. Lorsque dans le 5ème épisode, les salamandres sont jetées sur le village prussien, c'est à la fois une référence explicite au bombardement de Dresde durant la guerre de 39-45, mais c'est surtout une séquence époustouflante, d'une beauté qui dépasse l'horreur qu'elle raconte. Bien que Busiek nous dise (et comment ne pas être d'accord ?) que la guerre, c'est l'enfer sur terre, il se piège en écrivant des scènes où nous sommes plus éblouis qu'accablés à cause de ces créatures magiques.
Néanmoins, ce qui confère à ce livre un intérêt supérieur à celui d'un divertissement esthétiquement épatant, c'est la manière dont Busiek emploie le genre fantastique comme métaphore. La première guerre mondiale est la période où le "monde moderne" fut créé. C'est aussi un conflit où la notion de "combat noble" a disparu, avec les tranchées, les attaques chimiques, le bombardements.
Ce que fait Busiek fait via l'angle magique de son histoire, c'est mettre en évidence la tension entre l'ancienne génération de soldats et la nouvelle. Fletcher "s'en-va-t-en-guerre" avec l'insouciance de sa jeunesse mais il est formé par des hommes qui ont déjà connu l'horreur des batailles (en premier lieu, le troll Rocky qui lui raconte comment il a dû quitter son pays et qu'il retrouvera plus tard), tout comme Grace Hilliard qui devient infirmière sans se douter que cette expérience va profondèment la bouleverser.
Ces jeunes gens ne douteront de la justesse de leur engagement et de leur lutte qu'après avoir fait l'expérience physique de la guerre. Mais c'est un voyage dont on ne revient pas indemne psychologiquement. La boîte de Pandore est ouverte, ceux qui auront fait face aux démons des champs de bataille resteront marqués à vie : c'est la fin de l'innocence. Le monde merveilleusement redessiné par la magie est en vérité dominé par l'horreur, la barbarie, la désillusion. Dans le feu de l'action, Fletcher voit (ou croit voir) les dieux se détourner des hommes à cause de leur folie.
Busiek est un auteur dont les oeuvres sont toujours empreintes de nostalgie et ici, cette affection pour le passé est encore plus manifeste dans la mesure où son propos est que ce qui a disparu avec le passage du monde à la modernité a cessé d'être pour toujours, en premier lieu un certain esprit chevaleresque. Pourtant, cette nostalgie n'est pas du passéisme dans la mesure où l'auteur ne nous dit pas qu' "avant c'était forcèment mieux" mais plutôt que le progrès n'améliore pas toujours la condition humaine. D'ailleurs, même après avoir beaucoup perdu en combattant, Fletcher n'a pas envie de rentrer chez lui. Il a compris qu'il devait dépasser sa douleur, ses regrets, ses remords. La magie et la guerre ont refaçonné le monde et Fletcher veut faire de ce monde un monde meilleur.
Busiek et Pacheco ont créé un univers où de grands évènements sont décrits du point de vue d'un homme ordinaire : c'est une histoire enchanteresse et touchante, pleine de dynamisme sur un thème pourtant dramatique (la nostalgie de l'innoncence perdue), un récit initiatique en forme de fable, un livre d'images mémorables. Mais au-delà de l'aventure, il y a surtout une réflexion élégante sur la guerre, le passé sur lequel elle naît et le futur qu'elle engendre.
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