mercredi 17 mars 2010

Critique 137 : GOTHAM CENTRAL - UNRESOLVED TARGETS, d'Ed Brubaker, Greg Rucka, Michael Lark et Stefano Gaudiano

Gotham Central : Unresolved Targets rassemblent les épisodes 12 à 15, écrits par Ed Brubaker et Greg Rucka, et 19 à 22, écrits par Ed Brubaker, de la série dessinée par Michael Lark et Stefano Gaudiano.
*
- Soft Targets (Gotham Central 12-15) raconte commnt les policiers de Gotham se trouvent dans la ligne de mire du Joker, engagé dans une série de meurtres. Le maire de la ville est assassiné et bientôt le criminel met en ligne sur Internet, grâce à des webcams, les sites qu'il vise. Un éprouvante guerre des nerfs commence alors qui trouvera son dénouement lorsque le Joker se rend aux autorités après avoir élaboré un plan diabolique aux conséquences dramatiques pour deux des membres du G.C.P.D..
- Unresolved (Gotham Central 19-22) relate comment un ancien dossier sur un meurtre collectif impliquant le Châpelier Fou est réouvert. Cette affaire est l'occasion pour le flic déchu, Harvey Bullock, d'être réhabilité car il suspecte le Pingouin d'en être le cerveau.
*
Les deux histoires contenues dans Unresolved Targets mettent en évidence les deux meilleurs aspects de Gotham Central, en réussissant à porter les qualités de la série plus haut encore que dans le volume 1 (In The Line Of Duty HC).
Dans le premier récit, Soft Targets, alors que le Joker sème la panique en ville, nous voyons comment la police de Gotham est constamment entre deux feux, au centre de batailles opposant Batman et ses ennemis les plus fous.
Ed Brubaker et Greg Rucka orchestrent cette partition avec un brio éblouissant : la tension de l'histoire ne faiblit jamais, l'atmosphère anxiogène est superbement restituée, à travers des scènes aux dialogues d'une prodigieuse habileté.
L'autre trouvaille richement exploitée est d'avoir situé cette course contre la montre en hiver, à l'époque des fêtes de Noël : le contraste entre la convivialité de cette période et l'épouvante qui s'abat sur les habitants et les forces de l'ordre donne lieu à des séquences mémorables d'une intensité électrique, comme lorsque les précautions des policiers se heurtent aux intérêts du nouveau maire, qui souhaite rassurer le public en organisant une arrestation aussi spectaculaire qu'inutile de fans du Joker.
La complémentarité de Brubaker, avec son art de bâtir des intrigues palpitantes et surprenantes, et de Rucka, avec le soin qu'il apporte à chaque personnage, leurs sentiments, leurs relations, font vraiment de Gotham Central un chef-d'oeuvre de la production DC de ces dix dernières années.
La seconde histoire, Unresolved, rédigée par le seul Brubaker, est d'une facture plus classique mais d'une puissance tout aussi remarquable : elle s'articule autour d'un motif typique de la "série noire", celui de la rédemption d'un flic que ses méthodes ont dans le passé conduit à son exclusion.
Harvey Bullock était mentionné dans In The Line Of The Duty, mais les raisons de sa disgrâce restaient nébuleuses : on les découvre ici, en même temps qu'un personnage inoubliable, à la carrure impressionnante et à la trajectoire empreinte d'un fatalisme digne des meilleurs romans de David Goodis.
Cet anti-héros renvoie aussi à l'autre figure qui hant la série sans presqu'y apparaître, l'ex-commissaire Jim Gordon, le fidèle allié de Batman (totalement absent lui de ces quatre chapitres) : avec Harvey Bullock, c'est une époque révolue du G.C.PD. qui est aussi évoquée, dont il ne reste quasiment plus rien - à peine ce passé conserve-t-il pour témoin Renee Montoya.
Brubaker se sert de cette différence éthique et générationnelle incarnée par Bullock pour souligner l'évolution du commissariat à travers la détective Josie MacDonald, jeune recrue qui ne comprend pas l'indulgence des anciens partenaires de ce flic déchu alors que, dans le même temps, ils se méfient de l'agent de la brigade scientifique Jim Corrigan, un modèle d'intégrité professionnelle selon elle.
Encore une fois, les personnages densifient l'intrigue et l'intrigue enrichissent les personnages : peu de comics exploitent aussi adroitement la narration, les enjeux dramatiques et ses acteurs, sans sacrifier aucun de ces trois éléments.
*
Michael Lark va aussi à partir de ces épisodes entamer une fructueuse collaboration avec l'encreur-finisseur Stefano Gaudiano : leur rencontre, qui a produit des planches magnifiques dans le récent run de Brubaker sur Daredevil, sonne déjà comme une évidence tant les deux artistes se complètent déjà à merveille.
On a peut-être affaire là au tandem qui sait aujourd'hui le mieux représenter ce qu'on pourrait appeler des "street-level stories", des récits urbains d'un réalisme saisissant : leur Gotham city est le développement de celle qu'avait cartographié David Mazzucchelli dans Batman : Year One, évoquant New York (comme le soulignait Lawrence Block dans la préface du volume 1) tout en lui donnant une identité visuelle unique.
Il faut aussi saluer avec quel talent ils dessinent l'abondant casting de la série (24 rôles listés dans le "who's who" ouvrant l'album) : chaque personnage, même celui qui ne fait qu'une brêve apparition, est dôté d'un physique, d'une allure, immédiatement reconnaissable, dont se dégage une humanité troublante. C'est aussi ainsi que la mort de certains d'entre eux devient un moment fort car le lecteur non seulement sait exactement qui est la victime mais a pu s'attacher à elle et mesure la vulnérabilité de ces "simples mortels" pris dans les conflits entre un justicier déguisé en chauve-souris et des psychopathes aussi excentriques qu'infâmes.
*
En se concentrant sur les épisodes de l'équipe formée par Brubaker-Rucka/Lark-Gaudiano, ce recueil softcover conserve sa cohérence esthétique et narrative. Mais surtout il confirme l'exceptionnelle excellence d'une oeuvre à (re)découvrir de toute urgence : oui, Gotham Central est vraiment un "masterwork" !

Aucun commentaire: