lundi 11 mai 2009

Critique 45 : WANTED, de Mark Millar et J.G. Jones

Wanted est une série en 6 chapitres, écrite en 2003 par Mark Millar et dessinée par J.G. Jones (plus le vétéran Dick Giordano pour quelques planches d'une séquence en flashback, publiée par Image Comics.
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Comme pour un autre de ses livres, Superman : Red Son, Millar a raconté que l'idée lui en était venue après s'être rappelé d'une anecdote survenue dans son adolescence : son frère aîné lui aurait raconté que les super-héros auraient disparu à la suite d'une gigantesque bataille contre leurs ennemis. Auteur chez DC Comics, Millar développe une histoire sur cette base en y intégrant la Socièté Secrète des Super-Vilains, mais l'éditeur refuse cette proposition - ce qui ne l'empêchera pas ensuite de produire des séries sur ce modèles (comme Villains United par exemple).
L'autre référence de Wanted est du côté du cinéma : les personnages s'inspirent physiquement clairement de vedettes comme le rappeur Eminem (pour Wesley) et les acteurs Halle Berry (pour The Fox), Tommy Lee Jones (pour The Killer), Steve Buscemi (pour Johnny-deux-bites) ou Christopher Lloyd (pour le Professeur Seltzer).
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En 1986, les super-vilains du monde entier décident de s'allier pour décimer les super-héros et imposer leur loi. Ils réécrivent ensuite les souvenirs de la population, effaçant toute trace de la situation qui précéda leur règne.
Le jeune Wesley Gibson
découvre que son père, qu'il n'a jamais connu, a été récemment assassiné et que celui-ci était reconnu comme le plus grand criminel sous le pseudonyme sans équivoque de "The Killer". Wesley apprend rapidement qu'il a hérité des dons paternels, une aptitude naturelle et hors du commun pour tuer et manier les armes, qui doivent en faire un successeur indiscutable.
Ces révèlations bouleversent l'existence de ce jeune homme jusqu'alors timoré, vivant avec une compagne infidèle, sous les ordres d'un patron qui le méprise. Entraîné par the Fox, une criminelle qui fut la maîtresse de son père, Wesley abandonne son existence minable pour accomplir son destin au sein de la Fraternité, l'organisation des plus grands malfrats de la terre. Il devient le nouveau Killer et le garde du corps officiel du savant professeur Solomon Seltzer, un des Cinq maîtres du monde.
Un autre de ces démoniaques leaders est Mister Rictus, qui souhaite que la Fraternité puisse agir en pleine lumière et qui aspire à diriger cet empire du mal. Lorsque ses requêtes sont rejetées, il déclenche alors une guerre des gangs en extrminant les troupes de ses acolytes, à commencer par celles de son rival déclaré, le Pr Seltzer.
Wesley et The Fox ripostent tout aussi violemment jusqu'à ce que Mr Rictus et ses complices soient tous éliminés. C'est alors que resurgit le père du jeune homme, en vie et en parfaite santé !
Il explique à son fils qu'il a tout manigancé en mettant en scène sa disparition, afin que Wesley intègre la Fraternité et devienne un homme. Ayant grandi avec une mère qui l'a surprotégé, il a fini par devenir un lâche et un cocu alors qu'il était programmé pour être un tueur redouté. Mais pour s'imposer définitivement dans son nouveau milieu, il doit s'acquitter d'une ultime épreuve : tuer son propre géniteur, qui ne supporte pas l'idée d'être un jour supprimé par un adversaire sans valeur.
Wesley abat son père et retourne avec The Fox au quartier général de feu le Pr Seltzer, dont il prend la place. L'épilogue est provocateur : le nouveau Killer s'adresse directement aux lecteurs, en se moquant de leurs petites vies pathétiques dont ils ne sortiront jamais par manque d'audace.

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Wanted se distingue d'abord par une extraordinaire galerie de personnages qui se référe explicitement à des figures connues des comics. Ainsi Wesley Gibson/The Killer est une synthèse de Deadshot et Bullseye ; The Fox s'inspire ouvertement de Catwoman ; Solomon Seltzer est un mélange du Dr Sivana et Lex Luhor ; Mr Rictus évoque le Joker et Crâne Rouge ; Futur à Kang et Per Degaton ; L'Empereur à Ra's al Ghul et Fu Manchu ; Adam-One à Vandal Savage.
C'est un petit jeu amusant pour le fan d'identifier le modèle d'untel ou d'untel, mais cela n'empêchera pas le profane d'apprécier chaque personnage - et peut même l'encourager à faire des recherches pour parfaire ses connaissances.
Il y a une évidente dimension ludique dans Wanted, même si pour l'apprécier, il faut goûter à un humour très noir, salace et sans retenue.
Car l'autre caractéristique de ce comic-book est la violence outrancière avec laquelle Mark Millar a écrit son scénario, développant des situations paroxystiques et un langage volontiers ordurier. Pourtant ces exagérations permettent une effet de recul : la brutalité des séquences d'actions, les excès verbaux, deviennent ouvertement une parodie du genre, soulignant les dérives des comics des années 90 pour mieux les ridiculiser. On n'est pas si loin de ce qu'a fait subir au genre quelqu'un comme Warren Ellis avec Nextwave...
En terminant son récit sur une apostrophe de Wesley Gibson directement au lecteur, Millar casse aussi la convention narrative dîte du "4ème mur" : ce procédé a pour but de faciliter l'identification du lecteur au personnage principal, dont la passivité est assimilée à celle (supposée) du lecteur. Ici, le revirement psychologoque profond de Wesley et la manière dont elle se traduit, par un déferlement de violence, sont ainsi cautionnés. Cette pirouette finale nous invite à utiliser cette lecture comme une catharsis... Ou à passer à l'acte en imitant le Killer !
C'est dans ce mélange de distanciation et de crudité que se distingue Wanted : d'un côté, la série prétend rendre réaliste les super-héros, dont la preuve de l'existence a été effacée de nos mémoires ; mais d'un autre côté, Millar se moque ouvertement de cet univers grotesque en violentant ses codes.
Le ton est ouvertement satirique comme en témoigne une scène mémorable où Mr Rictus tue un couple dans une rue et laisse en vie leur enfant : lorsqu'un comparse lui demande pourquoi il l'a épargné, il répond qu' "en grandissant, il sera tellement obsédé par le fait de me retrouver et de se venger, qu'il deviendra peut-être quelqu'un d'intéressant ». La citation à l'origine de Batman est croustillante.
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Visuellement, J.G. Jones, qui s'est notamment illustré depuis en signant toutes les (superbes) couvertures de la série Infinite Crisis : 52, nous offre des planches magnifiques. Ses efforts pour donner aux protagonistes les visages de célébrités sont admirables. Mais son sens du découpage est également excellent : le récit se déroule avec beaucoup de fluidité, avec des vignettes fourmillant de détails eux aussi plus vrais que nature, et un soin exemplaire apporté à la lumière, aux décors, aux designs de cette foultitude de personnages. Il impose un véritable univers auto-suffisant, d'une prodigieuse richesse et d'un esthétisme reenversant.
Pour évoquer le passé du Killer lors d'une séquence, Jones cède sa place à Dick Giordano, une légende des comics (il a entre autres encré George Pérez sur les Teen Titans et supervisé la publication des Watchmen) : le changement de style au cours de ce bref passage est une vraie madeleine de Proust pour ceux qui ont apprécié le travail de ce monsieur par le passé. C'est aussi une élégante astuce pour démarquer cette étape du récit du reste.
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Alors, Wanted est-il une grande BD ? Ou un exercice de style grossier et complaisant ? Pour ma part, je dirai que c'est surtout un comic-book extrèmement efficace, dont la lecture laisse un sentiment vivace. C'est indiscutablement une expérience, et rien que pour cela, un livre qui compte.

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