Comme je l'ai déjà dit, Prodigy ne restera pas dans les annales du "Millarworld". C'est vraiment une mini-série en roue libre pour laquelle Mark Millar semble s'être peu investi, renouant même volontiers avec les pires défauts que lui reprochent ses détracteurs. Rafael Albuquerque s'amuse et nous divertit mais cela ne suffit guère.
Syrie. Edison Crane vient de gagner plus de deux millions de dollars à une table de poker dont les autres joueurs ne sont évidemment pas plus ravis que la propriétaire du club, une vieille connaissance du professeur. Il réussit pourtant à s'échapper.
Ailleurs. La confrérie du Dragon organise une réunion au cours de laquelle Lord Dashwood avoue son échec à avoir faciliter la venue prochaine d'envahisseurs d'une Terre parallèle. Il est sacrifié par les adeptes, et achevé par Francis, son propre fils.
En route pour un temple où ils espèrent découvrir les ultimes secrets annonçant l'invasion, Edison Crane et Rachel Straks apprennent que l'armée américaine va bombarder le site tenu par des terroristes islamistes.
Comme d'habitude, Crane a prévu un plan B et un avion les prend en charge pour les mener plus vite à destination. Mais l'armée américaine largue une première bombe. Edison saute en parachute et s'y agrippe pour la désamorcer.
Aux mains des terroristes, il comprend que ceux-ci veulent l'échanger contre une rançon. Il mémorise alors les inscriptions sur les piliers du temple tout en ordonnant à Rachel dans l'avion d'ouvrir le feu pendant qu'il s'enfuit...
Un des charmes des productions "Millarworld", quand elles sont réussies, c'est, en plus d'être mises en images par les meilleurs artistes actuels, de donner une version d'un genre ou d'un personnage. Mark Millar rend ainsi hommage à ses idoles, héros de cinéma ou de la littérature, au gré de sa fantaisie, sur un ton souvent ludique.
Avec Prodigy, il s'attaque à la figure du génie aventurier, un exercice casse-gueule car il réclame à celui qui le visite d'être aussi malin que lui (pour prouver sa supériorité dans l'action). C'est aussi risqué dans la mesure où on peut croire que le scénariste se prend lui-même pour un génie.
Millar a assez de recul sur lui-même pour en rigoler et, pas plus qu'avec Nemesis par exemple, il ne veut se faire passer pour ce qu'il n'est pas (un maître du crime, un surdoué milliardaire). Pour éviter la confusion, il a opté pour une histoire très premier degré en forme de chasse au trésor (en l'occurrence une série d'indices permettant de prévoir et empêcher une invasion). Plaisant sur le papier. Mais alors pourquoi ça ne fonctionne pas ?
Parce que Millar, qui d'habitude n'oublie pas de donner à ses héros un adversaire aussi excitant que ce pour quoi ils s'affrontent, l'a totalement omis ici ? Certes, il y a les Dashwood père et fils et leur confrèrie du Dragon (dont le nom même trahit un manque flagrant d'inspiration) mais on les voit si peu et dans des situations grotesquement racoleuses (tuerie d'orphelins, messe noire, sacrifice) qu'on n'arrive pas à croire à leur dangerosité. Ils ressemblent davantage à des vilains d'opérette, des bouffons. Et les fameux envahisseurs dont ils sont les complices n'ont toujours pas été vus aux 2/3 de l'intrigue !
Prodigy est donc un one-man show d'Edison Crane mais la représentation lasse car, comme tout génie sans résistance, il a réponse à tout, survit à n'importe quoi, accomplit des prouesses qui ne font jamais frissonner. Le personnage serait simplement agaçant que ce ne serait pas grave, mais en vérité il manque singulièrement de relief, ne possède aucun mystère, a un charisme très limité... Et on ne saisit alors vraiment pas l'admiration de groupie qu'éprouve pour lui Rachel Straks. Pire : cet agent de la CIA qui semblait doté d'un répondant prometteur au début a perdu en route toute substance pour devenir une assistante spectatrice tour à tour effarée et impressionnée.
Dans ces conditions, on se fiche royalement de l'issue de l'aventure puisqu'on sait déjà que Crane aura le dernier mot, que l'invasion échouera, et ce n'est pas Francis Dashwood qui va gêner le héros. La seule surprise serait que notre prodige ne veuille pas vraiment empêcher l'invasion mais l'encourager pour combler sa soif de connaissances (car, après tout, Millar, à aucun moment, ne nous dit que ces visiteurs d'une Terre parallèle sont un risque pour la notre !).
Ce numéro d'épate creux contamine Rafael Albuquerque. Si l'artiste semble s'amuser avec ce qu'il contribue à raconter, sa prestation n'a rien d'époustouflant. Il subsiste une indéniable énergie, mais souvent dans des plans sans décors, avec des personnages aux expressions exagérées.
Certes, ce que fait Albuquerque, seuls les très bons dessinateurs en sont capables, mais on préfère le lire avec un script l'invitant à se dépasser et non, comme Edison Crane, à seulement traiter son ouvrage comme une récréation.
Le seul avantage du projet est son format : avec six épisodes, et déjà quatre de passés, le dénouement est proche. Ce n'est pas pénible à lire, mais tellement superficiel qu'on sait déjà que ce sera vite oublié. Dommage. Mais aussi tant mieux. Ne restera plus à Millar qu'à lancer un nouveau titre qu'on souhaite plus abouti.
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