Comme j'ai acheté peu de nouveautés cette semaine, je vous invite à plonger trente-deux ans dans le passé pour (re)découvrir une pépite, lorsque Mark Evanier, le confident-secrétaire de Jack Kirby, et Steve Rude, un des meilleurs disciples du "King", redonnaient vie à Mister Miracle dans un épisode spécial (paru dans une anthologie, Tales of the New Gods, avec des jeunôts comme Byrne, Simonson, Miller...).
Après s'être entraîné avec succès pour un numéro très dangereux, Mister Miracle promet à sa femme, Big Barda, de renoncer à ses démonstrations qui effraient cette dernière. Il refuse même, au grand dam de son coach Oberon, un juteux contrat de "Funky" Flashman.
Dans la remise de leur maison, Scott Free range donc ses accessoires et se rappelle de sa jeunesse sur Apokolips, où il fut élevé par Darkseid à la place d'Orion, fils de sang du tyran confié au Haut-Père de New Genesis pour conclure la paix entre leurs deux royaumes.
Poussé par Metron à fuir cet enfer, il se reconvertit en roi de l'évasion sur Terre. Mais Darkseid veut le punir, physiquement et moralement, et lui envoie Kalibak. Barda et Scott affrontent ce colosse et ses soldats, qui battent en retraite après avoir ravagé leur maison.
Oberon fait engager Mister Miracle dans un cirque pour payer les travaux mais Granny Godness enlève Barda et le piège. Obligé de relever le défi qu'elle lui lance, il affronte plusieurs épreuves et libère Barda.
Furieux, Darkseid intervient lui-même pour briser son fils adoptif. Mais la troupe du cirque s'interpose. Humilié, le tyran d'Apokolips, se retire tandis que Mister Miracle, Big Barda et Oberon sont portés en triomphe devant un public conquis par leurs exploits.
Ce résumé montre qu'on est aux antipodes du traitement récent de Mister Miracle par Tom King et Mitch Gerads. Mais, loin d'être un reproche, cela prouve qu'un bon personnage doté d'un univers riche peut être animé diversement par les auteurs qui s'en emparent.
La démarche de Mark Evanier relève de l'hommage. L'homme fut l'ami proche de Jack Kirby, son confident, son secrétaire, et depuis la disparition du "King", celui perpétue son héritage artistique. C'est aussi un scénariste qui s'inscrit dans le registre classique, "old school", et un partenaire de Steve Rude.
Il était donc normal que ces deux-là se réunissent pour saluer la mémoire de King de son vivant en racontant une aventure de Mister Miracle dans le cadre d'une anthologie signée par des grands noms des comics. Tales of the New Gods rassemblait en effet Walt Simonson, Frank Miller et John Byrne pour refaire vivre le "Quatrième Monde", ce mini-univers de poche qui abritait les New Gods, les Forever People et donc Mister Miracle.
Cet épisode n'est pas seulement spécial par son objectif, il l'est aussi par son format puisqu'il compte une quarantaine de pages (comme un Annual). C'est conséquent mais surtout très dense car Evanier y cite tout le "Jack Kirby's Fourth World", même brièvement. Surtout il évoque admirablement le personnage principal de Scott Free de manière à ce qu'un lecteur qui ne le connait pas sache l'essentiel à son sujet.
Car Mister Miracle est un héros de tragédie et un personnage flamboyant. Kirby aurait eu l'idée du "Quatrième Monde" en combinant ses passions pour Shakespeare et pour les divinités. Sur ce dernier point, en effet, on a affaire à des néo-dieux, comme les adorait le "King" (voir Thor, les Eternels, Galactus, les Célestes...), des êtres très puissants vivant sur des mondes hors de vue des simples mortels mais curieux de l'humanité. Quant à Scott Free, sa situation initiale a tout d'une pièce de théâtre antique : échangé à sa naissance avec Orion, le fils de Darkseid, pour négocier une paix entre Apokolips et New Genesis, il a été élevé dans des conditions terribles avec l'obsession, nourrie par le machiavélique Metron, de s'échapper.
Naturellement, c'est sur Terre qu'il s'est réfugié, et, logiquement, qu'il s'est reconvertie en artiste de cirque spécialisé dans les numéros d'évasion. Kirby a reconnu que les deux modèles de Scott Free étaient Harry Houdini et... Jim Steranko, le célèbre dessinateur (toujours en activité) qui s'adonnait aussi à la prestidigitation. Quant à Barda, elle devait beaucoup à Rose, la propre femme de Kirby.
L'intrigue est simple mais redoutablement efficace, développée sur un rythme très soutenu : Scott promet à Barda de ne plus risquer sa peau, mais Darkseid veut le briser moralement et physiquement. Il emploie d'abord la force de Kalibak, sans autre succès que de forcer Scott à trouver un job pour payer les réparations des dégats causés à sa maison. Granny Godness, qui a éduqué Scott et Barda, piège alors le couple...
La partition est linéaire mais ponctuée par les interventions d'une sorte de choeur qui présente les rebondissements en la personne d'un monsieur Loyal exubérant, s'adressant directement au lecteur. Evanier ne manque pas d'imagination pour élaborer des épreuves au héros ni pour décrire la relation complexe entre Scott et Barda, le premier s'évadant toujours non pour fuir mais pour s'affirmer comme un homme libre après une jeunesse de réclusion, tandis que la seconde a été formée au combat mais n'aspire qu'à une vie tranquille. Au milieu, Oberon encourage Scott à ne pas gâcher son talent tout en composant avec Barda. Et le manager "Funky" Flashman (imaginé comme une parodie grinçante de Stan Lee, avec qui Kirby se fâcha) joue les mouches du coche, uniquement intéressé par l'argent, et escroc patenté.
Grâce à Steve Rude, le projet prend une dimension esthétique extraordinaire. Le "Dude" fait partie de la foule innombrable des admirateurs de Kirby, mais sans en être un copieur. Ses autres influences sont Russ Manning (Magnus robot fighter, Tarzan) et Alex Toth (Zorro, Bravo for adventures).
De Kirby, son dessin a conservé l'énergie et le goût du baroque, en particulier pour des compositions parfois acrobatiques (mais techniquement très maîtrisées car Rude a appris son art et est devenu enseignant privé). De Manning et Toth, il a pris l'élégance du trait, un goût aussi pour l'économie - ce fameux "less is more". Il est encré en prime par Mike Royer, qui fut le collaborateur de Kirby (certainement, avec Joe Sinnott, son meilleur assistant).
Le résultat est prodigieux (même si le lettrage, aussi assuré par Rude, est moyen). On sent l'artiste complètement dans son élément, mu par un amour puissant pour ces personnages, leur univers. La narration est fluide et tendue car un découpage basique, avec peu de cases par planches (comme l'appréciait Kirby) et des splash-pages ahurissantes, avec un goût du détail renversant (qui explique que Rude mette du temps à produire).
Ce qui séduit sans doute le plus, tant chez Evanier que chez Rude, c'est cette affirmation de rester dans les clous sans pour autant seulement reproduire ce que faisait Kirby. C'est un hommage plein de classe, d'allant, drôle et respectueux, plus beau que du Kirby mais aussi fou.
Ainsi, en comparant avec la version de King et Gerads, on peut trouver ici un plaisir distinct, plus porté sur l'action, le premier degré, mais pas sans lien puisque le couple Miracle-Barda, l'ombre menaçante de Darkseid, restent au coeur de tout. Au fond, et c'est la grande leçon à retenir, les grands héros ont des fondamentaux inamovibles, et les bons auteurs les manient intelligemment, de telle sorte qu'on garde l'essentiel sans jamais que cela ne bégaie. Et si c'était ça, le vrai miracle ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire