dimanche 3 mars 2019

BLACK HAMMER : AGE OF DOOM #8, de Jeff Lemire et Dean Ormston


Il s'est fait attendre, ce huitième épisode de Black Hammer : Age of Doom - la série était absente des bacs depuis Novembre dernier, seul un numéro hors-série ayant été publié entre temps. Mais Jeff Lemire sait se faire pardonner et Dean Ormston revient aussi en pleine forme. Avec rien moins qu'un quasi-reboot !


Lucy Weber est serveuse dans un bar. Sa vie est terne et elle repense au temps où elle ambitionnait d'être une journaliste à l'affût des secrets de Spiral City. Lucy vit seule, avec son chat Talky, et la sensation que quelque chose manque...


Abe Slamkovski n'est pas aussi dérouté. Il se contente de son job de gardien de nuit au Spiral City Museum, si tranquille qu'il s'endort durant son tour de garde, et considérant sans intérêt la salle contenant les vieilles reliques.


Sur Mars, Mark Markz réside à l'écart de ses congénères qui l'ont banni car ils condamnent sa perversion. Il est homosexuel et prépare en secret avec son ami, Kev Kevz, son départ pour la Terre.


Rien ne prédispose ces trois individus à se rencontrer, même si Lucy part au boulot quand Abe en rentre, dans la même rame de métro, et que Mark et Kev veulent rejoindre la planète des deux premiers.


Mais tout bascule à l'occasion d'un coup de fil : Lucy a rendez-vous avec un mystérieux client qui affirme détenir des infos sur la mort en service de son père, Joseph Weber. Elle rencontre cet indic... Qui n'est autre que le robot du colonel Weird, Talky Walky !

Les deux derniers épisodes de Black Hammer : Age of Doom faisaient la part belle au colonel Weird dans une aventure méta-textuelle complètement folle après qu'il ait entraîné le groupe de héros hors de la para-zone. Au cours de ce périple, il était séparé de Mme Dragonfly, Golden Gail, Barbalien, Abraham Slam et Lucy Weber/Black Hammer II, qui venaient juste d'apprendre que leur existence à la ferme de Rockwood n'était qu'une illusion.

Où étaient passés les compagnons de Weird ? Jeff Lemire rebondit sur cette interrogation de la manière la plus sidérante mais aussi la plus cohérente par rapport à la construction de la série - où chaque progression est un coup de théâtre vertigineux.

S'il ne dévoile pas (pas encore) le sort de Gail et Dragonfly, cet épisode met en scène Lucy Weber, Abe et Mark... Qui ne se souviennent plus de rien ! Revenus à la vie civile, ils n'ont plus conscience d'avoir été des héros et mènent des existences banales, loin de leur combat dramatique contre l'Anti-Dieu et du mirage de Rockwood.

Lemire aime utiliser de vieilles ficelles pour en tirer un profit inédit, en exploiter des développements insensés. En quittant la para-zone pour revenir sur Terre, le colonel Weird a donc été séparé de ses amis. Mais ces derniers n'ont désormais plus aucun souvenir de leur passé. A moins qu'il ne s'agisse d'une réalité alternative, d'un monde parallèle. Le scénariste entretient savamment le doute...

Car Lucy, en particulier, sent bien que quelque chose lui manque, elle a cette impression de presque "déjà-vu" sur laquelle elle n'arrive pas à mettre des mots. Et Abe passe devant la salle des anciennes reliques du Spiral City Museum en soupirant, sans qu'on sache très bien s'il considère cela comme des curiosités idiotes ou d'affaires dont il vaut mieux pour lui se tenir éloigné. Quant à Mark Markz, le martien, c'est sans doute, en surface, le plus proche de celui qu'on a quitté dans l'épisode 5 : homosexuel, banni de son clan, et préparant son départ pour la Terre avec son amant. Mais tout aussi amnésique.

Il y a un culot fascinant chez Lemire : il nous balade depuis le début de Black Hammer, nous entraîne dans cet Age of Doom, multiplie les spin-off (bientôt démarre Black Hammer'41), bref il échafaude un mini-univers incroyable, à la mesure de qu'a fait Mike Mignola avec Hellboy et compagnie. Mais son entreprise demeure fascinante. Qu'importe, presque, où il veut en venir car le voyage est palpitant, constamment imprévisible, absolument inattendu, d'une imagination jubilatoire. Comme il a toujours écrit en pensant à la fin, il doit savoir le terme de tout cela, mais on n'est pas pressé que cela s'achève.

Dean Ormston a pris de grandes vacances (puisque Rich Tommaso l'a suppléé pour les #6-7) mais c'est un plaisir de le retrouver aux commandes. Le projet ne serait vraiment pas le même sans lui qui a su donner une identité visuelle unique à l'ensemble.

Cet artiste a réussi à nous attacher à ces héros extraordinaires contraints à des existences mornes, déprimantes, frustrantes, alimentées par des mensonges énormes. Il saisit à la perfection le quotidien terne de Lucy Weber et son vague à l'âme, tout comme la lassitude fataliste de Abe ou la rouerie de Mark. Si bien que lorsque resurgit Talky Walky, le robot, pourtant en piteux état la dernière fois qu'on l'a vu, le coup de théâtre a une force maximale.

Les dés sont à nouveau lancés, la partie reprend - car, oui, la série est extrêmement ludique au fond. Et en se rappelant, nous, que le destin des héros est intimement lié à celui de la menace à l'origine de toute cette saga, un délicieux frisson nous gagne : si l'équipe se reforme, le danger risque-t-il de se répéter, la tragédie de bégayer ?

Black Hammer : Age of Doom ou le tourbillon permanent. Quel régal ! 

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