lundi 11 mars 2019

GALVESTON, de Mélanie Laurent


Remarquée pour ses longs métrages en France et portée par le succès mondial de son documentaire (Demain, co-réalisé avec Cyril Dion), Mélanie Laurent a tenté comme d'autres avant elle l'expérience américaine. Cette adaptation du roman de Nic Pizzolatto (le créateur de la série True Detective) n'a pas été une partie de plaisir mais le résultat conforte l'idée qu'une vraie cinéaste est à l'oeuvre.

Roy (Ben Foster)

1988. La Nouvelle-Orléans. Roy est l'homme de main de Stan, un usurier, et il souffre d'un  cancer du poumon. Envoyé initmider un client, il tombe dans un traquenard tendu par son patron qui a appris qu'il couchait avec sa maîtresse, Carmen. Roy tue ses adversaires et délivre une jeune femme retenue en otage sur place, Rocky.

Roy et Rocky (Ben Foster et Elle Fanning)

Ils fuient ensemble et, durant le trajet, elle lui raconte comment elle a été contrainte de se prostituer pour survivre alors qu'une amie lui avait promise un travail honnête. Rocky veut s'arrêter à Orange, sa ville natale, pour y récupérer de l'argent. Roy la conduit jusqu'à une maison dans les bois.

 Tiffany et Rocky (Aniston Price et Elle Fanning)

Peu après qu'elle y soit entrée, une détonation retentit et Rocky sort avec un sac de vêtements et une fillette. Roy redémarrre et s'éloigne tandis que la jeune femme lui jure n'avoir tué personne. La fillette s'appelle Tiffany et Rocky la présente comme sa jeune soeur, âgée de trois et demi.

Roy et Rocky

Roy s'arrête à Galveston, une station balnéaire, et loue deux chambres pour une semaine dans un motel. La tenancière se doute qu'il n'est pas l'oncle de Rocky et Tiffany comme il le prétend mais ferme les yeux. Roy examine alors des documents pris sur le lieu du règlement de comptes et découvre une escroquerie montée par Stan.

 Rocky et Roy

Les jours s'écoulent, tranquilles. Mais Roy sait qu'il va leur falloir de l'argent pour vivre ailleurs, lui et les filles. Toutefois, il décide de fuir, seul, quand il lit dans le journal que lebeau-père de Rocky est mort de ses blessures. Il part rendre visite à Lauren, son ex-compagne, mais apprend qu'elle s'est mariée. Désoeuvré, il appelle ensuite Stan et le fait chanter en lui réclamant 75 000 $ contre les documents en sa possession.

 Roy et Rocky

De retour au motel à Galveston, Roy recherche Rocky dont il a appris qu'elle se prostituati à nouveau en son absence. Lorsqu'elle rentre, il la réprimande et, bouleversée, elle avoue avoir été violée par son beau-père et que Tiffany n'est pas sa petite soeur mais sa fille. Il l'invite au restaurant pour la consoler mais en rentrant, ils sont enlevés.

 Roy

Stan torture Roy pour l'avoir menacée. Mais Carmen, en son absence, délivre Roy qui s'échappe. Il découvre le corps sans vie de Rocky mais doit l'abandonner. Puis, une fois dehors, il vole une voiture. En voulant s'assurer qu'il n'est pas suivi, il percute un obstacle. Lorsqu'il revient à lui, Roy est hospitalisé et soigné pour son cancer. Puis, placé en détention, il reçoit la visite de l'avocat de Stan qui lui promet qu'il ne sera fait aucun mal à Tiffany si Roy se tait au sujet des magouilles de Stan.

Rocky

Vingt-cinq après. Roy reçoit la visite de Tiffany alors qu'un ouragan approche de la ville. Il accepte de lui dire la vérité sur Rocky - le fait qu'elle était sa mère, qu'elle ne l'a pas abandonnée... Puis, une fois seul, Roy sort et affronte les vents meurtriers en revoyant Rocky autrefois.

Le roman éponyme de Nic Pizzolatto tenait plus de la grosse nouvelle avec son histoire minimaliste et son maniement des clichés. Mais sa parution fut un petit événement car entre son écriture et sa sortie, l'auteur était devenu le showrunner de True Detective, la fameuse série policière de HBO.

En adaptant lui-même son texte sous le pseudonyme de Jim Hammett, Pizzolatto entendait rester le vrai maître à bord, comme il le voulait sur le show télé. Mais comme avec Cary Fukunaga, il connut une relation de travail tendu avec Mélanie Laurent, choisie pour filmer son script.

La française ne l'a jamais reconnue à voix haute mais dans les interviews qu'elle a données, on devinait que la production fut un bras de fer. Soutenue par l'équipe technique et financière alors qu'il s'agissait d'une commande pour elle, elle a pu imposer sa vision et livrer un film finalement plus abouti que le roman original.

Comme dans ses précédents longs métrages (Respire et Plonger), Mélanie Laurent s'attache à un couple toxique, mais en s'inscrivant dans un genre plus codé (bien que hybride), celui de polar romantique. Les conventions assumées par Pizzolatto, elle en fait des forces pour dresser le portrait de deux marginaux en quête d'une illusoire seconde chance.

Roy est un homme abîmé, malade, il se croit même condamné par le cancer au début. Rocky est une jeune femme abusée sexuellement qui a sombré dans la prostitution pour survivre. Leur fuite à Galveston est une parenthèse, comme un congé dans leurs existences gâchées, et le film montre le motel, la plage voisine, comme un mini paradis improbable. 

Contrairement au livre, la cinéaste refuse d'insister sur les aspects les plus glauques, les plus sordides, les plus désespérés. Bien que souffreteux, Roy ne passe pas son tmps à cracher ses poumons. Et Rocky resplendit comme si elle renaissait littéralement à la faveur de ces quelques jours au soleil. Cette séquence permet de souligner la cruauté du destin qui va les rattraper, violemment.

Mélanie Laurent ne se complaît pas non plus dans le spectacle de la violence : Roy reçoit un coup brutal au visage, on ne verra pas l'agonie de Rocky. En préférant laisser le spectateur imaginer leur calvaire, elle le rend plus poignant et suscite davantage notre compassion quand Pizzolatto échouait à inspirer les mêmes sentiments dans son ouvrage. Ce sens de l'ellipse, de la suggestion, aussi bien dans les moments doux que durs, sont une des grandes réussites de l'adaptation.

Bien que le film ne soit pas long (à peine 90 minutes), il s'autorise des moments en suspens, comme si le temps s'arrêtait pour ses protagonistes esquintés et méritant une trëve. On peut imaginer qu'alors une romance va se dessiner entre Roy et Rocky, mais Mélanie Laurent évite ce poncif et reste dans un rapport plus père-fille entre Roy et Rocky. Ce qui rend l'aveu concernant Tiffany encore plus puissant.

Pour incarner deux stéréotypes pareils, il fallait deux acteurs en état de grâce, capables d'apporter une épaisseur supplémentaire par leur interprétation et leur charisme. Ben Foster est excellent dans la peau de ce gars frustre mais rongé par les regrets, saisissant l'occasion de se racheter jusqu'au suicide (magnifique dénouement, triste sans être plombant). De ce seul point de vue, Galveston est une sorte de complément de programme idéal au formidable Leave no trace de Debra Granik où le comédien britannique brillait déjà.

Face à lui, Elle Fanning, recommandée à Mélanie Laurent par le réalisateur Mike Mills (qui filma Laurent dans Beginners et Fanning dans 20th Century Wowen), prouve une nouvelle fois son lumineux talent. Elle campe une Rocky attendrissante, fragile et mutine, délicate et souriant grâce à ce sauveur d'occasion. Déjà à la lectre du roman, son visage et sa silhouette s'imposaient, et il est impossible d'imaginer quelqu'un d'autre pour ce rôle.

Beau Bridges est Stan, mais n'a guère de temps pour défendre son personnage, tout comme Maria Valverde en Carmen (qui retrouve Laurent après Plonger).

Sentimental et fataliste, Galveston est un joli petit film en forme d'exercice de style. Il a failli suffire à sa réalisatrice pour diriger l'adaptation de Black Widow chez Marvel, mais confirme surtout le regard original et très mûr de Mélanie Laurent derrière la caméra.

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