Développé à partir du court métrage du même nom, Thunder Road est le premier film de Jim Cummings, qui en est aussi le scénariste, le monteur et l'acteur principal. Financé participativement sur la plateforme Kickstarter, c'est une petite merveille à la fois drôle et poignante, en équilibre permanent - un vrai petit miracle de cinéma.
Jimmy Arnaud (Jim Cummings)
Policier décoré mais en instance de divorce, Jimmy Arnaud voit sa vie basculer quand sa mère meurt. Une messe est dite en sa mémoire et il prononce un discours émouvant avant d'esquisser quelques pas de danse, devant une assistance gênée.
Nate Lewis et Jimmy Arnaud (Nican Robinson et Jim Cummings)
Désobéissant à l'ordre de son supérieur, Jimmy reprend le travail au lieu de profiter d'un congé. En compagnie de son collègue et ami Nate Lewis, il arrête un SDF aviné, mais l'intervention dégénère et il est sommé de rentrer chez lui.
Crystal Arnaud et son père, Jimmy (Kendall Farr et Jim Cummings)
Bien qu'il ait besoin d'argent, il se résoud pas à vendre la salle de danse de sa mère. Mais lorsque Rosalind, sa femme, lui annonce son intention de réclamer la garde exclusive de leur fille, Crystal, pour s'installer ailleurs avec son nouveau compagnon, il est désemparé.
Crystal
Invité à dîner chez Nate, Jimmy est recommandé à l'avocate de de son collègue. Mais en passant devant le juge, Jimmy, trop nerveux, s'exprime mal et le magistrat prend sa défense pour des menaces. Le verdict tombe comme un couperet : il perd la garde de sa fille.
Nate
Jimmy se dispute avec Nate devant le poste de police et, sans s'en rendre compte, dégaine son arme de service. Il est renvoyé et se cloître chez lui pour se soûler. Nate culpabilise et lui rend visite pour le réconforter, tout en mesurant sa chance d'avoir une vie de famille plus équilibrée.
Morgan, la soeur de Jimmy (Chelsea Edmundson)
Sachant qu'on risque de saisir sa maison, Jimmy se rend chez sa soeur aînée, Morgan, pour lui demander de l'héberger. Elle lui fait des révélations sur leur mère et l'arrêt de sa carrière de danseuse suite à une blessure. Il ignorait tout cela et saisit que Morgan a dû le cacher pour l'épargner. Jimmy renonce à demander le gîte et le couvert à son aînée.
Jimmy et Nate
De retour en ville, Jimmy est interpellé par un ancien collègue qui lui annonce que sa fille a appelé la police à cause de Rosalind. Celle-ci a succombé à une overdose et son compagnon est en fuite. Jimmy rassure Crystal dont il promet de bien s'occuper, en commençant par quitter cet endroit.
Jimmy
Quelque temps après, le père emmène sa fille assister à la représentation d'un ballet. Crystal traîne les pieds avant d'être subjugée par le spectacle, ce qui émeut aux larmes Jimmy.
Le film s'ouvre (presque) par un long plan-séquence d'une douzaine de minutes : on assiste à la messe dite pour la mère du héros qui se fend d'un discours interminable et décousu avant de s'achever maladroitement par quelques pas de danse devant les proches stupéfaits de la défunte.
On peut à la fois être impressionné par la prouesse technique et complètement sidéré par la véritable performance de Jim Cummings, qui est à la fois irrésistiblement drôle et très embarrassante. Mais ce prologue a surtout valeur de programme pour tout le film, sans cesse sur la corde raide, jusqu'à réussir à être simultanément parfois amusant et triste, décalé et déplacé, cocasse et malaisant.
Comme pour bien des premiers films, on sent chez son auteur une urgence, une volonté de tout déballer et on ne serait pas étonné que Cummings ait adapté des situations personnelles dans la descente aux enfers de son héros, qui perd sa mère, la garde de sa fille, sa femme, son meilleur ami, son job.
Pourtant, Thunder Road évite surtout le risque de trop-plein et alterne séquences longues, étirées jusqu'à la rupture et ellipses fulgurantes (si bien qu'on ne sait plus trop sur combien de temps s'étale l'histoire - quelque jours, semaines ?). Cela participe admirablement à la confusion de cet homme dont la vie part en morceaux et qui ne sait plus où il en est, dont les convictions s'effritent, les amitiés et les amours se barrent en sucette.
La chanson de Bruce Springsteen, qui donne son titre au film, et qui était la préférée de la mère de Jimmy Arnaud, (mais qui, hélas ! ne figure pas dans la bande-son) racontait justement la décision d'un jeune couple de quitter leur bourgade pour tenter leur chance ailleurs et voir leur amour s'épanouir, sans mésestimer le risque qu'il s'agissait d'une fuite en avant. Le héros ne veut pas partir mais le fera finalement pour se redonner de l'air et éloigner sa fille du malheur qui, lui, a failli le détruire.
Tout est là : on peut quitter l'enfance, la vie peut vous forcer à grandir, brutalement, mais notre enfance ne nous quitte pas. On croit nos parents immortels et lorsque nous devenons orphelins, en fait, tout le monde sans fout, impuissant face à notre chagrin et encombré par son expression. Jimmy intègre ça dans une cascade d'emmerdements cruels où il passe de fils à père.
Oeuvre totale et magistrale, mais aussi inconfortable, Thunder Road est un objet de cinéma à part, qui s'inscrit dans le registre indépendant mais avec une sensibilité unique. Jim Cummings est lui-même un cas atypique qui avoue en interview n'être pas un acteur né : après dix ans à produire des clips, des pubs, sans faire fortune, il réalise d'abord un court métrage (la fameuse scène inaugurale du film) puis monte une cagnotte sur le Net pour financer le long. Pour rendre le projet faisable, il cumule les postes de scénariste, acteur, réalisateur, monteur.
La limite de l'exercice est, évidemment, que les autres ont un peu de mal à exister dans ce cadre, éclipsé par le show Cummings. Pourtant il ne cabotine pas et livre une interprétation renversante (s'inspirant de ses idoles Steve Coogan et Robert de Niro), et se met en condition en visionnant avant chaque prise des scènes de Vice-Versa (le dessin animé de Pixar) ou en se remémorant William et Harry à l'enterrement de Lady Di (!).
On retiendra néanmoins, malgré tout, la petite et formidable Kendall Farr dans le rôle de Crystal, et Nican Robinson dans celui de Nate. Le quasi-monologue de Chelsea Edmundson, grande soeur du héros, est aussi un grand moment.
On quitte cette histoire la gorge serrée et pourtant heureux car, comme Jimmy Arnaud, croyant à un futur plus léger, en compagnie des fantômes. Peu de films parviennent à procurer un tel tourbillon émotionnel - en cela, c'est un film éminemment "Springsteenien".
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