Après avoir parlé de Justice League Dark, qui traite bien mal de la magie, passons au dernier épisode (de la "saison 1", puisqu'il est acté qu'il y aura une suite, actuellement à l'écriture) de The Magic Order. Mark Millar est sans doute moins ambitieux (le cadre de la mini-série participe à cette impression) mais lui, au moins, ne traîne pas en route et déplace ses pions efficacement, en harmonie avec son dessinateur, Olivier Coipel.
Piégée par son frère cadet Gabriel et Mme Albany, dans l'antre de cette dernière, Cordelia Moonstone est sur le point d'être sacrifiée pour que soit ressuscité sa nièce, Rosetta, grâce à un sortiliège tiré de l'Orichalcum que Lord Cornwall va dérober dans la librairie de l'Ordre Magique.
Mais Cordelia, qui n'a jamais été disciplinée, a bravé l'interdiction de son père et lu le grimoire. Ainsi fait-elle réapparaître les victimes d'Albany et de Gabriel, quand il agissait sous le masque du Vénitien). Pour reprendre complètement vie, ils tuent les complices d'Albany.
Leonard Moonstone, le patriarche, tue Albany pendant que Cornwall fait les frais d'un duel contre le libraire Edgar. Mais ce retournement de situation rend fou Gabriel, qui menace de tuer tous les magiciens pour récupérer sa fille.
Encore une fois, c'est Cordelia qui va trouver une issue à la crise et persuader son frère de se sacrifier contre la promesse que Rosetta sera ramenée à la vie et prise en charge par les Moonstone.
L'enterrement de Gabriel permet de voir Regan devenir le tuteur de Rosetta et Leonard passer la main à Cordelia à la tête de l'Ordre Magique.
Je disais dans ma critique de Justice League Dark #8 qu'une des raisons (si ce n'est LA raison) pour laquelle la série ne fonctionnait pas, c'était parce que son scénariste paraissait écrire contre son sujet, en animant des héros réduits à des rôles de pantins impuissants, et vouant leurs efforts à la découverte d'un sauveur providentiel.
The Magic Order prouve le contraire et semble presque expliquer, depuis six épisodes, comment une série reposant sur les magiciens, l'occulte, le groupe (comme équipe, famille, organisation) doit être animée pour combler le lecteur. Et pourtant, Mark Millar agit des éléments similaires à ceux employés par James Tynion IV, en tout cas déjà vus dans ses précédents oeuvres (comme le recours à un deus ex machina).
L'histoire a connu un twist spectaculaire à mi-parcours avec l'assassinat de Leonard Moonstone. La mort d'un personnage de premier plan, véritable pivot du projet, est une manoeuvre habile pour choquer le lecteur et relancer son intérêt jusqu'au final. Comme dans Jupiter's Legacy, The Magic Order réfléchissait, derrière le divertissement, aux générations : le père Moonstone laissait ses enfants, dont les codes n'étaient pas aussi rigoureux que les siens, désoeuvrés face à un ennemi surpuissant et impitoyable, dont la convoitise n'était cependant pas illégitime (Mme Albany s'estimait raisonnablement spolié de son héritage car l'Ordre Magique gardait un grimoire appartenant à son père).
Puis, dans le précédent numéro, nouveau rebondissement : on apprenait que Gabriel Moonstone s'était allié à Albany et, après avoir exécuté son propre père (qui refusait d'utiliser sa puissance magique pour ressusciter sa petite fille) et son frère aîné (Regan censé devenir le successeur de Leonard), s'apprêtait à sacrifier sa soeur (demi-soeur en fait).
Dans les histoires de magie, il y a deux formules récurrentes : "la magie a un prix" et "un magicien a toujours un tour secret dans son sac". Pour le prix, ici, il s'agit d'éliminer Cordelia pour ressusciter Rosetta. Pour le tour secret, c'est la manière dont Cordelia se sort de son sale pétrin. Cette artiste de l'évasion, indisciplinée depuis toujours, a désobéi à son père et Millar salue ce geste comme on signe un manifeste tout en invoquant une astuce qu'il a déjà employée autrefois - en situation d'infériorité, s'en remettre à l'effet de surprise.
La solution pour battre Albany puis résoudre le problème de Gabriel peut sembler facile. Mais elle me paraît plutôt relever d'une foi dans la magie elle-même, cette foi qui est absente de JLD : Millar n'écrit pas contre son sujet mais avec lui, pour lui. Son dénouement est un geste d'illusionniste, parce qu'il est too much, il fonctionne et suscite la jubilation en réclamant juste au lecteur sa complicité. Bien sûr, c'est trop facile, trop simple, trop roublard, semble nous glisser le scénariste, mais dans ce contexte, cet univers, avec ces personnages, c'est permis, voire recommandé.
Cette dimension ludique est le coeur des meilleurs comics du "Millarworld" et Olivier Coipel l'a bien compris en finissant par collaborer avec l'auteur, qui le courtisait depuis longtemps.
Résultat : le français a trouvé une nouvelle jeunesse, un second souffle en quittant les super-héros pour cette mini-série aussi spectaculaire mais moins rigide. Ce mix de Harry Potter et des Sopranos, Coipel l'a dessiné avec une énergie folle que ces vingt pages résument parfaitement.
Même lorsque l'action s'emballe et part dans une ultra-violence stylisée, Coipel la découpe avec une sorte d'entrain enfantin, avec des personnages déployant soudain toute leur puissance et leur grâce. Leonard a l'air de danser lorsqu'il affronte Mme Albany et c'est en apesanteur que Gabriel se laisse raisonner par Cordelia, sans oublier le duel terrible entre Edgar et Cornwall.
L'épilogue est superbe aussi graphiquement : sous une pluie battante, au rendu saisissant, c'est un moment de recueillement et de réconciliation, dans lequel Millar glisse des pistes narratives pour la suite (allusion à Mme Moonstone mère), et Coipel donne une expressivité fabuleuse aux personnages, dans une succession de plans serrés.
Impossible d'imaginer que Coipel ne soit pas de la partie pour le deuxième acte.
Plus abouti que l'actuel Prodigy de Millar, The Magic Order s'impose définitivement comme une des grandes réussites du "Millarworld".
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire