mercredi 27 février 2019

SUR LA PLAGE DE CHESIL, de Dominic Cooke


Ian McEwan est un des plus grands romanciers britanniques et, à 71 ans, il n'a plus rien à prouver. Pourtant, il a accepté d'adapter lui-même un de ses plus beaux textes pour le premier film de Dominic Cooke : Sur la plage de Chesil. Le résultat est moins poignant que le livre mais fort beau quand même, surtout grâce à son couple de comédiens exceptionnels.

 Florence et Edward (Saoirse Ronan et Billy Howle)

1962. Edward Mayhew, issu d'un milieu modeste, rencontre Florence Pontig, fille de bonne famille, alors qu'ils viennent tous deux d'obtenir, avec mention, leur baccalauréat. Il se destine à devenir historien, elle concertiste - elle est premier violon dans un quatuor du lycée (et courtisée par le violoncelliste, Charles Morrell).

 Eddie et Flo

Mais c'est le couple de foudre entre Flo et Eddie. Ils se plaisent, rencontrent leurs familles respectives et décident de se marier sans attendre. Pourtant, comme le suggèrent les parents de la jeune fille et le père du jeune homme, ils devraient attendre car cela est précipité.

 Le dîner de la lune de miel

Mais ils n'écoutent pas leurs aînés et partent sur la plage de Chesil pour leur lune de miel. L'ambiance est tendue, les amants empruntés dans cette intimité loin de tous leurs repères. Eddie désire sa femme, Flo se montre distante. Il s'impatiente, elle cède. Ils passent au lit...

 Sur la plage de Chesil

Flo tente de gagner du temps en incitant Eddie à parler de leurs passés, jusqu'à leur rencontre. Le garçon a souffert de la démence traumatique précoce de sa mère et souhaite profiter d'une promotion sociale. Elle tait les abus sexuels commis à son encontre par son père et sur lesquels sa mère a fermé les yeux. Quand Eddie va pénetrer Flo, elle le repousse, dégoûtée, et s'enfuit sur la plage. Une violente explication acte la fin de leur mariage, jamais consommé, et annulé peu après.

Un bonheur illusoire...

Treize ans après, en 1975. Eddie tient un magasin de disques lorsqu'une fillette vient acheter une compilation de Chuck Berry pour l'anniversaire de sa mère. Il devine qu'il s'agit de la fille de Flo... En 2007, Eddie vit dans la maison de feu ses parents lorsqu'il apprend que le quatuor de Flo donne son dernier concert. Il assiste à la représentation et elle l'aperçoit dans le public. Ils pleurent, rattrapés par l'emotion et les regrets.

Le roman de Ian McEwan tenait plus de la grosse nouvelle : son argument minimal, sa construction, sa pudeur déchirante n'en devenaient que plus forts, plus intenses. C'est la marque de cet écrivain génial et cruel. Joe Wright avait déjà souligné cela dans son adaptation d'Expiation, son chef d'oeuvre, sous le titre Reviens-moi, une autre romance contrariée et terrible.

A l'origine pourtant, l'auteur n'était pas impliqué dans la réalisation de ce projet : c'est le cinéaste Sam Mendes qui devait s'en charger, mais il a préféré se consacrer à Skyfall, un épisode de "James Bond". Il avait pourtant prévu d'engager Carey Mulligan pour le rôle de Florence Pontig.

Puis le débutant Dominic Cooke a hérité de l'affaire et convaincu McEwan de rédiger lui-même le script, lui permettant d'apporter quelques modifications au manuscrit original. Il n'empêche, il fallait du culot pour porter ce récit sur grand écran sans tomber dans le mélodrame lacrymal.

Au bout des 110 minutes du long métrage, subsistent quelques longueurs, et, pour ma part, j'aurai volontiers zappé l'épilogue qui montre les deux acteurs lourdement maquillés pour paraître sexagénaires - ou alors il me semble qu'il aurait été préférable que des interprètes de cet âge les remplacent pour ce final. L'effet est raté et gâche un peu ce dénouement.

Mais, avant cela, c'est un sans-faute : la narration qui alterne la lune de miel dans un hôtel de Chesil Beach et des flash-backs sur la rencontre de Florence Pontig et Edward Mayhew est habilement développée. On passe avec beaucoup de fluidité et de tension mêlées du coup de foudre au malaise prégnant entre les deux tourtereaux qui ont confondu leur amour avec la vie conjugale, qui se sont engagés sans se connaître vraiment, sans mesurer justement le fossé socio-culturel qui les sépare.

McEwan suggère avec une admirable subtilité des éléments qui, chez d'autres, péseraient des tonnes de pathos, comme la maladie de la mère de Eddie (dont on comprend bien le drame tout l'abordant de manière très délicate) ou les soupçons d'abus sexuels du père de Flo sur ladolescente qu'elle fut (et qui explique, rétrospectivement, sa frigidité).

Quand arrive le pic du film avec l'explication entre quatre yeux des tous frais époux, après le fiasco de leur première fois au lit, la simplicité des dialogues et la puissance tranchante des mots résument parfaitement l'acuité de McEwan pour dévoiler la frustration des protagonistes. Le marché que propose Florence à Edward devient alors tellement insensé que la réaction du jeune homme est moins dure qu'inévitable : plus qu'inacceptable, le deal est impossible, même si Flo aime sincèrement Eddie et qu'il s'en apercevra plus tard.

La réalisation de Cooke a le bon goût de ne rien souligner. C'est ce qu'il faut. Il a deux Stradivarius devant son objectif et il suffit d'enregistrer leurs prestations au cordeau pour que le film s'élève vers des sommets tout seul.

Billy Howle est la révélation brute et touchante de l'histoire : on compatît complètement à sa situation tout en pressentant dès le début qu'il commet une erreur. Mais cette "erreur" a le visage d'une pureté absolue de Saoirse Ronan, et qui y résisterait. La jeune comédienne confirme son excellence après Lady Bird : sa sensibilité, sa beauté éthérée, son élégance et sa justesse sont confondantes. Elle brille sans éclipser son partenaire - au contraire, elle fait ressortir son côté brut par sa fragilité.

Même si certains esprits chagrins ont reproché à McEwan, et par ricochet à Cooke, d'accabler Florence et de mésestimer le stress lié à la sexualité pour une jeune femme, surtout dans les années 60 corsetées, Sur la plage de Chesil est une vraie oeuvre romantique et romanesque, sublimement incarnée et écrite.

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