jeudi 14 février 2019

JUSTICE LEAGUE DARK #8, de James Tynion IV et Alvaro Martinez


Justice League Dark entame un nouvel arc qu s'annonce comme la fin du premier acte de James Tynion IV sur la série. Le scénariste joue gros en voulant synthétiser des éléments qui (m')ont à moitié convaincu. Il peut compter sur Alvaro Martinez pour le soutenir. Mais est-ce suffisant ?


Grâce au rubis de la vie de Sargon qu'a envoyé depuis l'au-delà Giovanni Zatara à sa fille, Zatanna, via Man-Bat, Wonder Woman compte trouver avec son amie le puissant sorcier Mordru, susceptible de contrer le Dr. Fate et l'Autre Genre - qui vient de neutraliser Felix Faust.
  

Man-Bat, écarté des opérations sur le terrain, veut, lui, exploiter une autre piste en jetant un sort au vase récupéré chez Fate, dans lequel est enfermé Khalid Nassour, le dernier hôte humain du magicien (désormais possédé par Nabu).


Zatanna entraîne Wonder Woman dans un club privé où elle se produisit autrefois avec son père, repaire de magiciens et de créatures mystiques. L'endroit a hélas! déjà été visité par l'Autre Genre et Papa Mid-Nite, le gérant, met en garde les deux héroïness au sujet de Mordru, qui ne se laissera pas dicter facilement sa conduite.


Pendant ce temps, Bobo et Traci Thirteen ont réuni au bar Oblivion tous les magiciens et sorciers possibles pour faire front commun. Mais l'arrivée de Jason Blood/Etrigan provoque des tensions avec Swamp Thing. Juste avant que l'Homme Inversé et d'autres démons débarquent.


Simultanèment, Bobo évacue un maximum de ses clients et Man-Bat ramène dans notre monde Khalid Nassour. Ce dernier avertit Kirk Langstrom que le Dr. Fate/Nabu sait déjà où les magiciens vont se réfugier et il les privera de leurs pouvoirs pour rétablir l'Ordre...

Justice League Dark selon James Tynion IV ressemble à tout sauf au "dream project" que voulait tant écrire le scénariste. C'est plutôt, à la place, une série laborieuse, alternativement spectaculaire et ennouyeuse, mais dont les échecs frappent plus que les réussites. Le principal raté demeurant que l'équipe elle-même ne fonctionne pas : elle n'intervient d'ailleurs plus en tant que telle, ses membres étant éparpillés en différents endroits sans coordonner leurs efforts.

Ce constat est sidérant car ce que Tynion IV avait si bien orchestré avec les "Gotham knights" de Detective Comics, il semble incapable de le reproduire dans le cadre magique de la JLD avec sa bande de héros dysfonctionnels. Pourtant il paraît avoir eu le choix de son casting, mais aujourd'hui, le compte n'y est pas : le titre s'appuie sur des binômes (Zatanna-Wonder Woman, Bobo-Swamp Thing) et un personnage dont la présence demeure une énigme (Man-Bat, réduit à monologuer dans un bureau du Hall de Justice et dont l'apparence physique n'a plus rien à voir avec la silhouette menaçante de l'ancien verso de Batman.

L'intrigue, elle, est incroyablement brouillonne, avec d'un côté Dr. Fate en shérif de l'Ordre, qui décide de priver les magiciens de leurs pouvoirs au prétexte qu'ils font n'importe quoi avec, et alors qu'en même temps un danger considérable menace ces mêmes magiciens avec l'Autre Genre, lui aussi désireux de siphonner la magie mais pour refaçonner la réalité. La JLD est à la fois incapable de fédérer les magiciens contre ces deux adversaires et de former une première ligne de front contre eux (Zatanna ne veut plus risquer de jeter des sorts trop puissants car elle craint d'ouvrir de nouvelles portes à l'ennemi... Qui ne l'a pas attendu pour commencer à entrer dans notre dimension).

Les seules fois où Tynion IV a convaincu, c'est quand il est sorti des rails de cette intrigue mal foutue, lors d'un dyptique dans le royaume de Myrra, en souvenir de Nightmaster et en compagnie de Blue Devil - deux épisodes où flottait l'ombre du Shadowpact de Bill Willingham, une série plus habile avec la magie et avec une équipe bien meilleure.

Avec ce nouvele arc, qui débute ici, le scénariste semble vouloir mettre en scène un double affrontement, qui devrait règler les questions de l'Autre Genre et de Fate/Nabu en même temps (peut-être en en se servant des magiciens comme appât pour les deux méchants de l'histoire). Mais ça commence encore sur la pointe des pieds et sur une mise risquée - le sorcier Mordru recherché par Zatanna et Wonder Woman, apparemment considéré comme le seul individu assez puissant pour Fate et l'Autre Genre, mais présenté comme un type qui l'obéit qu'à lui-même.

La série a de la chance d'avoir Alvaro Martinez comme dessinateur car c'est lui la vraie attraction : ses planches sont superbes, dotées d'un encrage et d'une colorisation magnifiques, avec des compositions sophistiquées, une atmosphère intense, une élégance assez bluffante.

Mais à vrai dire l'espagnol, s'il en met plein la vue, ne peut pas non plus sauver tous les meubles. Il n'est pas le narrateur de ce récit, pas son architecte, et il y a quelque chose de frustrant à voir un artiste de ce niveau aux prises avec un script pareil. Les deux meilleurs épisodes, il a dû les céder à un remplaçant (Daniel Sampere). Frustrant.

En vérité, mon sentiment sur cette série, c'est qu'elle est conçue contre son sujet : Tynion IV a sans douté effectivement désiré cet univers, ces personnages, mais il n'y comprend rien, il les anime mal, et ne doit son salut qu'à son exceptionnel artiste. Or, pour faire croire à un numéro de prestidigitation, il faut que le magicien le premier y croit sinon le public s'ennuie, n'en voit pas le bout. C'est parce qu'on ne voit pas où veut en venir Tynion IV avec ces héros, ce cadre, qu'on n'est pas captivé par sa JLD. On ne voit pas dès lors comment ce groupe peut gagner (sinon, effectivement, qu'avec un allié providentiel et à la hauteur des enjeux) : le suspense que devrait générer ce déséquilibre entre les bons et les méchants se transforme en une succession de fuites - Wonder Woman et ses acolytes n'essayant plus depuis longtemps de se battre ensemble ou individuellement, quand ils ne sont pas systématiquement pris de vitesse.

Comme le lecteur en fait, la JLD attend Godot (ou Mordru). Mais Tynion IV a-t-il pensé à Samuel Beckett ? Pas sûr... Autant dire que le décrochage est imminent, si ce n'est inléluctable. 

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