Depuis que la romancière Virginie Despentes a désavoué la série adaptée des deux premiers tomes de sa trilogie, Vernon Subutex a subi son premier revers critique depuis sa diffusion (même si l'audience n'a pas non plus été au rendez-vous). Le résultat n'est certes pas parfait mais dénote d'une vraie audace, de parti-pris francs. De quoi se distinguer, malgré une inégalité évidente.
Vernon Subutex (Romain Duris)
Expulsé de chez lui, Vernon Subutex, ancien disquaire, se rend au concert de son ami Alex Bleach, rock star sur le retour. Il l'invite, après son passage sur scène, dans son studio d'enregistrement et ils abusent de l'alcool et de la drogue. Tandis que Vernon s'endort, Bleach enregistre une vidéo testamentaire dans laquelle il confie ses secrets et ses regrets.
Xavier (Philippe Rebbot)
Lorsque Vernon se réveille, il découvre le corps sans vie de Bleach et appelle les secours. Il fait sa déposition au commissariat après avoir rassemblé ses affaires et subtilisé les trois cassettes enregistrées par Bleach. Il demande ensuite à un vieil ami scénariste, Xavier, de l'héberger pour le week-end pendant que ce dernier part avec femme et enfant au festival de Cannes . Là-bas, il se vante auprès d'Anaïs, l'assistante d'un producteur, Dopalet, de posséder le testament vidéo de Bleach.
Emilie (Emilie Gavois-Kahn)
Viré par la femme de Xavier, Vernon s'invite chez Emilie à laquelle il n'a pas donné signe de vie depuis des années en lui expliquant s'être installé au Québec. Dopalet charge la Hyène, une détective spécialisée dans le cyber-harcélement, de mettre la main sur le testament de Bleach, qui pourrait contenir des informations compromettantes pour lui. Anaïs accorde une nuit à Vernon dont elle repousse les avances car elle ne lui pardonne pas son silence et veut se protéger désormais.
La Hyène (Céline Sallette)
La Hyène et Anaïs recherche Xavier dont elles ne possèdent qu'un vague signalement et sa profession. Son amitié avec une ancienne actrice de porno oriente leurs investigations en direction de Barcelone où Aïcha, la fille de cette ex-star du X et d'Alex Bleach, suit la Hyène. Vernon, lui, trouve refuge chez Sylvie, l'ancienne fiancée d'Alex, qui en fait son amant en échange de son hospitalité.
Sylvie (Florence Thomassin)
Sur ordre de Dopalet, Anaïs rejoint la Hyène à Barcelone pour l'aider dans son enquête. Les deux jeunes femmes deviennent amantes et apprennent par Pamela que celle qu'elle cherche est morte d'une overdose, mais surtout l'adresse parisienne de Xavier. A Paris, échouant à lire le testament de Bleach, Vernon abrège avec fracas sa liaison avec Sylvie chez qui il perd deux des trois cassettes.
Anaïs (Flora Fishbach)
Vernon rencontre ensuite Lydia, une journaliste qui veut écrire une biographie sur Bleach. Sylvie, qui l'a suivi, est furieuse et l'oblige à fuir de nouveau. La Hyène et Anaïs organisent un rendez-vous entre Dopalet et Xavier à qui il fait miroiter l'écriture d'un scénarion pour un biopic sur Bleach d'après son testament vidéo. Vernon est logée par Gaëlle, avec d'autres squatteurs, chez Kiko, un trader excentrique.
Dopalet (Laurent Lucas)
Vernon tombe follement amoureux de la maîtresse de Kiko, Marcia, une transexuelle brésilienne. Mais lorsqu'il les surprend, il met Subutex à la porte : cette fois, il est démuni et sombre dans la clochardisation. Pamela débarque à Paris et retrouve Xavier à qui elle confie son inquiétude relative à Dopalet et la Hyène et donc pour Vernon. Anaïs aussi s'interroge sur l'obsession de Dopalet pour le testament de Bleach, ce qui provoque sa rupture avec la Hyène.
Alex Bleach (Athaya Mokonzi)
Xavier tombe par hasard sur Vernon qui fait la manche et avertit Pamela. Mais le temps qu'elle les rejoigne, ils sont agressés par des voyous : Xavier est hospitalisé et placé dans un coma artificiel. Vernon donne la seule cassette qui lui reste à Pamela, lui indique que Sylvie a les deux autres et s'éloigne, bouleversée. La Hyène, qui suit Xavier, est témoin de la scène et suit Pamela chez Sylvie et leur vole les cassettes. Seule chez elle, la détective visionne le testament de Bleach.
Aïcha (Iman Amara-Korba)
Xavier sort du coma et, avec Sylvie, Pamela, Gaëlle et Sylvie, part à la recherche de Vernon. Des SDF leur indiquent où il se terre. La Hyène invite toute la bande mais aussi Aïcha, qui vient accompagnée de Anaïs, pour regarder la confession de Bleach. Ils y apprennent que Dopalet a violé et provoqué le suicide de la mère d'Aïcha tout en menaçant Bleach dans une affaire de plagiat pour qu'il se taise à ce sujet. Anaïs aide Aïcha à se venger du producteur tandis que Vernon renoue avec ses amis à l'occasion d'une fête.
Tout d'abord, je dois vous prévenir que j'ai regardé les neuf épisodes de trente minutes de la série sans avoir lu les romans de Virginie Despentes. C'est une auteur que je n'apprécie ni sur les plans littéraire ou humain, l'archétype de la "rebelle de salon" qui prétend avoir conservé son intégrité rock'n'roll tout en siègant à l'académie Goncourt.
Ses récentes déclarations sur la série la rendent encore plus grotesques puisqu'elle attaque le résultat en pointant le fait que la scénariste Cathy Verney est une proche de Vincent Bolloré (le patron de Canal +, chaîne qui a produit et diffusé Vernon Subutex), ce qui, selon elle, la disqualifie pour comprendre son oeuvre. Mais ça n'avait pourtant pas dérangé Despentes de toucher un cachet qu'on devine confortable pour vendre les droits de ses romans et même de participer à l'adaptation...
Il est plus probable que la romancière s'est estimée trahie parce que les neuf épisodes ont sacrément simplifié son histoire (dont le troisième tome a été écarté). Mais simplifier ne signifie pas dénaturer, et d'ailleurs, dans leur grande majorité, les critiques ont salué cet élagage.
Adapter, c'est par définition choisir, éliminer, prendre parti. D'autant que les romans étaient volumineux, polyphoniques, ellitptiques, d'après ce que j'ai pu apprendre. En choisissant qui plus est un format court pour les épisodes (trente minutes), il était évident que la version télé de Vernon Subutex différerait de sa version papier. C'est la célèbre formule d'Alexandre Dumas : "on peut violer l'histoire, à condition de lui faire de beaux enfants."
Néanmoins, au-delà de la polémique entre Despentes et Verney, il demeure le ressenti. Non, ce n'est pas une série extraordinaire, elle est même profondément inégale, notamment à cause de son interprétation et de ses niveaux dramatiques.
Le récit suit d'un côté l'errance de Vernon, cet ancien disquaire des années 90 que la crise a forcé à mettre la clé sous la porte et qui, expulsé de chez lui, cherche un toit chez plusieurs de ses amis d'antan. C'est un drôle de personnage que la narration tente de faire une sorte de loser magnifique, de clochard céleste, sans y parvenir vraiment - sans doute parce que ses pérégrinations durent un peu longtemps avant qu'il ne soit à la rue, démuni, et accéde ainsi à une sorte de purge spirituelle. Dans ses derniers épisodes, lorsque Vernon devient un SDF que la mort refuse, la série atteint une intensité aérienne poignante, et le visage amaigri et barbu de Romain Duris perd toute pétillance pour émouvoir fortement. L'acteur, choisi parce qu'il a incarné cette génération pré-millenial, exprime parfaitement cet homme qui chute tout en devenant philosophe et incarnant littéralement un néo-humanisme.
D'un autre côté, il y a l'enquête de la Hyène pour récupérer ce fameux testament vidéo d'Alex Bleach. Et in fine, la révélation de son contenu devient presque accessoire (même si ce qu'il confesse est terrible). Non, ce qui est plus intéressant, c'est le personnage de cette détective homosexuelle, agressive, pugnace, et pourtant intègre à l'arrivée, à laquelle Céline Sallette donne une présence fantastique. Comédienne louée par tous, elle n'a pourtant pas la carrière qu'elle mérite, et elle prouve une fois encore la subtilité de son jeu.
La qualité de la série fluctue ainsi beaucoup d'un personnage à l'autre, au fil d'un intrigue très filandreuse, dont les lignes narratives ne se rejoignent que très tard, sans éviter des détours capillotractés (le voyage à Barcelone, et donc le rôle de Pamela ainsi que celui de Aïcha, toutes deux véritables clichés sur pattes). La production a été généreuse vu son casting mais pas toujours bien inspirée : pour un excellent Philippe Rebbot (en scénariste raté mais bon copain), il faut supporter l'épouvantable numéro de la médiocre Florence Thomassin (en ex hystérique), pour l'épatante Calypso Valois et la touchante Emilie Gavois-Kahn (journaliste complice et copine lâchée), un Athaya Mokonzi caricatural en rock star défoncé.
Mais la série réserve deux fabuleuses révélations avec d'abord Iman Amara-Korba, qui parvient à dépasser les maladresses d'écriture de son personnage de gamine voilée encaissant le passé tragique et sulfureux de sa mère, et surtout Flora Fishbach, formidable Anaïs, fausse candide de l'histoire, amoureuse et méfiante. La chanteuse éclipse tout le monde et rivalise avec Duris et Sallette (avec laquelle elle partage l'essentiel de ses scènes).
On quitte Vernon Subutex partagé, saisi parfois, déçu à d'autres moments, pantois et perplexe à la fois. Ce drôle de périple est souvent artificiel, mais lorsqu'il s'en donne la peine, est aussi plein d'ironie, d'humanité. Un curieux objet, dont les ratages semblent presque faits exprès, pour coller aux égarements de sa bande de héros, rêveurs déçus mais réveillés par leur rassembleur.
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