Le sous-titre de cette critique surprendra certainement, mais c'est en partie pour ce qu'il suggère que j'ai lu et voulu écrire sur le premier et unique épisode d'Astro Hustle, sorti en Mars dernier. C'était une mini-série programmée en quatre numéros, très prometteuse, et l'attitude de son scénariste autant que la décision expéditive de son éditeur ont eu sa peau.
Aux confins de la confédération galactique, l'observatoire Giraud est le théâtre d'une fiesta alcoolisée alors qu'est repérée le vaisseau de Chen Andalou. Un robot de garde assassine tout l'équipage de la station pour dissimuler l'information.
Malgré cela, Chen Andalou va vite être retrouvé. Il se réveille au milieu d'un charnier de colons et retrouve le seul autre survivant, Donald Beloch. Chen est surpris de le voir si vieux mais comprend en étant ensuite arrêté par le capitaine Igor Roberts qu'il se réveille d'une hibernation de soixante ans !
Présenté devant un tribunal, Chen doit répondre d'un nombre invraisemblable de crimes et délits. Il plaide pourtant non coupable et insulte Roberts au passage. Mauvaise idée : c'est le gendre du juge. Qui le condamne aussitôt à mort.
Reconduit en cellule, Chen assiste à la visite de la grande duchesse Lucerne à son voisin, Braxis, accusé d'avoir enlevé la soeur de cette noble. Il refuse de révéler où il la retient. Chen implore a grâce de la grande duchesse, en vain.
Sur ce, le vaisseau du pirate Carbon John, l'autre détenu, attaque la prison et permet l'évasion de Chen tandis que Braxis affronte les gardes. Mais Carbon John s'offusque vite de l'attitude de Chen envers sa compagne, Svetlana Freya. Jusqu'à ce qu'Igor Roberts intervienne pour les stopper...
Avec son titre au lettrage disco, ses couleurs pétantes, son scénario alerte et son dessin plein d'énergie, Astro Hustle séduit immédiatement. C'est un pur divertissement, convoquant les récits de piraterie, de SF, de romance, dans un contexte futuriste.
Le script mentionne (Jean) Giraud (alias Moebius) dès le départ, et on peut lire cela comme un clin d'oeil à la saga de L'Incal, écrite par Jodorowsky et dessinée par le génial français. Le nom du héros mélange des origines asiatiques (Chen) et latines (Andalou), celui de la fiancée de Carbon John sonne slave (Svetlana Freya)... Tout ça est exotique au possible, délirant juste ce qu'il faut, mené tambour battant.
Et comme c'était prévu pour ne durer que quatre épisodes, on pouvait espérer une histoire encore épique. Oui, mais voilà, on ne lira jamais la suite et on ne connaîtra jamais la fin de Astro Hustle, car le mouvement #MeToo est passé par là entretemps et Dark Horse Comics a préféré tout annuler.
Que s'est-il passé ? Le milieu des comics a été relativement épargné par les répercussions de l'affaire Weinstein et les scandales sexuels auxquels elle fait désormais référence. Le scénariste Brian Wood a été cité dans un cas et il se fait depuis très discret, par exemple.
Jai Nitz, l'auteur de Astro Hustle, est dans le circuit depuis une dizaine d'années et a construit une carrière discrète. C'est à ses côtés que Greg Smallwood a été découvert, avec les deux volumes de la série Dream Thief, notamment, déjà chez Dark Horse. Mais tout vient d'exploser à la figure de ce scénariste au mois de Mars dernier.
Accusé de "comportements déplacés", sans plus de précisions, ce qui laisse libre cours à toutes les interprétations, Nitz a été remercié par l'éditeur et sa dernière série immédiatement annulée. Pas de procès, mais une sanction lapidaire - comme celle que subit Chen Andalou dans cet épisode (Nitz avait-il pressenti l'issue de son affaire ?).
Je ne condamnerai pas ici la libération de la parole des femmes, victimes de harceleurs, de violeurs, ou moins gravement de dragueurs lourdingues. C'est un fait avéré que l'industrie du divertissement a connu des dérives spectaculaires dans ce domaine, et il est indéniable que cela soit règlé. Devant des tribunaux, après dépot de plainte et procès.
Mais il n'empêche que les mouvements issus de #MeToo ont montré d'autres dérapages de la part de plaignantes dont les soucis n'étaient pas toujours aussi graves (et graveleux) que ceux des victimes de Weinstein. Woody Allen est désormais black-listé en Amérique à cause des déclarations très douteuses d'une de ses filles adoptives et de son ex-femme, au même titre que Roman Polanski.
J'ignore ce qu'a exactement fait Nitz, mais ce qui me dérange, dans tous les cas de figure possibles, c'est la condamnation sans appel, sans possibilité de se défendre, la sanction expéditive dont il a fait l'objet. Que son éditeur ait estimé ne plus pouvoir publier son travail aussi vite après les accusations dont il fait l'objet me semble disproportionné. Et atteste qu'on est entré dans une époque où il n'est plus possible apparemment de distinguer l'artiste de l'homme, ou l'auteur du présumé délinquant.
A l'échelle de la série, cela nous prive d'une histoire qui n'était de toute façon pas prévue pour durer très longtemps - ironiquement, le quatrième et dernier épisode de Astro Hustle aurait dû sortir ce mois-ci. Cela a également mis son dessinateur, qui n'avait rien à se reprocher lui au cômage technique : j'ai découvert son travail sur Tumblr et ainsi j'ai appris l'existence de cette série, et l'origine de son annulation.
Tom Reilly est peut-être celui qui a perdu le plus dans tout ça : c'est un jeune artiste de talent, dont le style n'est d'ailleurs pas sans rappeler Smallwood à ses débuts. Il s'inscrit dans cette "école" qui compte Samnee, Romero, inspirée par Alex Toth, avec un trait simple, élégant et vif. Son travail est un régal. Il faut souhaiter qu'il rebondisse vite, sans que son nom ne soit entâché par la conduite supposée de son scénariste.
J'espère avoir été clair et juste et mesuré. Il ne s'agit pas d'une tribune anti #MeToo. Mais d'une critique sur un système qui, en voulant punir, transforme des accusés en coupables. Et de simples comics en oeuvres martyrs.
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