dimanche 2 juin 2019

90'S, de Jonah Hill


Jonah Hill est étonnant : après un début de carrière dans des comédies régressives, le voici qui se pique d' "être lui-même". Déjà excellent dans la mini-série Maniac, il signe donc sa première réalisation, très autobiographique et mélancolique mais aussi solaire avec 90's. Même si le skateboard ne vous intéresse pas, ne passez pas à côté de ce chef d'oeuvre miniature !

Stevie (Sunny Suljic)

Stevie, treize ans, vit à Los Angeles au milieu des années 90, avec sa mère célibataire Dabney et son frère ainé, Ian, qui le brutalise. Alors qu'il se promène en vélo du côté de la Motor Avenue Skateway, il aperçoit une bande de skatteurs qui le fascine. De retour chez lui, il obtient un peu d'argent de son frère et file s'acheter une planche à roulettes.

 4thGrade, Ray, Ruben, Stevie et Fuckshit (Ryder McLaughlin,
Na-Kel Smith, Gio Galeca, Sunny Suljic, Olan Prenatt)

Dans le magasin, il se lie d'amitié avec Ruben, un adolescent, membre de la bande de skatteurs qu'il a remarquée et à qui il est présentée : il y a là 4thGrade, Fuckshit et Ray, le plus âgé et le plus doué. Stevie est surnommé "Sunburn" et intégré au groupe malgré son inexpérience et sa jeunesse, ce qui provoque la jalousie de Ruben.

 Estee et Stevie (Alexa Demie et Sunny Suljic)

En s'entraînant avec les garçons, Stevie tente une figure acrobatique et se blesse à la tête. Dabney, sa mère, s'inquiète de ses relations et Ian, son frère, le suit jusqu'à ce qu'il se fasse rembarrer par Fuckshit. Stevie commence à fumer et à boire, suivant les membres de la bande dans des soirées. C'est ainsi qu'il rencontre Estee, qui lui fait perdre sa virginité.

 Stevie et Dabney, sa mère (Sunny Suljic et Katherine Waterston)

Le comportement de plus en plus rebelle de Stevie irrite Ian, qui le tabasse. Puis Dabney, excédé, surgit dans le magasin de Ray et lui ordonne de ne plus fréquenter son fils. Mais Stevie désobéit à sa mère et retourne auprès de ses amis.

 Stevie et Ray

Remarquant la tristesse de Stevie, Ray tente de le réconforter en lui expliquant qu'il n'est pas le plus mal loti de la bande : 4thGrade est issu d'une famille très pauvre, Ruben a une mère toxicomane et violente, Fuckshit boit et et fume trop, et lui-même a perdu dans un accident de la circulation son frère cadet. Ray organise ensuite une fête à l'arrière du magasin pour attirer d'éventuels sponsors.

 Ian et son frère cadet Stevie (Lucas Hedges et Sunny Suljic)

Fuckshit, jaloux de l'intérêt suscité par Ray, lui fait honte en se soûlant et Ruben en vient aux mains avec Stevie. La soirée se termine de façon morose jusqu'à ce que Fuckshit invite les autres à une soirée chez des filles. Mais, sous l'emprise de la drogue, il perd le contrôle de son véhicule.

La bande de la Motor Avenue Skateway

Hospitalisé, Stevie s'en sort avec seulement un bras cassé. Dabney découvre que les membres de la bande ont passé la nuit dans la salle d'attente et les invite à aller voir son fils. Ian se réconcilie avec son frère avant de s'éclipser. 4thGrade montre alors à ses amis le film qu'il a fait sur eux, intitulé "Mid90's".

Des "coming of age stories", on en a tous vues un paquet : ces récits initiatiques, souvent inspirés par la propre jeunesse du cinéaste, sont un genre en soi. Alors qu'est-ce qui distingue l'effort de Jonah Hill, dont c'est le premier film ? Sans doute d'être frappé par la grâce.

Et cette grâce est en quelque sorte incarnée par Sunny Suljic, le tout jeune comédien amateur qu'il a choisi pour jouer Stevie "Sunburn", son double à l'écran. Avec sa tignasse et son air à la fois espiègle et mélancolique, on ne peut qu'être attendri par ce gamin lumineux, subtilement dirigé, qui n'a vraiment rien d'un de ces enfants prodiges façonnés par l'industrie hollywoodienne, qui donne toute sa sincérité au projet. 

On pense souvent à Jean-Pierre Léaud dans Les 400 coups de François Truffaut car Stevie vit entre une mère célibataire et souvent absente et un grand frère frustre et maniaque. Il aspire à sortir de ce cadre et il est fasciné par une bande de skatteurs dont l'intrépidité et la liberté mais aussi l'esprit de camaraderie correspondent à ses rêves.

Pourtant il a à peine de quoi se payer une planche à roulettes et tient difficilement debout dessus. Mais il est têtu et se relève après chaque chute, y compris quand il manque de s'ouvrir le crâne pour avoir voulu prouver qu'il n'avait pas peur de sauter s'un toit. Comme le lui dira Ray, le plus âgé, le plus doué et le plus sage du groupe, à la fin du film, jamais il n'a vu quelqu'un encaisser autant que lui.

Le sentiment d'attendrissement qu'on éprouve alors pour Stevie est indissociable de l'affection qu'on a pour ce film, solaire et nostalgique, jamais passéiste mais lucide, situé à une époque où, pour Jonah Hill, "nos vies et nos loisirs n'étaient pas dictés par des algorithmes et des GPS". Ce n'est pas un âge d'or non plus : les membres de la bande sont socialement déclassés et ont traversé/traversent encore des moments très durs (misère sociale, affective). Ce qui les tient debouts, c'est le groupe, une entité à part entière, une famille choisie, de coeur.

Cela ne va pas sans accrocs : Ruben, qui introduit Stevie dans l'équipe, le jalouse vite en observant qu'il lui prend sa place ; Fuckshit, le beau parleur à la crinière dorée, envie l'intérêt que des sponsors ont pour Ray ; 4thGrade aspire à devenir un cinéaste mais est le premier à se dénigrer. Et cette existence parallèle que mène Stevie a des répercussions sur sa vie de famille : son frère Ian, bloc de frustration et de maniaquerie, le brutalise ; leur mère, Dabney, est absente et impuissante. Mais les deux groupes se retrouvent au chevet de Stevie après un accident de voiture dont il se sort miraculeusement - et qui ressoude les liens de tout le monde, frères, mère-fils, amis. Un dénouement simple et bouleversant.

Tout procède ainsi dans Mid90's (le titre original), sans avoir l'air d'y toucher mais en vous serrant le coeur, en vous faisant sourire aussi. Un autre moment magique, et formidablement narré, avec infiniment de tact, est celui du dépucelage de Stevie par Estee, (jouée par Alexa Demie), jeune fille un peu plus âgée que lui et formatrice souveraine.

La distribution réunit des débutants prodigieux, dont le charismatique Na-Kel Smith (Ray), mais aussi deux acteurs confirmés en la personne de Katherine Waterston (la partenaire de Norbert Dragonneau dans Les Animaux Fantastiques), excellente, et Lucas Hedges, dans le rôle du frangin (très bien aussi, même si Hedges ne fait que jouer ce genre de rôles - voir Manchester by the sea, Lady Bird, Ben is back).

Concis (à peine 85 minutes au compteur), dur et doux à la fois, le premier essai de Jonah Hill derrière la caméra est un coup de maître. Un réalisateur à suivre de près est né.   

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