jeudi 12 septembre 2019

POWERS OF X #4, de Jonathan Hickman et R.B. Silva


N'espérez pas en ouvrant ce quatrième épisode de Powers of X une suite aux dramatiques événements de House of X #4 sorti la semaine dernière car Jonathan Hickman a visiblement prévu de jouer avec nos nerfs. Mais aussi voulu nous surprendre, en prenant le contre-pied total à sa manière de narrer jusqu'ici. Mais si vous acceptez d'être dérouté, alors, en compagnie des dessins superbes de R.B. Silva, vous ne le regretterez pas.


X-Men, An 1. Charles Xavier et Magneto se rendent sur l'île de Mister Sinister alias Nathaniel Essex. Ce généticien, qui collecte frauduleusement l'ADN de tout le monde, vit entouré de ses clones et se voit proposer une offre étonnante par ses visiteurs.


Xavier lui demande de concentrer ses efforts sur l'ADN mutant pour l'analyser. Sinister ne trouve pas cela intéressant puis se ravise quand il a éliminé le clone à qui s'adressait Magneto et le Pr. X. Ce dernier efface néanmoins le souvenir de cette entrevue de la mémoire d'Essex, qui se réactivera le moment venu.


X-Men, il y a quelques mois. Le Pr. X (valide) emmène Doug Ramsey/Cypher sur Krakoa dans l'espoir qu'il puisse communiquer avec l'île de manière plus élaborée que lui par télépathie. Cypher découvre les secrets de l'origine de l'endroit.


Initialement composée de deux entités rivales (Arakko et Krakoa), l'île a été pacifiée par Apocalypse et ses quatre cavaliers. A présent, seul puis ensuite avec l'aide d'autres mutants, Cypher établit un moyen de dialoguer avec Krakoa selon les plans du Pr. X.


X-Men, An 1000. Les Phalanx acceptent d'accorder l'ascension aux Anciens. Ceux-ci, grâce une ruse de leur leader, deviennent la première entité biologique à être assimilée. Il leur faut désormais attendre de savoir s'ils sont acceptables pour être intégrés définitivement à ce système.

Après avoir enchaîné plusieurs épisodes particulièrement dramatiques sur plusieurs époques différentes, Jonathan Hickman semble avoir voulu déjouer les attentes des lecteurs. Il revient en effet à une construction narrative typique des premiers volets de Powers of X mais en modifiant sensiblement le ton et en creusant un thème récurrent à travers les âges explorés.

Il ne faut donc pas s'attendre à lire une suite directe aux événements tragiques de House of X #4 ici. C'est une façon de nous frustrer (de nous torturer) sur le sort réel des X-Men morts durant l'opération sur la station Orchis, mais surtout de ne pas trop plomber le récit en s'attachant à conserver une complémentarité entre HoX et Powers of X.

L'épisode se découpe en trois parties distinctes, mais subtilement reliées par un fil rouge. D'abord, Charles Xavier et Magneto rencontrent Mister Sinister pour lui demander de collecter et d'analyser l'ADN des mutants. Xavier manipule l'esprit de Sinister pour qu'il livre les résultats de ses travaux seulement au moment voulu et cela renforce la théorie selon laquelle le professeur a sans doute beaucoup joué avec les sentiments de ses proches (comme, peut-être, quand il a envoyé Cyclope et son commando pour une mission suicide sur Orchis ?). Mais c'est raccord avec le personnage qui, dans la continuité, est réputé pour son rôle de marionnettiste.

Ce qui surprend davantage, c'est le style employé pour croquer Mister Sinister. Hickman en fait une sorte de bouffon suffisant, entouré de clones de lui-même (répliques au caractère capricieux et sacrifiables), et jouet du télépathe. C'est que, faut-il le rappeler, Xavier évolue avec la connaissance des vies antérieures de Moira et sait donc de quel bois est fait Nathaniel Essex. Il sait en particulier qu'il a créé les "chimères" en essayant de doubler le régime de Nimrod et la méfiance de Karima Shapandar, avant d'être démasqué et exécuté. En requérant ses services aussi précocement, Xavier désamorce non seulement la menace que représente Sinister mais aussi prévient son échec futur.

Cela confirme aussi la hiérarchie implicite des mutants dans la dixième vie de Moira : Xavier est le guide suprême, qui suit un plan bien défini à partir des informations fournies par les précédentes incarnations de Moira McTaggert. Magneto est le général, il accompagne Xavier pour veiller au bon déroulement des opérations (au besoin en démontrant sa force comme quand il force l'entrée du repaire de Sinister). Cyclope, comme on l'a vu les deux dernières semaines, est le commandant, il mène les troupes sur le champ de batailles.

Cette incursion dans le registre comique est vraiment étonnant mais présente le mérite d'alléger une histoire qui risquait de s'enliser dans la gravité. Hickman se moque plaisamment de quelques aspects folkloriques et parfois grotesques des mutants (et des super-héros/vilains en général), comme le port de la cape (véritable gag de cette première partie).

La deuxième partie reste légère sans aller aussi loin. La visite de Krakoa par Doug Ramsey/Cypher intervient comme une séquence qu'on aurait coupée au montage - ou plutôt qu'on aurait déplacée pour la rendre plus significative. Interrogé sur le mutant qu'il jugeait le plus important et le plus sous-estimé, le scénariste a répondu sans hésiter qu'il s'agissait de Cypher et on comprend totalement pourquoi désormais, car le langage et ses nuances sont au coeur du propos de Hickman.

Nous sommes bien avant l'installation des mutants sur l'île vivante et son expansion (décrite dans HoX #1). Le Pr. X a localisé l'endroit et dans son dialogue avec Cypher, le lecteur peut comprendre que les X-Men y ont déjà opéré, lors de missions qui ont coûté la vie à certains d'entre eux ("l'île où viennent mourir les mutants."). Depuis, Xavier a établi un contact avec Krakoa mais leur dialogue reste primaire, sommaire. Doug Ramsey doit établir un lien plus subtil avec elle, un véritable système de communication, qui permettra aux X-Men et à l'ïle de devenir de véritables interlocuteurs, des partenaires avec un objectif commun.

Mine de rien, cette séquence pose les fondations de tout le projet de Hickman en nous expliquant le moment où tout a démarré, où Xavier a décidé que Krakoa passerait du statut d'île à celui de Nation X, avec l'accord de cet organisme vivant. Il expose aussi les origines même de Krakoa de manière très synthétique en dévoilant qu'elle fut constituée de deux entités divisées par un schisme... Auquel Apocalypse mit un terme avec ses quatre cavaliers. On devine alors aisément comment, à partir de ce fait découvert par Cypher, la prochaine rencontre décisive de Xavier et Magneto aura lieu avec En Sabbah Nur (il figure d'ailleurs en couverture de HoX #5, qui sortira la semaine prochaine).

La fluidité avec laquelle Hickman dispose ses pions et entraîne le lecteur est un pur régal. Cela permet également de préparer à la dernière partie de l'épisode, la plus cryptique puisqu'on retourne mille ans dans le futur. Nous retrouvons cette étrange peuple à la peau bleue en compagnie des Phalanx à qui il demande l'ascension - en fait un processus d'assimilation rendu complexe parce que les Phalanx n'intègrent que des organismes technologiques supérieurement évolués et non des entités biologiques. Mais une ruse va peut-être modifier ceci, à condition malgré tout, in fine, que les candidats soient jugés "acceptables". Le sens de tout ça, dans le grand ensemble que constitue le diptyque HoX-PoX reste très mystérieux, et j'avoue humblement, ne pas l'avoir deviner, mais si Hickman continue d'y consacrer ces pages, ce n'est pas pour rien. Surtout, je crois que le point commun avec ce qui a précédé tient à la notion d'intégration et d'expansion : comme Xavier, Magneto, Krakoa, Cypher, Apocalypse, ces êtres futuristes veulent être une partie d'un grand tout pour leur survie et cela passe par un plan ambitieux et risqué.

RB Silva dessine tout cela magistralement. Contrairement à Larraz, il n'a pas de scène d'action à illustrer, toute son attention est requise pour des dialogues, des scènes d'exposition, des évocations. Pour servir ce genre de script, il faut un artiste sachant rendre justice aux expressions traduisant les émotions traversant les personnages et en bon émule d'Immonen (même s'il me semble que Silva s'en émancipe progressivement), c'est chose faite.

Visuellement, la deuxième partie, sur Krakoa, est la plus accomplie : Silva sait donner de l'ampleur à ses images, pour représenter l'île, sa végétation abondante, ou la matérialisation de son esprit (fantastique visage dans la roche). Le contraste avec les silhouettes minuscules de Xavier et Cypher est saisissant, on perçoit instantanément le potentiel du site et on accepte sans mal ce qu'il est devenu dans HoX #1. Une data page résume tout le travail accompli par Cypher, mais aussi le Fauve, Sage, Trinary pour transformer, améliorer Krakoa.

Le flash-back sur les origines de l'île est très efficace aussi, c'est du pur Hickman magnifiquement illustré (le scénariste est, un peu comme Kirby, fasciné par les fondateurs mythiques). Et la colorisation de Marte Gracia est sublime, avec des rouges flamboyants, très opéra.

Le seul regret qu'on a finalement, c'est que, mine de rien, la fin approche. Quatre épisodes, toutes séries confondues, et ce sera bouclé. Place alors à Dawn of X. Mais, d'ici là, surtout, on verra si Hickman aura tenu son pari de rénover complètement le monde des mutants. Reconnaissons tout de même que c'est très bien engagé.    

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