lundi 9 septembre 2019

MARVEL COMICS #1000


Marvel Comics vient de fêter ses quatre-vingt ans et pour l'occasion l'éditeur a publié un numéro mille (numéro sorti d'on ne sait où, si ce n'est pour ironiser un peu puérilement sur les millièmes épisodes de Detective Comics et Action Comics chez DC). Le résultat ne vaut cependant pas les efforts de la "Distinguée Concurrence" : quatre vingt pages et autant d'artistes très décevantes et inégales, qui donnent surtout l'impression de tenir entre les mains un énorme teaser pour un futur event, ponctué de quelques rappels historiques.

Je choisis de vous en parler sans en dresser une critique traditionnelle car la forme de l'ouvrage décourage le procédé. Mais si critique il devait y avoir quand même, elle concernerait surtout le prix : il vous faudra débourser 9, 99 $ pour posséder ce comic-book ! Une somme sans rapport avec la qualité ou la quantité.


Comme je n'aime pas tailler pour tailler, je vais quand même mettre l'accent sur ce qui fonctionne le mieux, avec une sélection de pages parmi les plus réussies. La contrainte d'un récit en une page n'autorise pas l'à peu près et à ce jeu, seuls les meilleurs tirent leur épingle. Par exemple, cette évocation illustrée de Captain America par Mark Waid et John Cassaday... Mais dont le texte a été censuré par l'équipe éditoriale !


Ensuite, Marvel a convaincu les Immonen (Kathryn et Stuart) pour la fête : depuis la fin du contrat de l'artiste canadien, celui-ci est très discret (on put lire sa nouvelle oeuvre chaque Lundi sur Instagram, un vraie bizarrerie intitulée Grass of Parnassus). Avec sa femme, il anime Patsy "Hellcat" Walker en se fichant ostensiblement de l'anniversaire ou de la chronologie et ce geste iconoclaste fait du bien (même si ce n'est pas exceptionnel).
  

En vérité, c'est lorsque les auteurs déconnent franchement qu'on apprécie le plus ce format. Par exemple quand Joe Hill (le fils de Stephen King) et Mike Allred blaguent avec Dr. Strange qui a quelque problème à laver sa cape magique.


Comme je le dis plus haut, la contrainte paralyse ou motive : dans le cas de Kieron Gillen, mentionner les débuts de Journey into Mystery grâce à Loki, l'exercice reste simple mais merveilleusement intrigant, sublimé par Doug Braithwaite.
  

Réunissez un scénariste à la culture comics impressionnante - Kurt Busiek - et un dessinateur de génie - Steve Rude - et vous avez la Chose des Fantastic Four qui répond à la question "pourquoi je suis un super-héros" en une planche très fournie mais virtuose.


Retour à la comédie pure avec cet échange téléphonique hilarant entre Spider-Man et Otto Octavius, mitonné par Phil Lord & Christopher Miller et les dessins de Javier Rodriguez (bien plus épatant que son compatriote, Marcos Martin, avec le même personnage).


Au rayon "retrouvailles", Gerry Duggan refait équipe avec Chris Samnee (toujours sans éditeur lui aussi depuis la fin de son contrat chez Marvel), qui signe un page magnifique sur la résurrection de Captain America.
   

Peut-être le chef d'oeuvre du lot : Kelly Sue DeConnick et David Lopez refont équipe pour un "gaufrier" de douze cases sur Captain Marvel, impeccablement découpé.


Brad Meltzer écrit une autre page avec Spidey très inspiré, que Julian Totino Tedesco sublime en couleurs directes - prouvant qu'il est aussi bon en art séquentiel que pour ses couvertures. C'est concis, fun, touchant, dynamique.


Enfin, il y a cette pépite qui donne vraiment envie que Kelly Thompson et Pepe Larraz aient l'occasion d'en dire plus au sujet d'Elsa Bloodstone.

Mais pour quelques gemmes, que de déchet !

Al Ewing est le "mastermind" de cette affaire : actuellement en pleine bourre grâce à la série The Immortal Hulk, le scénariste a imaginé une sorte de fil rouge qui court sur tout l'ouvrage. Il est question d'un Masque d'Eternité, légué par Eternity lui-même (une entité cosmique surpuissante), passant de main en main depuis des siècles et qui confère à celui qui le porte le pouvoir d'être l'égal de celui qu'il a en face de lui. Le revers de la médaille : une fois qu'il enlève le masque, il meurt (pas de chance).

La métaphore est signifiante au possible : avec cette cagoule sur la tête, vous devenez le héros de l'histoire. Ewing illustre ceci avec la subtilité d'un pachyderme et on devine vite que Marvel veut réintroduire le Masked Raider comme une sorte de nouvel héros emblématique, dont le masque sera convoité dans un futur event (avec un liste de prétendants incluant aussi bien Captain Marvel, Jessica Jones, Namor ou Hawkeye).

Cette saga a-t-elle un rapport avec le retour programmé de Korvac, indiqué à l'ultime page ? Bizarrement, pour une nouveauté, tout ça a un furieux air de déjà-vu (le lointain passé du masque, la saga de Korvac). Mais le vrai souci est ailleurs : s'agit-il de fêter les 80 ans de Marvel ou d'annoncer un event ? Dans le second cas, cela procède d'une manoeuvre qui banalise maladroitement l'anniversaire. Et, honnêtement, je ne crois guère à la pérennité du Masked Raider.

Sur un plan narratif, (trop) souvent on a droit à un personnage répondant à un intervieweur hors-champ. Seul Busiek et Rude se sortent de ce format avec habileté. A côté de ça, on a une curiosité avec la page sur Black Panther par Christopher Priest et Brian Stelfreeze dans laquelle le scénariste semble presque se plaindre de la popularité actuelle du personnage et considère avec mépris les fans attaché au héros depuis son adaptation cinématographique.

Par ailleurs, deux périodes se détachent : d'abord de 1939 à 1961 et ensuite 1961-2019 (soit la naissance et le développement de Marvel Comics). Là, ce qui agace, c'est que la consigne a clairement été de célébrer l'empire Marvel, en affirmant que tout a été bon, sans distinction. En prime, Conan et Star Wars sont intégrés à Marvel Comics comme s'ils en avaient toujours fait partie !    

A la toute fin, une liste complète des créateurs de la "Maison des Idées" omet Martin Goodman, rien moins que le fondateur de Marvel. Puis les crédits du numéro pointe des absents étonnants comme Mark Millar, Matt Fraction, Ed Brubaker, Greg Rucka, Rick Remender (que l'éditeur n'a sans doute pas jugé dignes de participer). Brian Michael Bendis n'est pas là non plus (pourtant je suis sûr que DC l'aurait laissé écrire une page). Et, bien que C.B. Cebulski ne cesse de promettre que John Byrne est le bienvenu, il n'a pas été sollicité non plus ! Faut-il en rire ou en pleurer ?

On notera aussi le peu de femmes engagées dans ce projet (pas de place pour June Brigman...), alors que Kathryn Immonen, Kelly Thompson, Kelly Sue DeConnick ou Gail Simone ont rédigé parmi les meilleures pages de ce numéro.

Marvel a beaucoup promis avec ce fascicule, notamment en annonçant plusieurs mois à l'avance ses équipes créatives. Mais la forme est frustrante et peu innovante. J'aurai aimé une construction plus originale et ludique (un cadavre exquis ?), peut-être moins de monde mais plus d'espace pour chacun (Ewing se taille la part du lion avec pas moins de vingt-trois pages !), et moins d'auto-promo (qu vient faire là cette page rappelant la sortie ciné du premier Iron Man ?), moins de teasing pour le futur event...

Il y a du beau monde dans ce #1000, mais peu d'esprit. Dommage. 

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