vendredi 10 novembre 2023

G.O.D.S. #2, de Jonathan Hickman et Valerio Schiti


C'était il y a un mois et ça m'a semblé une éternité : c'est peu dire que j'étais impatient de retrouver G.O.D.S. après un formidable premier épisode. Cette fois, Jonathan Hickman et Valerio Schiti lèvent un peu le pied avec "juste" un numéro de trente pages et moins d'action. Mais c'est encore un plaisir que de lire cette histoire qui, on le devine, en a sous le capot.


Université de Columbia. Aika Maki, représentante de l'Ordre-Naturel-des-Choses, glisse une carte à une étudiante, Mia di Maria. Celle-ci, curieuse, se glisse dans le sous-sol de la bibliothèque le soir venu et y retrouve Aiko qui l'invite dans la Bibliothèque des Mondes et lui explique vouloir la recruter pour l'observer car elle est une grande magicienne en puissance...


S'il y a bien une chose dont on a le confirmation en lisant ce deuxième épisode de G.O.D.S., c'est que Jonathan Hickman a initié quelque chose sur le long terme. On ignore pourtant toujours si le titre sera une ongoing ou une série limitée, mais il évident que tout est là pour que ça dure.
 

Autre chose dont on a aussi la confirmation, c'est que G.O.D.S. ne ressemble à aucune autre série de son scénariste, et même j'oserai dire à aucune autre série tout court. Vous ne trouverez pas un objet aussi curieux et excitant en ce moment. C'est vraiment... Quelque chose.


Enfin, la troisième et dernière confirmation qu'on a en lisant cet épisode, c'est bien que Hickman, plus que Saga, ou Sandman (qui furent cités par Marvel comme des productions équivalentes), évoque New Gods de Jack Kirby. Et plus particulièrement sa relation au divin et ses échanges d'enfants.


Si le premier numéro était très consistant et mouvementé, celui-ci calme considérablement le jeu. On comprend vite que l'arrestation de Cubisk Core n'est pas une fin en soi. Désormais, Wyn, Dimitri et Dr. Strange débutent leur enquête pour savoir pour qui il travaille, quel dieu ancien il a voulu invoquer en rouvrant le Puits de Prométhée.

Dans une séquence brève, les trois limiers ramènent Cubisk Core d'où il vient et le liasse entrer dans une étrange boîte qui appartient, comme la reconnait Strange, à un Intermédiaire (In-Betweener) qui s'en sert pour faire d'un puissant magicien son serviteur. Ce sera tout pour cette partie investigations mais ça m'a donné l'eau à la bouche.

En fait, avec G.O.D.S., il ne faut pas s'attendre à ce qu'on vous fournisse des réponses faciles et rapides. Hickman mise sur la patience, l'intérêt du lecteur. Et comme pour sceller un pacte entre lui et nous, il place ses personnages dans la même situation : Wyn, Dimitri et Strange n'en savent pas (ou guère) plus que nous. Nous avançons à leur rythme.

Ce qui surprend aussi, outre le fait que Hickman ne recourt pas à des data pages, des diagrammes, comme il en a l'habitude, au profit d'une narration plus linéaire et directe, c'est que la série ne s'inscrit pas dans un registre forcément spectaculaire, grandiose. C'est même plutôt terre-à-terre, à hauteur d'homme. On n'est pas non plus noyé dans un jargon pseudo-mystique ou scientifique pour faire malin ou complexe. Et c'est très appréciable tout en coupant l'herbe sous le pied des détracteurs de Hickman qui lui reprochent son côté froid, distant, trop intello.

Mais la majeure partie de l'épisode est consacrée au duo Aiko Maki - Mia del Maria. Aiko est donc l'ex-femme de Wyn et représente l'Ordre-Naturel-des-Choses (la force qui contrebalance le Pouvoir-en-Place dont Wyn est l'avatar). On apprend au tout début que cette organisation qui incarne la science a un dieu mais que celui-ci, observant la décimation de ses troupes, exige de son subalterne le plus direct, le Dr. Saint-Maur Cercle, qu'il recrute.

Aiko est chargée de cette mission. Et on va voir qu'il ne s'agit pas d'enrôler une scientifique mais un magicien. C'est ainsi que G.O.D.S. renvoie à New Gods de Kirby. Wyn a à ses côtés Dimitri, sorte de stagiaire donné par l'Ordre-Naturel-des-Choses, qui doit observer l'avatar du Pouvoir-en-Place, la partie magique de la cosmogonie.

Et donc, en recrutant Mia, Aiko veut avoir une magicienne à ses côtés pour l'observer et veiller à ce qu'elle devienne ce qu'elle est destinée à être. C'est exactement le schéma à la base des New Gods avec l'échange des fils du Haut-Père de New Genesis et de Darkseid d'Apokolips, le premier recueillant Orion et le second Scott Free/Mister Miracle, pour établir une paix entre les deux camps. Sauf qu'ici, la dimension guerrière disparaît au profit de l'étude et d'une recherche d'équilibre des forces en place. Sans oublier que Wyn est le seul avatar du Pouvoir-en-Place alors que l'Ordre-Naturel-des-Choses compte plusieurs Centivars.

Aiko joue avec Mia qu'elle veut attirer à elle sans la contraindre. Mia est caractérisée de manière subtile et divertissante : c'est une jeune fille très travailleuse et douée, mais pauvre, abandonnée par sa mère puis confiée aux services sociaux et qui a accédé au mérite à l'université. Toutefois, elle est en permanence sous pression car elle a conscience qu'échouer lui fermerait socialement toutes les portes. Hickman lui donne comme meilleure amie Emily, qui, elle, est issue d'une famille aisée, et qui vit dans l'insouciance que lui procurent ses privilèges.

Mia n'est pas tout de suite conquise par ce que lui offre Aiko, la visite qu'elle fait de la Bibliothèque des Mondes l'effraie même plus qu'elle ne l'émerveille, sans compter que face à cette inconnue qui sait déjà tout d'elle, elle est (légitimement) méfiante, voire irritée. Mais Aiko ne force pas les choses (comme si elle avait des plans B. Ou pas ?) : elle est plus maline que ça, elle a planté la graine de la curiosité chez Mia. Et une perspective inédite, fantastique.

Valerio Schiti dessine ce récit initiatique express avec sa maestria coutumière. Les planches se succèdent s'enchaînent avec une redoutable fluidité qui fait de G.O.D.S. un page-turner imparable. Le dépaysement est total quand on passe dans les coulisses et à ce titre la visite de la Bibliothèque des Mondes réserve son lot d'images immédiatement mémorables, avec un luxe de détails, une variété de décors, un goût dans le designs absolument remarquable.

L'artiste italien joue aussi sur une sorte d'effet miroir fascinant car Aiko comme Dimitri avec leurs costumes blancs tranchent avec l'allure bohème de Wyn ou celle de l'étudiante fauchée qu'est Mia. Ces codes couleurs et vestimentaires suggèrent de manière marrante que la science s'habille comme des laborantins chics tandis que les magiciens sont presque des gitans débraillés, sans souci d'élégance ou alors avec une élégance détachée, désinvolte. Les scientifiques se distinguent par leur uniformité, leur manque de fantaisie là où les magiciens se fondent dans le décor, peu soucieux de leur apparence.

Suivant une démarche similaire, les super-héros terriens, comme Dr. Strange (ou Dr. Voodoo et Clea qu'on aperçoit, ou même Wong), se distinguent par leurs tenues colorées et s'inscrivant dans la fantaisie propre aux comics de ce genre (la cape de Strange est un accessoire en soi qui le définit). Quant à Cubisk Core, débarrassé de son masque-casque, il révèle son visage à moitié défiguré, comme brûlé (ce qui rappelle ce que faisait subir aux nourrissons les prêtres du Temple de la Concordance/l'Eglise de l'Ascendance dans Powers of X).

Strange mais surtout Wyn observent avec une forme de désolation ce que Cubisk Core est devenu à cause de l'Intermédiaire qui l'a manipulé quand il s'enferme dans la boîte. Cette boite qui ressemble à la fois à une sorte de cube (cube = Cub-isk ?) et de cercueil, mais en tout cas bénéficiant elle aussi d'un design très soigné, épuré. On voit à ce genre de détail que rien n'est laissé ici au hasard et Schiti avait d'ailleurs expliqué sur son fil Twitter à quel point il avait mis du temps à trouver les bons looks pour les personnages, décors, accessoires, afin qu'ils correspondent à ce qu'écrivait Hickman.

G.O.D.S., c'est vraiment quelque chose. Il y a quelque chose d'irrépressiblement captivant et jouissif à lire une série comme ça, qui parvient à communiquer quelque chose d'aussi nouveau et de familier pourtant. Je vais recompter les jours en attendant la suite.

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