dimanche 28 février 2021

NEW MUTANTS #16, de Vita Ayala et Rod Reis


Depuis que Vita Ayala a pris New Mutants en main, la scénariste accomplit un boulot fabuleux et ce nouvel épisode en apporte une nouvelle preuve. Alors qu'elle doit animer un nombre important de personnages et autant d'intrigues, jamais elle ne perd le fil et nous sommes entraînés dans un récit parfaitement clair et très prenant. Par ailleurs Rod Reis est aussi le dessinateur qu'il fallait à cette série en lui donnant beaucoup de personnalité et d'audace visuelles.


Bravant les interdits de la communauté krakoane, de jeunes mutants s'amusent à emprunter les portails dimensionnels pour s'aventurer dans l'Outremonde, ignorant le danger. Mais lorsqu'ils sont surpris par Jamie Braddock dans le royaume d'Avalon, deux d'entre eux comprennent leur erreur.
 

Toutefois d'autres jeunes mutants ne sont guère plus prudents sur Krakoa. Suivant toujours le Roi d'Ombre, il acceptent ses expériences sur leurs pouvoirs. La seule à ne pas apprécier reste Scout (Gabby Kinney) qui se méfie de Farouk et des intentions.


Magik inflige, elle, une correction aux élèves qui ont harcelé leurs camarades. Pour les punir, elle les oblige à cohabiter avec leurs victimes. Au même moment, les deux fugitifs venant du royaume d'Avalon confient leur bêtise à Dani Moonstar qui part aider leur ami avec Karma.


Félina interpèle Prodigy et Eye-Boy au sujet de la résurrection, refusée par les Cinq, de son fils, Tier. X-Factor pense que dernier est encore en vie mais ne souhaite pas vivre sur Krakoa. Bouleversée, Rhane Sinclair cherche le réconfort de Dani mais celle-ci est déjà partie pour Avalon...

Ignorant ce que valait vraiment Vita Ayala avant qu'elle hérite de New Mutants, je n'avais aucun préjugé sur ses capacités à écrire la série. Ce que je savais en revanche, c'est qu'elle avait accepté une mission périlleuse puisque la série était décriée depuis que Ed Brisson avait succédé à Jonathan Hickman. Le fruit des efforts d'Ayala impressionne du coup d'autant plus.

En effet, Hickman avait suggéré, et Brisson avait essayé de le suivre, que New Mutants ne désignait plus seulement l'équipe des Nouveaux Mutants (dont deux membres ne résidaient plus sur Krakoa) mais l'ensemble des jeunes mutants de Krakoa. Autrement dit, en pilotant la série, il fallait s'engager à animer un casting pléthorique.

Ayala a donc eu la bonne idée de créer des échelons dans la jeunesse krakoane. Aux Nouveaux Mutants historiques qui étaient restés sur l'île, il fallait une mission précise et comme les mutants les plus célèbres étaient déjà bien occupés par ailleurs, alors ils seraient les professeurs de la génération suivant la leur. Cette hiérarchie a permis de structurer une série invertébrée. Et en même temps elle donnait aux Nouveaux Mutants une identité propre, ce n'était plus des X-babies, ou des juniors, ou des subalternes. Ils avaient un rôle.

Ce premier arc, intitulé The Wild Hunt ("La chasse sauvage"), doit ainsi être comprise sur plusieurs niveaux. La menace que constitue le Roi d'Ombre et ses manipulations sur quelques jeunes mutants n'est qu'une partie d'un plan plus grand. On le comprend parfaitement avec cet épisode où le thèmes de la chasse prend de nouvelles directions. Magik fait ainsi la chasse aux harceleurs et Dani Moonstar avec Karma part en chasse pour retrouver un élève dans l'Outremonde, tandis que Félina est elle aussi en chasse pour récupérer son fils au sujet duquel elle va faire une bouleveersante découverte.

Ce qui m'épate vraiment le plus avec le scénario de Ayala, c'est sa densité. Elle multiplie les lignes narratives sans jamais s'emmêler, elle dirige beaucoup d'acteurs sans jamais en négliger aucun, elle entretient une tension sur plusieurs plans sans faiblir. C'est bluffant. Le Roi d'Ombre rencontre une première résistance face à Gabby Kinney/Scout, mais celle-ci sera-t-elle en mesure de prévenir ses maîtres de la menace, étant entendu qu'elle n'est pas une mutante de sang pur mais le clone d'une mutante et qu'elle a des difficultés à s'intègrer. Magik doit enseigner le respect à des élèves qui intimident leurs camarades et trouve pour cela une punition précaire en les obligeant à cohabiter avec leurs victimes. Dani Moonstar et Karma doivent inspecter l'Outremonde en ignorant que Merlin a capturé des jeunes mutants s'étant introduits dans son royaume et qu'un autre élève parcourt ces contrées hostiles en toute insouciance. Enfin Rhane Sinclair est totalement désemparée quand elle apprend que son fils est vivant mais ne souhaite visiblement pas vivre sur Krakoa.

Il y a là une matière foisonnante qui donne un récit sans temps mort. On pourrait craindre que cela soit trop, mais Vita Ayala exploite tout cela avec une formidable fluidité. Elle n'a pas seulement restructurer la série, elle lui a donné un second souffle étonnant, une authentique ambition.

Le retour de Rod Reis sur la série, après avoir collaboré avec Hickman à ses débuts, est l'autre chance de New Mutants. Car l'artiste aussi donne une identité forte, sur le plan visuel, à ces épisodes. Son style aux couleurs pétantes, qui joue sur les exagérations graphiques, installe des ambiances inquiétantes, est audacieux. Pourtant il convient parfaitement au projet car, comme ses héros, il est changeant, mouvant, extrême. Il correspond aux caractères eux-mêmes limites de ces mutants en pleine évolution, en proie à des dangers multiples dont ils ne sont pas conscients.

Sans doute pour mieux se consacrer aux pages intérieures, Reis a abandonné les dessins de couvertures à Christian Ward, un autre artiste adepte des colorations saturées. Sur l'image illustrant ce n°16, l'accent est mis sur le Roi d'Ombre, mais le récit est plus riche que cela. Le défi pour Reis est donc de ménager les scènes en fonction des Nouveaux Mutants qui en occupent le centre. Pour le Roi d'Ombre, comme Ward, Reis privilégie en effet les teintes sombres, Farouk domine avec son physique imposant, ses grimaces : c'est un ogre dans la forêt de Krakoa qui s'amuse avec de jeunes proies. Quand on passe à la scène avec Magik, le rouge symbolise la colère de la magicienne envers les harceleurs. Puis le jaune et le marron entourent les moments partagés entre Dani Moonstar et Karma, Reis va même jusque, dans une magnifique double page, jusqu'au noir et blanc avec l'usage de trames, pour montrer qu'on a changé de dimension et que cela impacte l'humeur des deux jeunes femmes (Karma est étonnamment zen, résolue à surmonter ses récents cauchemars, quand Dani maugréé car courir après un élève fugueur l'agace autant que le calme de sa partenaire). Enfin, le bleu illustre la tristesse poignante de Rhane Sinclair, plus seule que jamais après avoir appris que Tier ne veut pas vivre avec elle et délaissée par Dani.

Reis est en pleine confiance; son découpage se simplifie (sans renoncer à quelques éclats - cf. la double page dans l'Outremonde, la pleine page chez Merlin), ses effets sont superbement dosés. Mais l'ensemble a une réelle puissance évocatrice. De ce point de vue, c'est certainement la série la plus forte visuellement dans la collection X actuelle.

Quel plaisir, quel régal ! Voilà la preuve qu'on peut être audacieux tout en étant parfaitement accessible, c'est le meilleur des deux mondes, un zeste d'indé dans une grosse franchise.  

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