mardi 3 juillet 2018

DEAR WHITE PEOPLE (Saison 2) (Netflix)


J'avais beaucoup aimé, l'an dernier, la première saison de Dear White People, adapté du film éponyme par son réalisateur Justin Simien, parce qu'elle dépassait en tous points le matériau d'origine. Cette chronique sur le racisme ordinaire et le communautarisme dans un campus bourgeois posait les bonnes questions sans apporter de réponses toutes faites et cultivait une ambiguïté bienvenue sur l'Amérique post-Obama. Avec sa forme narrative originale, et un final accrocheur, la saison 2 allait-elle rester au même niveau ?

 Qui est le troll qui harcèle Samantha White ?

Après la manifestation des étudiants noirs et blancs qui a dégénéré et l'incendie (accidentel ?) de la résidence Davis, la communauté de la faculté de Winchester est dans la tourmente. Les étudiants de Davis, tous blancs, sont relogés dans le bâtiment Armstrong-Parker, jusque-là réservé aux noirs. Au coeur de la polémique ayant provoqué cette pagaille, Samantha White, l'animatrice de l'émission radio "Chers amis blancs" est harcelée par un troll raciste sur internet.

Joelle et Reggie (Ashley Blaine Featherson et Marque Richardson)

Reggie Green souffre, lui, toujours de stress post-traumatique depuis qu'il a été braqué par un agent de la sécurité du campus armé. Mais il refuse d'admettre l'évidence, même auprès du psychiatre qu'on l'oblige à consulter. C'est alors qu'il reçoit le soutien de Joelle Brooks, la co-locataire de Samantha, depuis toujours secrètement éprise de lui.

Troy et Lionel (Brandon P. Bell et DeRon Horton)

Lionel Higgins ne sait plus où il en est, sentimentalement, depuis que, le soir de la manifestation, son rédacteur en chef, Sylvio, lui a déclaré qu'il l'aimait et l'a embrassé. Bien qu'il assume désormais parfaitement son homosexualité, il n'a aucun partenaire. Troy Fairbanks l'accompagne avec Sylvio lors d'une soirée de fête en fête sur le campus et c'est ainsi qu'il fait la connaissance d'un étudiant latino, Wesley, à qui il donne son numéro de téléphone.   

Kelsey et Coco (Nia Jervier et Antoinette Richardson)

Coco Conners découvre qu'elle est enceinte de Troy et doit choisir entre garder l'enfant, ce qui signifie sacrifier ses ambitions politiques et ne pas s'emparer de la direction du principal syndicat d'étudiants noirs du campus, ou avorter. Contre toute attente, elle est soutenue dans cette épreuve par sa co-locataire, Kelsey, amoureuse d'elle, qui l'accompagnera à la clinique pour interrompre sa grossesse avant qu'elle ne décide de loger hors de la faculté. 

Le studio de l'émission radio "Chers amis blancs"

Joelle Brooks, lasse d'attendre que Reggie remarque les sentiments qu'elle a pour lui, se rapproche de Trevor King, le plus brillant élève de médecine avec elle. D'abord conquise par sa forte personnalité et son charme charismatique, elle découvre finalement qu'il est totalement paranoïaque, déteste le communautarise des noirs et dénonce leur attitude victimaire. Reggie, excédé, finit par lui casser la figure.

Sylvio et Lionel (DJ Blickenstaff et DeRon Horton)

Lionel doit jongler entre sa relation naissante avec Wesley et son job de reporter indépendant depuis qu'il a entrepris de créer un site d'informations. Alors qu'il cherche conseil auprès de Sylvio, il découvre accidentellement que ce dernier est le troll qui harcèle Samantha White et qu'il le fait uniquement pour susciter du buzz, qui alimentera ses prochains articles. Lionel s'allie alors à sa rivale, Brooke, pour dénoncer ce scandale.

Troy, Lionel et Coco

Troy Fairbanks, le fils du directeur, revient en cours après son expulsion suite à la manifestation. Mais cette expérience l'a changé car il refuse de reprendre son rôle de délégué des élèves noirs et traîne même avec des étudiants blancs qui ont fustigé l'attitude de sa communauté. Il veut à présent réaliser son rêve en s'imposant comme humoriste sur scène et y parvient après avoir assumé le mal qu'il a causé à Coco, Samantha et Reggie dans un sketch drôle et personnel. 

Samantha et Gabe (Logan Browning et John Patrick Amedori)

Gabe Mitchell interviewe Samantha White pour son documentaire "Suis-je raciste ?". Mais le dialogue entre les deux anciens amants s''enflamme vite et sort des rails du sujet pour se transformer en règlement de comptes sentimental puis en affrontement sur le complexe des blancs face aux noirs et la suprématie blanche. La situation bascule lorsque Joelle les interrompt pour avertir Samantha du décès brutal de son père. 

Samantha et Coco

Accompagnée par Coco et Joelle, Samantha rentre chez sa mère pour assister aux funérailles de son père. Elle apprend que sa mère lui avait cachée le retour des problèmes de santé de ce dernier avant de trouver une lettre qu'il lui a adressée avant sa mort. Elle la lit lors de la cérémonie des obséques et se réconcilie avec sa mère tandis que Coco se rabiboche avec Joelle lors d'une séance de maquillage. 

Rikki Carter et Samantha (Tessa Thompson et Logan Browning)

Rikki Carter, militante noire républicaine, est invitée à une conférence sur le campus par Sylvio, ce qui créé de nouvelles tensions entre noirs et blancs. Grâce à la ruse déployée par Coco, désormais déléguée des étudiants noirs, l'invitée en vient à s'exprimer devant un parterre exclusivement composé d'opposants à ses thèses, après avoir eu un échange à son avantage contre Samantha en coulisses (où elle lui a démontrée que leurs méthodes sont semblables pour diffuser leurs idées). Reggie et Joelle couchent ensemble et Samantha renoue avec Gabe avant de suivre Lionel dans le repaire historique de la société secrète de l'Ordre de X, la plus ancienne organisation noire du campus, où ils rencontrent son leader - le narrateur de la série.

A dire vrai, j'ai terminé la vision de cette saison 2 avec un sentiment mitigé : celui d'avoir assisté à un show toujours aussi intelligent mais un peu paresseux dans la forme et beaucoup plus équivoque, surtout quand on compare ce qui s'y dit et ce que déclarent son créateur et ses interprètes en interview. Je ne parlerai pas de malhonnêteté, ce serait trop fort, mais on est quand même à la limite du double jeu...

Je m'explique : Dear White People V. 2 (pour citer l'intitulé exacte de cette saison) continue de décortiquer subtilement ce qui ne va pas chez les noirs (et aussi chez les blancs) dans le cadre d'un campus universitaire aisé. Justin Simien épingle de façon bien pesé et bien sentie cette micro-société comme la synthèse de l'Amérique entière, déchirée par le racisme, déçue par Obama et subissant désormais Trump (le premier n'a pas résolu les tensions raciales dans le pays, le second les exacerbe).

On appréciera toujours que Simien ne donne pas le beau rôle aux noirs, alors que lui-même en est un, s'affichant comme un auteur plus nuancé que Spike Lee (qui, longtemps, clama que seuls les afro-américains pouvaient justement parler d'eux-mêmes). Il pointe les dangers et les dérives du communautarisme grandissant qui isole les noirs des blancs (et vice-versa), cette manière d'afficher des siècles d'esclavage et de ségrégation comme étendard et la conviction que les blancs ne comprendront jamais. Ils opposent même (quoique sans nuance, via le personnage de Trevor King) le fait que certains noirs aujourd'hui refusent de se poser en victimes de l'Histoire, de la société, du système et rejettent leurs "frères" parce qu'eux-mêmes stigmatisent tous les blancs.

Bref, la crise est partout dans cette saison 2. Parfois elle traverse des situations générales (les conséquences de la manifestation à la fin de la saison 1), parfois plus singulières (la grossesse non désirée de Coco, l'homosexualité de Lionel, ou de manière plus quelconque la reconversion de Troy). Le contenu est inégal et le traitement aussi : dans le cas de Coco, son choix d'avorter est justifié par son carriérisme mais finalement elle s'en accommode très (trop ?) légèrement. Que Troy s'épanouisse en fumant de l'herbe et en faisant du stand-up relègue son histoire au rang de l'anecdote et traduit le désintérêt manifeste des scénaristes pour son personnage. En revanche, Joelle prend plus d'importance mais pour des raisons assez superficielles (via une romance convenue avec Reggie) alors que le rôle méritait mieux, vu son tempérament et son intelligence (peut-être s'agissait-il aussi de ne pas faire trop d'ombre à Samantha, la vraie star du show ?).

De même l'homosexualité de Lionel paraît bien dérisoire pour le temps qui lui est consacré alors que son enquête sur le passé du campus et ses sociétés secrètes est plus passionnant mais n'est correctement exploitée qu'à la fin. Durant toute cette saison, c'est comme si les auteurs avaient voulu ménager la chèvre et le chou, pour ne pas être trop sérieux, alors que la série n'est jamais meilleure que quand elle est franche et directe (voir l'épisode 8 avec le face-à-face Gabe-Samantha pour un dialogue à couteaux tirés sur leur relation et la façon dont blancs et noirs appréhendent la ségrégation ordinaire : une merveille d'énergie et d'acuité). Quitte à explorer l'intimité de ses protagonistes, on préfère quand cela ressemble au parcours de Reggie, négociant tant bien que mal avec l'agression dont il a été victime (et l'impunité de celui qui l'a commise), plutôt qu'en se perdant dans des romances assez niaises.

Le final de la saison atteint un beau pic narratif tout de même et offre une scène étonnante où Samantha confronte Rikki Carter sur la manière de diffuser des idées tout compte fait extrêmes, prouvant qu'on est toujours dans la caricature lorsqu'on est convaincu d'être le seul à avoir raison. Etonnante scène aussi parce qu'elle met en vis-à-vis Tessa Thompson et Logan Browning, soit la première et la seconde interprète de Samantha White (dans le film de Simien puis la série donc) : match nul pour la qualité de l'interprétation car les deux actrices sont excellentes.

Le reste de la distribution convainc également, en particulier Antoinette Richardson qui fait de Coco un personnage plus subtil, et DeRon Horton, irrésistible Lionel. John Patrick Amedori et DJ Blickenstaff sont également remarquables.

Mais il subsiste un malaise quand on a l'occasion de tomber, sur la page Facebook de la série, sur une interview du showrunner et une partie du casting où, là, tout se brouille sensiblement. Si Dear White People ose donc tirer un portrait sans concessions des afro-américains, Justin Simien et ses jeunes acteurs tiennent "en vrai" un discours qui aurait la fâcheuse tendance à se rapprocher de leurs personnages, très communautariste. Dommage... Mais pas si surprenant car on trouve cela aussi dans une série pourtant moins éminemment politique comme Marvel's Luke Cage, où on pratique aussi bien un abusif name dropping qu'une philosophie "vous , les blancs, ne pouvez pas comprendre" dérangeante. Comme le phénomène #MeToo, il faudrait pourtant préférer penser que le problème du racisme (comme du sexisme) se résoudra ensemble et pas en se divisant.

Un peu en deçà donc de sa première saison, Dear White People demeure tout de même une chronique attachante et fine, dont la saison 3 a été commandée récemment par Netflix.   

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