mardi 11 décembre 2018

L'ÎLE AUX CHIENS, de Wes Anderson


Sorti au Printemps dernier, le neuvième film de Wes Anderson, L'Île aux chiens, marque son retour au cinéma d'animation après la réussite que fut Fantastic Mr. Fox. Fidèle à ses obsessions, le cinéaste texan fait encore plus fort avec cette fable dystopique virtuose, d'une fluidité narrative et d'une excellence visuelle impressionnante.

Le maire Kobayashi et le major Domo

Vingt ans dans le futur. Un virus grippale touchant les chiens accable la ville japonaise de Megasaki. Le maire Koabayashi, dernier représentant d'une dynastie ennemie des canidés depuis toujours, décide avec son adjoint, le major Domo, de les bannir sur une île où sont expédiés les détritus. Pourtant le professeur Watanabe jure qu'il aura mis au point un remède avant six mois. Le premier chien à être exilé est Spots, le compagnon à quatre pattes du pupille du maire.

King, Rex, Chief, Boss, et Duke

Six mois plus tard. Atari Kobayashi, le neveu du maire, recueilli par ce dernier à la mort de ses parents, s'écrase à bord de son petit avion sur l'île aux chiens pour récupérer Spots. Cinq quadrupèdes - King, Rex, Boss, Duke et Chief (le seul à ne pas vouloir fraterniser avec les hommes) - le sauvent et décident de l'aider. Atari croit d'abord que son compagnon est mort en découvrant un squelette dans sa cage mais les chiens apprennent ensuite par Nutmeg, une chienne de concours, qu'il serait toujours en vie, prisonnier de clébards cannibales à l'autre bout de l'île.

 Jupiter et Oracle

Chief est convaincu par Nutmeg d'escorter le garçon et la bande se rend chez Jupiter et Oracle pour localiser Spots. Pendant ce temps, Watanabe réussit à trouver l'antidote à la grippe mais Kobayashi et Domo le font empoisonner par un cuisinier. Tracy Walker, une étudiante étrangère, convaincue que le maire a conspiré contre le professeur, convainc son assistante, Yoko Ono, de lui remettre l'échantillon du remède.

Atari et les chiens à la recherche de Spots

Le périple d'Atari et les chiens est mouvementé mais permet d'apprendre le passé de l'île, ravagée par des catastrophes naturelles et l'oeuvre des hommes. Séparés du reste de la troupe, le garçon et Chief en profitent pour devenir amis, et le chien errant  droit à un toilettage. Une fois décrassé, il ressemble à s'y méprendre à Spots et avoue avoir une fois vécu avec une famille - mais il en a été chassé après avoir mordu, par peur, un des enfants qui voulait le caresser. 
  
Chief et Atari

La bande se reforme et atteint la base des chiens cannibales - qui s'avèrent inoffensifs mais vivent à l'écart car ils ont servi de cobayes pour les laboratoires de Kobayashi. Spots retrouve Atari et lui présente sa compagne, Peppermint, qui est sur le point de donner naissance à une portée. C'est alors que les militaires débarquent sur l'île pour récupérer le garçon et exterminer les canidés.

C'est la guerre !

Spots mène l'assaut avec tous les chiens et les soldats battent en retraite provisoirement. La chouette noire vient alors les avertir que Kobayashi, sur le point d'être réélu frauduleusement à la mairie de Megasaki, va ordonner l'euthanasie de toute la population canine de l'île. Atari et ses acolytes construisent des radeaux pour gagner la ville et empêcher l'exécution de ce plan.

Tracy Walker mène la révolte pro-chiens

Heureusement, Tracy Walker leur prépare, sans le savoir, le terrain en chahutant la cérémonie d'investiture de Kobayashi, révélant aux citoyens l'existence de l'antidote de la grippe. Le maire se désiste mais son adjoint, le major Domo, lance malgré tout l'ordre d'exterminer les chiens sur leur île. Un hackeur, complice de Tracy intercepte le message et évite le massacre tandis que Atari et les chiens réapparaissent en ville.
  
Wes Anderson et tous les personnages de l'histoire

Selon une ancienne loi, le garçon hérite du poste de maire : il décrète aussitôt le retour des chiens en ville. Puis il s'installe avec Tracy tout comme Chief avec Nutmeg, tandis que Spots veille sur ses chiots avec Peppermint.

Auréolé du triomphe du Grand Budapest Hotel, Wes Anderson a donc choisi de rebondir en faisant un habile pas de côté, c'est-à-dire en revenant au film d'animation en volume (autrement dit en stop-motion) comme pour son adaptation de Fantastic Mr. Fox (d'après Roald Dahl).

Cet exercice est pourtant moins un échappatoire tranquille (considérant la somme de travail que cela représente) qu'une forme autorisant au cinéaste de combler son souci maniaque de raconter une histoire. On dit souvent d'Anderson qu'il a une esthétique de "maison de poupées", qu'il est un artiste "insulaire", pour désigner, avec plus ou moins de bienveillance, son goût pour les récits bien maîtrisés. En animant des figurines, il atteindrait le sommet de cette inclination.

De là à prétendre que le cinéma d'Anderson sent le renfermé, qu'il est à la limite de l'autisme, ou qu'i tourne en rond, il n'y a qu'un pas. On peut effectivement penser qu'il ne se remet guère en question avec ce théâtre filmé, ses héros à la fois géniaux et dépressifs, sa mélancolie comique (ou son humour mélancolique). Ou bien estimer qu'il creuse un sillon pour aboutir à une oeuvre d'une grande cohérence thématique et visuelle.

Pour moi, fan de la première heure, fasciné par cet art de la miniature, Anderson est sûrement un des auteurs les plus passionnants actuellement. Et chacun de ses films confirme une volonté impressionnante de surpasser son précédent effort.

Fantastic Mr. Fox semblait indépassable. Mais L'Île aux chiens est une démonstration bluffante par son abondance et sa minutie. Le film est à la fois très drôle, émouvant et pertinent, encadré dans une intrigue à plusieurs niveaux - le récit d'aventures, l'évocation des migrants, de la corruption politique, des "fake news" (cette dimension politique est une nouveauté chez Anderson, même si, déjà, dans Fantastic Mr. Fox, la charge affleurait déjà).

Le contexte favorise cette diversité : dans ce japon futuriste et archaïque à la fois, on est à la croisée des chemins, entre S.F. et western. C'est surtout le terrain idéal pour parler de fraternité. On dit que le chien est le meilleur ami de l'homme, mais la réciproque est-elle vraie ? En tout cas, Anderson adresse au public un démenti sincère et mouvementé à la rumeur qui voudrait qu'il n'aime pas les canidés (on se rappelera du sort qu'il leur fait subir dans La Famille Tenenbaum ou Moonrise Kingdom...).

Ici, une bande de clébards pleins de puces et à la toux sèche prouvent leur valeur et leur absence de rancoeur en aidant un garçon à retrouver son compagnon, bravant mille dangers (déchets toxiques, meute cannibale, militaires enragés, etc.). Tout en révélant un vaste complot politique. Leur périple est prolongé sur le continent par une intrépide étudiante étrangère, adepte des thèses conspirationnistes mais surtout doté d'un recul sur les événements et leurs acteurs que la population conditionnée de Megasaki n'a pas/plus.

La mise en scène est purement "Andersonienne" avec ce foisonnement de détails qui rend chaque plan bien plein (le film supportera, une fois encore, plusieurs visions pour en épuiser les trésors insoupçonnés la première fois), cette symétrie comme véritable signature dans la composition, la rareté des prises de vue autre qu'à hauteur d'homme - ou de chien ici (très peu de plongées, sauf pour souligner des situations précises ; et aucune contre-plongées). Les travellings latéraux simulent un sens de lecture, de gauche à droite de l'écran, comme on lit une ligne du bout du doigt - simple mais d'une fluidité imparable.

Ce formalisme extrême ne dissimule pas la fragilité des personnages, tous, comme d'habitude, marginaux, orphelins, mais animés par une détermination inébranlable et un sens de la débrouille admirable. Le film fait s'exprimer les cabots en anglais (avec un casting vocal hallucinant : Bryan Cranston, Bill Murray, Jeff Goldblum, Edward Norton, Bob Balaban, F. Murray Abraham, Tilda Swinton, Liev Schrieber, Greta Gerwig et Scarlet Johansson) et en japonais traduit par intermittence (seulement quand la compréhension des scènes l'exige), et se marie à la musicalité de la partition une fois de plus magnifique composée par Alexandre Desplat.

Le casting vocal du film

On peut donc dire, sans faire de mauvais jeu de mots, que c'est un film qui a du chien. Vivement l'an prochain pour découvrir le prochain opus du texan (The French Dispatch, actuellement en tournage en France, au sujet de plusieurs correspondants de presse après-guerre).

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