lundi 10 décembre 2018

DIE #1, de Kieron Gillen et Stéphanie Hans


Die ("Meurs" en v.f.), c'est selon les propres mots de son scénariste-créateur, Kieron Gillen, "Jumanji en version goth". Si, comme moi, vous n'avez pas vu les deux films, ça vous fera une belle jambe. Mais si vous tombez sur une preview de ce premier épisode, avec les planches sidérantes de Stéphanie Hans, vous oublierez vite vos lacunes pour embarquer dans cette série très prometteuse.


1991. Cinq adolescents répondent à l'invitation de leur ami, Chuck, pour participer à un jeu de rôles chez leur hôte, Solomon. Il leur a promis une expérience unique avec "Die". Chacun y incarne un personnage. Mais la partie va dégénérer.


1993. Cinq des joueurs sont retrouvés à plusieurs kilomètres de Strafford par une automobiliste en pleine nuit sur la route. Angela dîte "Ash", a un bras amputé. Les autres déclarent qu'ils ne peuvent pas dire ce qui s'est passé depuis leur disparition.


2018. Les membres de la bande se sont perdus de vue, à l'exception de Ash et Dominic. La mère de Solomon est désespérée par la perte de son fils. Chacun est resté traumatisé par les événements et leurs vies sont une suite d'échecs.


Jusqu'à ce que Dominic reçoive dans un colis le dé de Solomon, ensanglanté. Il cherche à le briser puis convient avec Ash d'en parler avec les autres. Ils se retrouvent chez Chuck, qui a fait fortune en écrivant un film inspir de leur histoire.


L'ambiance est à la fois déprimée et tendue. Dominic présente le coffret qu'il a reçu et l'ouvre. Le dé se met à irradier. Le groupe est aspiré... Ailleurs. Ils resurgissent dans le monde parallèle du jeu, vingt-sept ans après y avoir pénétré.


Alors que chacun se demande comment réagir, le ton montant rapidement entre Ash et Isabelle tandis que Dominic et Matt restent interloqués et Chuck est excité, le dé s'envole pour rejoindre un inconnu qui approche. Ils reconnaissent alors Solomon et comprennent qu'il faut finir la partie.

A la fin de ce premier épisode, plus long que la normale, Kieron Gillen revient sur la génèse du projet. Lors d'une convention, ils dînaient avec son partenaire de la série The Wicked + The Divine du jeu de rôles Donjons et dragons et de son adaptation en  dessin animé à la télé. Au terme de sa diffusion, les héros restés piégés dans le monde parallèle de leurs aventures.

Gillen devint obsédé par la suite et la conclusion à donner à cette histoire. Tant et si bien que le synopsis de Die s'imposa à lui en une nuit d'insomnie. Réticent à l'idée de s'engager dans une autre série, il ne résista pourtant pas à en tirer un script, au point de corriger des éléments du "pilote" (qui dévoilaient des indications sur la suite). Puis il soumit tout cela à Stéphanie Hans.

Depuis qu'il vit de ses créations originales chez Image Comics, Gillen écrit sur mesure pour des artistes. Il avait collaboré avec la française quand il scénarisait Journey into Mystery chez Marvel, dont elle était la cover-artist. Hans n'avait jamais osé s'investir dans une série régulière mais son agenda le lui permettait désormais.

Et le résultat est stupéfiant. On est immédiatement addict à cette intrigue simple et fantastique, qui flirte avec l'épouvante et le ludique à la fois. La narration a tout de suite une ampleur, une profondeur car Gillen ouvre avec deux scènes situées dans le passé, où son sens de la suggestion et de l'ellipse fait merveille. On devine que des choses horribles se sont passés, juste assez pour être hameçonnés.

Quand le récit se pose de nos jours, les protagonistes sont dans un sale état psychologique, conséquence d'un trauma profond qui a affecté leur vie privée et professionnelle (à l'exception apparente de Chuck, qui en a tiré parti). La façon dont le script relance la machine est mystérieuse mais vouée à être expliquée plus tard.

Puis le dernier tiers de l'épisode est à la fois convenu (retour dans le jeu, reprise de la partie) et malgré tout sidérante. Sur ce point Die doit alors beaucoup à Hans qui réalise des planches magnifiques en couleurs directes.

Le rendu est inquiétant et beau, à la fois brut et subtil. L'impression est assez unique, en tout cas elle rend l'expérience de la lecture tout à fait saisissante. Dès les premières pages, on est plongé dans une atmosphère flippante, avec des teintes dorées. Puis le bleu domine pour coller au spleen général des survivants. Et le rouge domine lorsqu'on traverse les dimensions.

La virtuosité de Hans s'exprime aussi par son habileté à découper des scènes majoritairement calmes et au texte fourni (dialogues et voix-off). Elle réussit à rendre les émotions palpables, le malaise prégnant, à rendre crédible le fantastique. Quand nous suivons les héros dans le monde de "Die", pas besoin pour la graphiste de pousser sur les décors : le jeu des lumières suffit à installer un cadre impressionnant.

On pense à la réussite qu'est Saga, pour l'adresse narrative et l'inventivité visuelle, cette combinaison de talents qui confère à l'ensemble un aspect et un ton uniques. Die a en tout cas tout pour égaler cette illustre exemple, surtout au moment où Vaughan et Staples ont mis leur série en pause pour une durée indéterminée.   

1 commentaire:

Présence a dit…

Il me tarde de le lire en TPB, Kieron Gillen étant un de mes scénaristes favoris, et je garde un excellent souvenir de Journey into Mystery.