mercredi 10 octobre 2018

RESPIRE, de Mélanie Laurent


Alors que sort aujourd'hui en salles Galveston (adapté du roman noir de Nic Pizzolato), son nouveau film comme réalisatrice, je vous propose de revenir sur Respire, le deuxième long métrage de Mélanie Laurent, celui qui l'a véritablement révélée au grand public comme metteur en scène. Et qui est un vrai concentré de son style, de ses figures favorites, de son goût esthétique. Le début de ce qui pourrait bien devenir une oeuvre puisque cette actrice semble de plus en plus vouloir rester derrière la caméra.

Charlie et Sarah (Joséphine Japy et Lou de Laâge)

A 17 ans, Charlie vit encore chez sa mère qui se dispute constamment avec son père, faisant de sa vie un enfer. Au lycée, à cette période, Sarah, une nouvelle élève, arrive et devient vite son amie, aux dépens de Victoire, sa meilleure copine depuis l'enfance. Sarah dit venir du Nigeria où sa mère travaillait pour une O.N.G..

Sarah et Charlie

Charlie invite, avec l'accord de sa mère, Sarah à passer les vacances de la Toussaint chez sa tante, Laura, dans le Sud de la France. Pourtant, une fois là-bas, dans ce décor de rêve, les premières tensions apparaissent entre les deux filles : Sarah se vexe de n'être présentée que comme une simple camarade de classe et fait tout pour attirer l'attention et gagner les faveurs des autres - avec succès. 

Charlie et Sarah lors des vacances de la Toussaint

De retour au lycée, Charlie constate, dépitée, que Sarah devient la vedette et l'ignore à présent : les filles l'envient, les garçons la désirent. Lors d'une conversation au réfectoire, Charlie remarque une incohérence dans le récit que fait Sarah de son passé en Afrique, s'attirant les railleries de cette dernière.

Sarah

Intriguée, Charlie prend Sarah en filature un soir après les cours et découvre qu'elle vit dans un immeuble d'un quartier défavorisé et que sa mère est une ivrogne. Lors d'une fête à laquelle elles sont conviées toutes les deux peu après, Charlie révèle à Sarah tout savoir de sa situation familiale mais promet que son secret est bien gardé, désirant surtout redevenir son amie. Mais Sarah menace Charlie de mort si elle répète ce qu'elle a appris. 

"Je sais, pour ta mère... Mais je ne dirais rien. 
- Si tu le répètes, de toute façon, je te tue !"

Les jours suivants, comme pour confirmer sa menace, Sarah mène une campagne de harcèlement contre Charlie. Désormais isolée, après avoir tout lâché pour Sarah, devenue trop populaire, elle se résigne à son sort et rejette toute aide, même celle de Victoire qui a deviné son malaise. 

Charlie

Pourtant, un soir, après avoir été frappée par sa mère, Sarah vient trouver refuge chez Charlie, qui n'a pas le coeur à la repousser, entrevoyant là une possibilité de renouer leurs liens. Mais le lendemain matin, c'est la douche froide quand Sarah préfère ne pas être vue en sa compagnie. Folle de rage, Charlie s'en prend à elle en plein cours.

"Je suis désolée."

Sarah revient chez Charlie récupérer des vêtements qu'elle y avait laissé et en profite une énième fois pour l'humilier au sujet de sa petite vie étriquée, son avenir sans ambition, la culpabilisant même pour l'échec de leur relation. A bout de nerfs, Charlie la frappe puis l'étouffe avec un oreiller. Lorsque sa mère rentre, elle découvre le corps sans vie de Sarah tandis que Charlie éclate en sanglots, dévastée et délivrée à la fois.

Après un très beau premier opus (Les Adoptés, 2011), Mélanie Laurent réussit avec brio à transformer l'essai si périlleux du deuxième film avec ce Respire, justement salué à "La Semaine de la Critique" du Festival de Cannes 2014. Elle signe en effet une oeuvre sensible et forte sur l'emprise mentale et, plus encore, selon ses propres termes, la "détestation" - comme une catharsis pour elle, on le devine, qui n'a pas été épargnée par des critiques injustes et assassines parce qu'elle cumulait plusieurs activités (actrice, réalisatrice, militante écolo - trop dans un pays comme la France où se diversifier revient à se disperser...).

Librement inspirée d'un roman d'Anne-Sophie Brasme, découvert à l'adolescence par la cinéaste, l'histoire est d'abord celle de Charlie, jeune fille dont la situation familiale tourmentée en fait une proie toute désignée pour Sarah, dont le caractère dominant a besoin de quelqu'un pour se mettre en valeur quand elle arrive dans un environnement étranger.

Au départ, entre elles, s'opère une vraie fusion, sans attirance sexuelle pourtant (à peine un baiser échanger lors d'un petit jeu) : l'une trouve la nouvelle amie charismatique et pleine d'assurance (comme elle aimerait l'être), l'autre une poupée docile avec laquelle s'intégrer et s'amuser (de façon innocente d'abord, puis plus perversement ensuite). Charlie va jusqu'à délaisser sa meilleure complice et éprouve une évidente admiration pour Sarah, si belle, désirable, libre, dont les origines exotiques et le magnétisme sont si puissants - elle s'en sert habilement et promptement pour infiltrer la famille de Charlie, gagnant la confiance de sa mère. Seule la tante Laura se méfie de cette intrigante... Lorsque Charlie se voit ainsi reléguer, la jalousie, légitime, la gagne. Puis le soupçon naît à l'occasion d'un mensonge anodin mais produisant la preuve de l'imposture de Sarah...

Le récit dévoile toute la complexité de cette relation, avec finesse et une grande élégance formelle, la narration est si fluide que beaucoup de scènes se passent d'ailleurs de dialogues, privilégiant des ambiances soignées. Le regard que porte Mélanie Laurent est perçant, cruel, et suscite la compassion du spectateur : cela suffit pour saisir ce qui se noue et deviner que ça finira mal.

Effectivement, la bascule dramatique s'opère dans un crescendo dosé, jusqu'à la tragédie inévitable mais terrible malgré tout. La respiration du titre prend alors tout son (ses) sens : elle renvoie à l'asthme dont souffre Charlie, à l'étouffement qu'éprouve socialement Sarah, à la délivrance vengeresse de la fin, radicale. Dans sa dernière ligne droite, on glisse presque dans le film noir, l'histoire de vampire, sur fond de narcissisme, de (dé)possession, de règlements de comptes.

Lou de Laâge est formidable en garce manipulatrice et sexy, n'éprouvant aucun remords, agissant sans scrupules, et c'est parfait que le scénario ne lui trouve pas d'excuses. Mais la prestation de Joséphine Japy est encore plus remarquable, exprimant avec d'exceptionnelles nuances, sans préciosité ni misérabilisme, l'acceptation, l'oppression, l'incompréhension, la tristesse, l'abattement, la rancoeur, la folie.

Oeuvre audacieuse, par une réalisatrice à la maturité étonnante, Respire impressionne d'autant plus qu'elle le fait avec sobriété, suscitant un vertige intense. Entre force et beauté, l'essai est donc magistralement transformé.

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