mercredi 17 octobre 2018

20TH CENTURY WOMEN, de Mike Mills


Echec commercial injuste lors de sa sortie en salles l'an dernier, le deuxième long métrage écrit et réalisé par Mike Mills mérite d'être reconsidéré. Une séance de rattrape chaudement recommandée donc pour ces formidables 20th Century Women (Femmes du XXème siècle) et l'initiation de son jeune héros qui, bien entouré, deviendra un honnête homme. A l'image de son cinéaste, qui, une fois de plus, puise dans sa propre expérience pour raconter cette histoire.

Dorothea et Jamie Fields (Annette Bening et Lucas Jade Zumann)

1979. Santa Barbara, Californie. Dorothea Fileds, la cinquantaine, habite avec son fils Jamie, 15 ans, une grande maison dont elle loue des chambres à deux occupants : Abbie Porter, une jeune photographe qui se remet d'un cancer du col de l'utérus, et William, un mécanicien hippie qui collectionne les aventures sans lendemain depuis que sa femme l'a quitté. A ce groupe s'ajoute régulièrement Julie Hamlin, adolescente du même âge que Jamie, qui en est épris, et qui vient de réfugier là pour fuir une mère psychologue pour jeunes en difficulté. 

Abbie Porter (Greta Gerwig)

Soucieuse de faire de son fils un homme bien dans sa peau et dans le monde, Dorothea se sent toutefois impuissante à l'y préparer et sollicite l'aide d'Abbie et Julie pour l'accompagner. Avec Abbie, Jamie va ainsi assister à ses premiers concerts sur la scène punk-rock alors en pleine ébullition, tandis qu'il cherche à comprendre pourquoi Julie se donne à d'autres garçons, au risque comme c'est le cas alors, de tomber enceinte faute de prendre les précautions nécessaires. 

William (Billy Crudup)

Il soutient Abbie lorsqu'elle se rend chez son oncologue et qu'il lui annonce que, suite à l'opération qu'elle a subie, elle ne pourra certainement jamais avoir d'enfant. En contrepartie, elle l'initie à la littérature féministe pour mieux saisir les comportements de Julie mais aussi de sa mère. Dorothea découvre, embarrassé, que son garçon grandit trop vite pour elle et cherche à le protéger de ce qu'il apprend, mais il se révolte en lui reprochant de se complaire dans son célibat alors qu'elle pourrait s'engager avec William, qui la respecte. 

Julie Hamlin (Elle Fanning)

La crise entre la mère et son fils aboutit à une escapade le long de la côte californienne entre Julie et Jamie. Il lui avoue ses sentiments mais elle est trop désabusée pour y croire et le repousse en lui expliquant qu'elle l'idéalise. Déçu, il disparaît pendant la nuit. Ne le voyant pas revenir, elle appelle Dorothea à la rescousse. 

Jamie et Julie

Accompagnée par William et Abbie, Dorothea rejoint Julie au petit matin dans un motel alors que Jamie vient juste de rentrer. La mère et le fils ont une explication franche sur la situation : il n'apprécie pas qu'elle se décharge sur les autres de son devoir maternelle, considérant que lui ne l'a jamais abandonnée de la sorte. S'il doit faire de nouvelles expériences en revanche, elle doit lui faire confiance. Et elle doit cesser de se résoudre à la solitude pour se préparer au jour où il partira.

Jamie et Dorothea

Les années suivantes, la maison des Fields verra ses résidents partir vers d'autres aventures - Julie poursuivra ses études à New York puis suivra son mari à Paris, perdant Jamie et Dorothea de vue. Abbie deviendra photographe professionnelle et épousera un homme avec lequel elle aura deux enfants. William partagera la vie de Dorothea pendant un an avant de s'installer en Arizona comme potier et de convoler deux fois en justes noces.  

Jamie, Abbie, Dorothea, Julie et William

Dorothea mourra en vingt ans plus tard, après s'être remariée. Jamie deviendra père mais sans jamais réussir à expliquer vraiment à son fils quelle femme hors du commun était vraiment sa mère.

Après avoir, magnifiquement, évoqué la mémoire de son père dans son précédent long métrage (Beginners, 2011), Mike Mills rend hommage à sa mère - ou, devrait-on dire, à ses mères, dans ce superbe portrait pluriel des femmes qui l'ont accompagné durant son adolescence.

Le tête-à-tête entre Dorothea et Jamie (le double de Mills à 15 ans) est devenu compliqué lorsque l'histoire débute : femme émancipée, à la fois ouverte aux changements du monde et attachée à ses principes (elle a assumé l'éducation de son fils seule, après le départ de son mari, et acquis son indépendance financière dans un métier où elle était au début la seule femme), la mère craint de ne pas savoir comment préparer son fils à devenir un adulte et une bonne personne tandis que lui se désole de ne pas la voir refaire sa vie avec un homme (préférant prendre des amants occasionnels) et être gagnée par une certaine mélancolie.

Ce récit initiatique (autant pour Dorothea que pour Jamie en vérité) est symboliquement illustré par les travaux incessants que subit la maison où la mère et son fils co-habitent avec deux locataires, une photographe fantasque qui se remet d'un grave problème de santé, partagée entre l'envie de profiter d'une seconde chance et le fossé qui s'est creusé entre elle et sa mère (remplacée d'une certaine manière par Dorothea), et un hippie charmeur et nostalgique, noyant son chagrin d'amour en multipliant les conquêtes grâce aux dépannages qu'il offre à de jeunes et jolies voisines. A cette tribu improbable se greffe une voisine, délurée et désabusée, dont Jamie est amoureux, fuyant les séances de thérapie collective auxquelles sa mère psychologue l'oblige à participer et se donnant à d'autres garçons sans plaisir et mépris d'elle-même.

Mike Mills réussit à conjuguer l'intimisme de la chronique et la grande Histoire (cet aspect culminant avec le discours incroyable prononcé par Jimmy Carter en 1979 et dénonçant l'insatisfaction à laquelle nous condamne le consumérisme effréné - un président qui doute bientôt remplacé par Reagan et l'avènement du capitalisme libéral à outrance). Il ajoute aux scènes de nombreuses images (animées ou fixes) d'époque immortalisant l'émergence de la scène punk-rock, cette déflagration musicale et sociétale, et joue sur des effets visuels représentant les mouvements intérieurs de ses personnages - accélérations ou ralentis, filtres colorant le paysage qui défile, etc.

20th Century Women prend alors des airs de grand collage impressionniste, procédé déjà à l'oeuvre dans Beginners, aboutissant à une émotion poignante quand le destin des protagonistes est résumé à la fin. Auparavant, assimilant le rythme des séries télé (dont ce long métrage pourrait être le pilote), ont été évoqués, via une mosaïque de vignettes, tantôt drôles, tantôt graves, des réflexions délicates ou crues sur le désir, les femmes, l'amour, la maternité, conférant à l'ensemble une dimension romanesque.

Dominé par l'interprétation magistrale de la trop rare Annette Bening, le film peut aussi compter sur les prestations formidables de Greta Gerwig, toute en franchise fantaisiste, de Elle Fanning, toujours aussi radieuse et subtile, de Billy Crudup, décidément parfait pour ces rôles de types dépassés dans les 70's, et de la révélation Lucas Jade Zumann, épatant de sobriété.

Elégamment raconté et mise en scène, le destin de ces "femmes du XXème siècle" vu par un auteur qui se rappelle de son adolescence bohème en Californie a un charme fou et bouleversant.

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