mercredi 31 octobre 2018

PERSONAL SHOPPER, d'Olivier Assayas


Vous aimez les films de fantômes (ce qui est de circonstance en ce moment où on fête Halloween) ? En voici un qui sort de l'ordinaire. Pas de spectre effrayant à l'horizon pourtant, mais une ambiance soignée, intense, et des démons intérieurs, puissants, flippants, avec un zeste de mélancolie poignante. Personal Shopper d'Olivier Assayas est un film sur le deuil qui vous prend aux tripes, joue avec vos nerfs, ressuscitant un fantastique "à la française" digne de Georges Franju. Et qui donne un de ses plus rôles à Kristen Stewart.

 Maureen (Kristen Stewart)

Maureen, 27 ans, vient de perdre son frère jumeau, Lewis, victime d'un infarctus causé par une malformation cardiaque dont elle est aussi atteinte. Respectant le serment qu'ils s'étaient faits, elle cherche depuis à entrer en contact avec l'esprit du défunt dans la maison où il habitait et avait son atelier d'ébéniste, et que souhaite acquérir un couple d'amis, pourtant craintifs à l'idée que la demeure soit hantée.

Hugo (Lars Eidinger)

Pour gagner sa vie, Maureen exerce la profession de "personal shopper", qu'elle n'apprécie guère, qui consiste à acheter des vêtements et des bijoux que portera Kyra, une mannequin, lors de ses apparitions publiques. Elle fait ainsi la connaissance de Hugo, le prétendant délaissé de cette dernière, qui est également intéressé par ces questions de vie après la mort. 

Qui envoie ces mystérieux SMS ?

Peu après, à l'occasion d'un déplacement professionnel à Londres, Maureen commence à recevoir de mystérieux SMS d'un correspondant anonyme qui semble la suivre et anticiper ses mouvements. Un dialogue s'engage entre eux où il parvient à découvrir les secrets intimes de la jeune femme, notamment quand elle brave l'interdit de Kyra en essayant ses vêtements avant elle. Troublée, Maureen croit un moment qu'elle discute avec Lewis et accepte même un rendez-vous dans un palace parisien - mais personne ne l'y rejoint.

Dans la peau d'une autre...

Alors qu'elle s'est confiée à sa belle-soeur, Lara, Maureen découvre, horrifiée, Kyra, sauvagement assassinée. Bien qu'elle pense d'abord que ce meurtre soit d'origine surnaturelle, elle ne le dit pas à la police qui l'interroge.  Peu après, Hugo est arrêté et reconnu coupable à la fois du crime mais aussi du harcèlement téléphonique contre Maureen. 

Lara (Sigrid Bouaziz)

Bouleversée, Maureen décide de partir au Maroc retrouver son fiancée, Gary, dans un endroit retiré, pour s'y ressourcer. Là-bas, elle entre enfin en contact avec l'esprit de Lewis, qui lui confirme être désormais en paix. Mais sans qu'elle sache s'il va la laisser tranquille à présent...

"Es-tu en paix ?"

Personal Shopper démarre en quelque sorte là où Sils Maria (2014), le précédent film d'Olivier Assayas, s'achevait, comme s'il en était la continuation. L'héroïne est à nouveau l'assistante d'une star (une mannequin à la place d'une comédienne) qui prépare ses apparitions publiques. Et d'apparitions, il en est souvent question dans cette histoire qui interroge la manière dont on survit à la perte d'un être cher (un frère jumeau en l'occurrence) et, si son esprit se manifeste, est-ce avec bienveillance ou pour nous tourmenter.

Maureen est hantée par ces questions au point qu'elle y abandonne une partie importante de son existence. Là encore, il faut considérer ce dévouement sur plusieurs niveaux car la jeune femme ne fait pas qu'attendre, fébrilement, désespérément un signe de son frère, elle s'emploie activement à satisfaire les caprices d'une it-girl, qui ne lui témoigne aucune reconnaissance. Pour l'héroïne, atteinte de la même malformation cardiaque qui a été fatale à son frère, le danger pour sa santé (il lui faut éviter les efforts physiques comme les émotions fortes) s'oppose à son désir éperdu de communiquer avec un improbable fantôme et à l'accomplissement de son job, même si elle le déteste.

Ce malaise est encore plus souligné lorsque l'intrigue bascule dans un étrange thriller via le dialogue trouble et troublant entre l'expéditeur anonyme de SMS et Maureen, au point qu'elle croit d'abord que c'est frère qui les lui envoie. Assayas alimente savamment le doute et suscite une tension dramatique efficace sans jamais quitter son personnage principal, de telle manière qu'on partage facilement ses doutes, ses attentes, sa confusion, tout en étant témoin de son intimité. Cette jeune femme qui veut tant établir le contact avec un disparu s'oublie en se glissant littéralement, mais en secret, dans la peau de son employeuse, en enfilant ses vêtements. Bravant un interdit, elle y puise un plaisir sensuel comme en témoigne cette scène où elle se masturbe dans les habits de la créature qu'elle semble alors autant envier que mépriser : moment suspendu, sans racolage.

Une fois l'aspect policier résolu (une partie du récit qui peut dérouter mais qui est très efficace), le calme le dispute au bouleversement : Kyra tuée, Hugo arrêté, l'esprit de son frère absent, Maureen a-t-elle gagné la paix ? Le dénouement ne donne pas de réponse franche, et cette irrésolution, ainsi que la manière économe de représenter les fantômes, est certainement ce qui a irrité le public du festival de Cannes - mais, en revanche, séduit son jury, qui a décerné le prix de la mise en scène à Assayas.

Un prix d'interprétation pour la prestation vibrante, fiévreuse, magnétique, de Kristen Stewart n'aurait pas été volé non plus : l'actrice poursuit son parcours exigeant avec brio et son réalisateur la filme avec une fascination évidente.

C'est que Personal Shopper se lit aussi comme un portrait passionné de celle qui est le coeur de cette oeuvre étrange et belle, atypique, à la croisée de plusieurs genres. Il faut souhaiter que le cinéaste et sa muse poursuivent leur fructueuse collaboration.

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