mercredi 27 mai 2015

Critique 627 : PETRA CHERIE, de Attilio Micheluzzi


PETRA CHERIE est une série complète écrite et dessinée par Attilio Micheluzzi, publié sous forme d'un album de 62 pages comprenant 5 épisodes en 1985 par Les Humanoïdes Associés.
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(Extrait de Pétra Chérie :Douces brumes des Flandres.
Textes et dessins de Attilio Micheluzzi.)

5 épisodes de 12 pages chacun forment ce recueil :

- 1/ Douces brumes des Flandres. 1917 : un avion Sopwith Camel vole au secours des Bristols anglais abattus par les Albatros allemands sous les yeux des soldats dans les tranchées. Au commandes de ce coucou se trouve Pétra de Karlowitz, héritière de plantations de caoutchouc en Extrême Orient, qui vit en compagnie de son valet Nung et de son chien Shapiro dans sa propriété dans la Hollande neutre.

- 2/ Un voilier nommé Sirius. Les allemands mènent l'enquête pour identifier le pilote du Sopwith Camel qui ridiculise leurs avions. Franz Schröder, secrétaire du consulat impérial allemand à Rotterdam, suspecte Pétra qu'il déteste à cause de son tempérament de suffragette. Mais la jeune femme est occupée ailleurs : elle a entrepris de couler un voilier, le Sirius, qui transporte du caoutchouc aux allemands.

- 3/ L'irrésistible Baron. L'aviation allemande lance son meilleur agent sur le front de Flandre : Manfred Von Richtofen, dît le Chevalier Rouge. Pétra rencontre ce pilote dans sa caserne et le séduit lorsque l'endroit est bombardé. Puis elle réussit à voler un Fokker à l'ennemi avant d'être prise en chasse par Manfred. Après l'avoir semé, elle abandonne l'engin dans le secteur K en cadeau aux britanniques.  

- 4/ Requiem pour un zeppelin. Pétra rend visite à Lady Florence en Angleterre tandis qu'à Zeebrugge les forces aéronavales allemandes admirent leur nouveau modèle de zeppelin, le L. 48. Pétra découvre chez les Abercombrie que le jardinier Vanvitten (un ancien boer de la campagne de 1901) renseigne l'ennemi avec la complicité du fils de Lady Florence, Thomas, fou à lier et défiguré, qui s'est juré d'entraîner avec lui tout le monde en enfer.

- 5/ Soeur Consolation. Pétra est accueillie par le colonel Montaldier en qualité d'envoyée de la Croix Rouge hollandaise dans un hôpital du champ de bataille derrière les lignes de Verdun. Elle fait la connaissance de Soeur Consolation, réputée pour son dévouement total aux blessés, mais il lui semble l'avoir déjà rencontrée par le passé. En découvrant que la religieuse élève des pigeons voyageurs qui transmettent des informations aux allemands, elle va tout faire pour la neutraliser.

Attilio Micheluzzi est né en 1930 en Istrie, au sein de l'Empire Austro-Hongrois. Fils d'un officier de l'aviation italienne, il est naturellement fasciné dès son son enfance par ces appareils volants et vouera une admiration éternelle à ses héros comme le Baron Rouge à Mermoz (auquel il consacra un récit complet). 

Sa passion ne s'arrête pas là et il deviendra un érudit en Histoire, nourrissant sa nostalgie pour la Mittel-Europa, territoire au coeur de multiples convoitises de la part des grandes puissances européennes dès les années 1860, lorsque le pouvoir des Habsbourg devient décadent. 

C'est ce théâtre de la tragédie que fut la première guerre mondiale, qui va servir de cadre à cette oeuvre atypique qu'est Pétra Chérie. Micheluzzi préfère, à une reconstitution parfaite, une évocation romanesque et s'en sert pour mettre en scène aussi bien des affrontements aériens que des luttes sentimentales, dignes d'un feuilleton de l'époque. 

Mais cela ne signifie pas que l'auteur néglige les détails : il suffit pour s'en convaincre d'admirer avec quel souci il reproduit le triplan mythique de Manfred Von Richthofen comme l'uniforme d'un simple fusilier anglais. Pour Micheluzzi, l'objectif est moins le documentaire que le filtre autorisé par la fiction pour rendre compte de la dureté de la période, avec une exigence irréprochable sur la relation des coulisses géopolitiques - une constante dans son oeuvre.

L'originalité de l'entreprise réside aussi, surtout, dans le choix de Micheluzzi de construire sa série autour d'une héroïne, la fameuse Pétra de Karlowitz, figure glamour qui souligne le contraste avec l'atrocité du conflit et la fin du monde qu'il signe. Car c'est aussi le terme d'une aristocratie mythique qu'incarne Pétra : elle se bat comme une championne de l'aéronautique mais avec un esprit chevaleresque, une vraie noblesse, une suprême élégance, avec ses gants blancs et ses toilettes d'un chic absolu. Le réalisme du personnage importe moins que la "malice" (pour reprendre sa propre parole) avec laquelle elle intervient et grâce à elle, Micheluzzi nous embarque dans des chapitres rapides, haletants, durant l'année cruciale que fut 1917.

Au scénario comme au dessin, Micheluzzi aime prendre le lecteur à contrepied : son héroïne est flamboyante et le trait avec laquelle il la représente dans ses aventures la capte dans toute sa superbe, avec une finesse de trait admirable et des à-plats noirs profonds, alternant les hachures et les épures comme les maîtres américains des comics des années 50 que tant d'italiens admiraient (comme Hugo Pratt, il avait pris pour modèle Milton Caniff et Alex Toth). Le tout dans un noir et blanc somptueux.

C'est aussi un choix presque philosophique qui décida Micheluzzi à raconter ces histoires avec une femme au premier plan : il entendait ainsi échapper aux clichés machistes des fumetti, et fut bien inspiré de suivre le conseil du rédacteur en chef du Corriere dei ragazzi, Alfredo Barberis (alors qu'il avait d'abord songé à intituler sa série Le Vicaire, en imaginant un héros citant la Bible lors de ses exploits en avion). C'était là une riche idée pour se démarquer de Corto Maltese mais aussi du féminisme des 70's qu'il trouvait trop vindicatif.

Pétra devient une femme dont l'indépendance et la bravoure sont exemplaires, et les hommes qu'elles croisent n'ont pas le beau rôle. Sa beauté et son intelligence auront même raison du Baron Rouge ! Pourtant, Micheluzzi veille à ne pas en faire non plus une super-héroïne : elle est à la fois un fantasme, exotique (par ses origines, avec une mère française et un père polonais, une enfance en Chine), et une aventurière qui ne mesure pas toujours bien le danger (au grand dam de son valet Nung). 

L'artiste lui a donné le visage et la silhouette de l'actrice Louise Brooks, qui inspira aussi Pratt et Crepax, mais ce n'est pas une Mata-Hari et ses adversaires ne sont pas tous des vilains évidents, il n'est même pas rare qu'ils soient dotés d'un raffinement certain quand les gentils sont des naïfs ou des crapules. 

L'album publié en 1985 par Les Humanoïdes Associés ne donne cependant qu'un tout petit aperçu de cette oeuvre magnifique, avec ces cinq épisodes et sa soixantaine de pages. Heureusement, les Editions Mosquito ont réparé cela en éditant une Intégrale de 330 pages, à la mesure du talent rare que fut Attilio Micheluzzi : le livre est cher mais quel beau cadeau à se (faire) faire. (Ci-dessous : la couverture de l'Intégrale et d'un extrait ne figurant pas dans l'édition des Humanoïdes Associés.) 
 

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