LUCKY LUKE : ALERTE AUX PIEDS-BLEUS est le 10ème tome de la série, écrit et dessiné par Morris, publié en 1958 par Dupuis.
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Pedro Cucaracha est un joueur de cartes qui sévit à Rattlesnake Valley. Après avoir gagné deux fois de suite contre le shérif Jerry Grindstone, il est battu à la loyale par Lucky Luke, qui a remarqué qu'il triché.
Obligé de fuir, Pedro s'allie avec la tribu indienne voisine des Pieds-bleus pour se venger et dont le chef, Ours assoiffé, est un ivrogne à qui il promet beaucoup d'alcool.
La ville est assiégée, la population affamée, mais Lucky Luke mobilise tout le monde pour résister et repousser les indiens en attendant l'aide de la cavalerie tandis que les Pieds-bleus comptent sur le renfort des Pieds-verts et des Pieds-jaunes.
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LUCKY LUKE CONTRE JOSS JAMON est le 11ème tome de la série, écrit par René Goscinny et dessiné par Morris, publié en 1958 par Dupuis.
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En 1865, après la fin de la guerre de sécession, Joss Jamon prend la tête d'une bande de soldats démobilisés : avec Pete l'indécis, Jack le muscle, Joe le peau-rouge, Sam le fermier et Bill le tricheur, il sème la terreur partout où ils passent.
A cause de cela, en traversant Los Palitos City, Lucky Luke est capturé car il est pris pour un membre du gang. Sur le point d'être lynché, il promet à la population de leur livrer Joss Jamon et ses complices avant six mois sinon il reviendra être exécuté.
Lucky Luke retrouve les malfrats à Frontier City dont ils se rendent maîtres : le cowboy réussira-t-il à appréhender Joss Jamon et ses semblables, seul contre tous ?
1958 est une année faste pour Morris : même s'ils ne sont pas de la même qualité, les tomes 10 et 11 témoignent en tout cas de la productivité du tandem que le dessinateur forme avec Goscinny, même si le scénariste n'est toujours pas crédité (et moins bien rémunéré - sur la base de 1/3 pour lui, 2/3 pour Morris, qui est, il est vrai, est aussi le créateur de la série).
Alerte aux Pieds-bleus est une histoire sympathique, divertissante, mais mineure : la faute à une construction qui fait davantage penser à une succession de sketches un peu longuette. Au début, tout semble parti pour qu'il s'agisse d'une opposition entre le tricheur mexicain Pedro Cucaracha, d'un côté, et Lucky Luke avec le shérif de Rattlesnake Valley, Jerry Grindstone, de l'autre. Mais le récit bifurque rapidement quand le méchant désigné scelle un pacte avec ours assoiffé, le chef des indiens voisins, et qu'ensemble ils assiègent la ville.
Morris, en l'absence de Goscinny (qui reviendra, définitivement, au tome suivant comme scénariste) n'est pas en reste pour imaginer tout ce qu'il peut tirer de cette situation et effectivement, le gentils ne sont pas épargnés : la famine les guette, des incendies sont provoqués par des flèches enflammées, la cavalerie se fait longtemps attendre... Le lecteur se met à douter du fait que les héros puissent tous s'en sortir.
Néanmoins, si le piège qui se referme sur Rattlesnake Valley est efficace, il occupe une place si importante que la mécanique du script devient trop voyante et Goscinny n'évite pas quelques longueurs, ni certains gags moins drôles.
L'histoire est en vérité surtout un prétexte à une réflexion (légère) sur la chance et la malchance, symbolisées par Lucky Luke et Jerry Grindstone : le cowboy fait preuve d'une volonté sans limite - et on peut voir dans une scène où, la faim le tenaillant, il se met à manger son ceinturon un hommage à celle où, dans La Ruée vers l'or, Charlot mange ses chaussures - récompensée dans ses audacieuses initiatives (comme lorsqu'il ramène des bisons en ville), alors que le shérif est un superstitieux, qui interprète tout ce qui lui arrive tour à tour comme un don du ciel ou l'annonce d'une future calamité.
La morale tient en peu de choses : à celui qui conserve la foi, l'espoir, reviendra la victoire. Lucky Luke comme le lecteur s'accroche à cette croyance.
Détail non négligeable : Jolly Jumper a droit pour la première fois à une bulle de pensée - la première trace de langage anthropomorphique de la monture de Lucky Luke !
Aucune réserve, en revanche, avec Lucky Luke contre Joss Jamon, qui demeure un des meilleurs épisodes de toute la série. Goscinny y démontre tout son savoir-faire, qu'il s'agisse de camper des personnages forts, d'exploiter des situations à la fois absurdes et intenses, dans un décor unique, sur un rythme enlevé, avec un mélange d'humour et d'efficacité.
Le gang de Joss Jamon est présenté dès la première page et souligne l'intention du scénariste de mettre en avant de vrais bons méchants, suivant la devise de Hitchcock qui veut que meilleur est le méchant, meilleur est l'histoire. Chacun des membres de cette bande est un archétype, psychologiquement sommaire mais mémorable, avec parfois de savoureuses surprises (comme avec Pete l'indécis ou, mieux encore, Sam le fermier, dont le physique d'honnête homme dissimule le caractère vil). La tirade finale de Joe le peau-rouge est un formidable moment, qui surprend le lecteur puisque le personnage était auparavant quasi-muet.
Les péripéties ponctuant l'affrontement entre Lucky Luke et Joss Jamon sont également très bien disposées, et établies à partir d'une situation très drôle (et délicieusement absurde) puisque le cowboy est pris pour un vilain, prêt à être pendu et qui obtient un sursis à son exécution s'il livre les authentiques malfrats - s'il échoue, il promet de revenir se faire pendre !
L'album est également important pour d'autres aspects, certes secondaires : il est fait mention pour la première fois des cousins Dalton qui font ensuite leur première apparition avec Jesse James, Billy The Kid et Calamity Jane - même si, hormis les Dalton, ils n'ont pas encore le look qu'on leur retrouvera dans les tomes où ils seront les vedettes.
Morris dessine ces histoires avec un découpage très fourni : pas moins de 11-12 cases par planches, ce qui signifie qu'il a à illustrer des scripts riches, abondant en gags visuels. Dans Alerte aux Pieds-bleus, le dessinateur sauve vraiment les meubles en rythmant intelligemment des séquences parfois répétitives, surtout qu'il ne dispose pas d'un casting si développé (la plupart des indiens et des civils de Rattlesnake Valley ne font que de la figuration) et que ni Pedro Cucaracha, ni le shérif Grindstone ne sont très inspirés physiquement.
Mais Morris a de quoi se mettre en valeur avec le matériau bien plus attractif de Lucky Luke contre Joss Jamon et le prouve lui aussi dès la première page. Il donne ainsi à Pete l'indécis les propres traits de René Goscinny et à Sam le fermier ceux de Greg. Plus loin, lors d'une scène aboutissant à une belle bagarre comme il savait si bien les mettre en scène, il croque un cowboy avec le visage de Jean Gabin. C'est que, comme d'autres artistes de sa génération (Tibet, Uderzo), Morris était un caricaturiste virtuose.
Là aussi, le découpage est dense (même moyenne d'une dizaine de plans par planche), et si les angles de vue, la composition des vignettes, sont très classiques, cela donne un tonus indéniable à la lecture - Lucky Luke, c'est aussi un redoutable page-turner, facile à lire, avec un trait nerveux, tout pour accrocher le lecteur et ne jamais le lâcher.
De facture inégale, ces deux albums sont encore des lectures jubilatoires, pleines de fraîcheur, témoignant de la complémentarité entre Goscinny et Morris.
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