samedi 18 avril 2009

Critique 31 : JSA : THE GOLDEN AGE, de James Robinson et Paul Smith


JSA : The Golden Age est une mini-série publiée en 1993 en quatre volets, dans la collection "Elseworlds" de DC Comics, et que l'on doit au scénariste James Robinson et au dessinateur Paul Smith.
Cette histoire, bien avant le chef-d'oeuvre La Nouvelle Frontière de Darwyn Cooke, proposait de revisiter le passé des super-héros au temps du McCarthysme, mais dans une veine beaucoup plus sombre.
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Le récit s'ouvre avec le dénouement de la Seconde Guerre Mondiale et la retraite progressive et volontaire de plusieurs super-héros du "golden age". Ceux-ci formèrent la Justice Society of America et le All-Star Squadron mais à cause d'une arme magique détenue par Hitler, ne purent aller combattre en Europe.
L'un d'eux pourtant, Tex Thompson/
Mr America (ou the Americommando), s'est illustré Outre-Atlantique et revient au pays en héros. Il utilise rapidement sa notoriété pour se lancer dans une carrière politique, qui lui permet de devenir sénateur. Son projet est de créer une nouvelle équipe de surhommes pour contrer la "menace soviétique" qui pourrait atteindre les Etats-Unis.
Il recrute ainsi Robotman,
qui a perdu tout sens moral, Atom, qui rêve de gloire, Johnny Thunder, qui souhaite être reconnu à sa vraie valeur, et enfin Dan Dunbar alias Dan the dyna-mite, qui veut succèder à son défunt mentor TNT, et sur lequel Thompson a fait pratiquer plusieurs expériences pour le dôter de pouvoirs.
Les autres héros retirés doivent faire face à leurs propres problèmes : Alan Scott/Green Lantern
est blacklisté par la commission MacCarthy parce qu'il emploie des auteurs aux sympathies communistes ; Johnny Quick et Liberty Belle divorcent - Quick travaille à un documentaire sur les "Mystery men" et Belle est en couple avec le journaliste et écrivain John Law/Tarantula - ; Starman souffre d'une dépression nerveuse après avoir contribué à l'élaboration de la bombe atomique (responsable à la fois de la destruction d'Hiroshima et Nagazaski mais aussi du retrait des super-héros) ; Lance Gallant/Captain Triumph essaie de reprendre une existence banale mais le fantôme de son frère le hante ; Hourman continue de combattre le crime mais découvre son addiction à la pilule Miraclo qui lui procure ses pouvoirs.
De son côté, Paul Kirk/Manhunter, lui aussi de retour d'Europe où il s'est battu, est partiellement amnésique et fait d'éprouvants cauchemars, dont il a l'intuition qu'ils dissimulent un terrible secret. Il retrouve par hasard l'ancien partenaire de Thompson, Fatman, qui l'aide à se cacher puis à découvrir le sens de ses rêves en le conduisant jusqu'à Carter Hall/Hawkman.
C'est ainsi que la véritable nature de Thompson et de ses plans est dévoiléé : possédé par Ultra-Humanite, un des savants d'Hitler à Dachau, celui-ci veut briguer la présidence des Etats-Unis pour en faire le nouveau terrritoire de sa dictature...
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C'est un récit dense, très dense, et torturé que propose James Robinson. Tout d'abord, chaque épisode est beaucoup plus important qu'à l'accoutumée : 50 pages chacun, 200 pages au total, JSA The Golden Age n'entre pas dans les formats traditionnels mais la narration foisonnante, le nombre de protagonistes, les enjeux dramatiques, les entrées multiples du récit, la précision du contexte historique imposaient de voir plus grand que d'habitude.
Ensuite, et c'est sans doute une des limites du projet, il faut quand même être un peu initié à l'univers DC, quand bien même les séries "Elseworlds" ne s'inscrivent pas dans la continuité classique, pour tout comprendre. Ici, pas de Superman, Wonder Woman ou Batman pour nous prendre par la main : tous les personnages appartiennent vraiment à la période de "l'âge d'or" (c'est-à-dire des années 30 à 1956) et pour la plupart, ont disparu ou été remplacés par des versions modernisées (comme Green Lantern, ici incarné par Alan Scott et depuis devenu, avec un autre look, Hal Jordan). Mais on peut prendre cela comme une invitation à se documenter sur ces justiciers des origines - c'est d'ailleurs ce que j'ai fait - et ainsi mesurer toute la richesse à la fois de l'album et de DC Comics (au temps où la maison d'édition s'appelait encore la National).
Enfin, la construction même de l'intrigue, qui la rapproche des romans d'espionnage, avec ses esprits manipulés, ses cauchemars à tiroirs, son atmosphère de paranoia étouffante, ses personnages tourmentés, son complot diabolique, jusqu'à son dénouement à la fois tragique et spectaculaire, peut rebuter le lecteur habitué à plus d'action et de légèreté. Mais là encore, si l'on veut bien faire l'effort de s'accrocher, on ne risque pas d'être déçu par la profondeur psychologique et la variété des protagonistes, l'ambition d'un récit qui tient toutes ses promesses, et un final ravageur qui comblera l'amateur de batailles à l'issue incertaine.
Robinson ne caresse pas le lecteur dans le sens du poil mais il lui donne à lire quelque chose de vraiment consistant et dont il se souviendra longtemps. On a rapproché JSA The Golden Age des Watchmen de Moore et Gibbons pour sa complexité et sa manière d'injecter le pessimisme moderne dans une toile de fond rétro : à mon sens, c'est un compliment et le scénariste n'a pas à rougir de la comparaison - même si, évidemment, l'impact de son oeuvre est moindre que celle des "Gardiens".
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Graphiquement, cette série doit aussi énormèment à Paul Smith, qui s'y est beaucoup investi, au point de la considérer comme son meilleur ouvrage. Ceux qui se souviennent du graphiste suprèmement élégant des X-Men (encré par Bob Wiacek alors) retrouveront intact le talent de ce grand artiste méconnu, mais avec quelques nuances.
En effet, Smith, à la fois pour rendre hommage aux comics de l'époque et au traitement scénarristique de Robinson, a modifié quelque peu son style pour se rapprocher en particulier de ce que faisait l'immense Alex Raymond (le père de Flash Gordon). Respectant le design des costumes de super-héros, soignant particulièrement les décors et les lumières, et produisant de saisissantes scènes oniriques, l'artiste réussit à reproduire des effets "vintage" étonnants tout réalisant des planches d'une authentique modernité.
Smith s'est encré lui-même et a bénéficié de la mise en couleurs de Richard Ory, découvert par Howard Chaykin (qui signe la préface élogieuse de l'album). Et par mise en couleurs, c'est un véritable travail de peintre qu'effectue Ory, avec une gamme de nuances, de textures, d'ambiances, là encore exceptionnelle pour un comic-book de super-héros.
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Assurèment, un des comics fondamentaux de ces dernières années !

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