jeudi 15 juin 2023

VOID RIVALS #1, de Robert Kirkman et Lorenzo de Felici

Voici un comic-book que je n'ai pas acheté mais qu'on m'a prêté... Et que j'ai couru acheter ensuite ! Void Rivals est en effet la nouvelle série écrite par Robert Kirkman, avec lequel je n'ai pas été tendre sur Fire Power et que je n'avais donc aucune raison de suivre sur un nouveau projet, et dessinée par Lorenzo de Felici, dont j'ai adoré Kroma et que j'avais hâte de retrouver. Après Oblivion Song, ils se retrouvent et signent ce qui restera certainement comme un des meilleurs premiers épisodes de 2023 !



Darak, un soldat agorrien, s'échoue le premier sur un planétoïde avant que Solila, une combattante zertonienne, qui s'est aussi crashée là, ne le voit. Ils se battent puis conviennent de s'entraider pour repartir. Leurs tentatives, dont l'une avec l'épave d'un autre vaisseau, échouent. Ils ôtent leurs casques et là, surprise !


Alors que Fire Power reviendra le mois prochain (mais j'hésite à craquer, même si je me connais, je suis faible et je vais avoir besoin de mon fix de Samnee), en Juin, Robert Kirkman lance sa nouvelle série régulière sur son label Skybound : Void Rivals.


Il retrouve pour cela le dessinateur de son précédent projet, Oblivion Song, l'italien Lorenzo de Felici, qui, lui, entre temps, a signé une magnifique mini-série, Kroma. Void Rivals a été vendue aux retailers US avec la promesse qu'ils garderaient le secret sur le twist de ce premier épisode et le buzz a fait le reste : pas de doute, ce sera un énorme carton.


Pourtant, je n'étais pas chaud pour Void Rivals, malgré Lorenzo de Felici. En effet, je ne suis pas un bon client pour Kirkman : je n'ai jamais lu Invincible, ni The Walking Dead, ni Outcast, et quand il s'est allié à Chris Samnee pour Fire Power, passée l'excitation des premiers arcs, la lassitude m'a gagné.

Kirkman est pour moi comme Mark Millar : un scénariste efficace doublé d'un excellent commerçant. Mais là où j'apprécie souvent Millar pour ses pitchs rondement développés, sans me leurrer sur leur qualité (très variable), Kirkman me tente moins. Je me fiche de ses histoires de zombies, de sa relecture super-héroïque, de la saga de son exorciste. Je vais sans doute malgré tout me laisser tenter par le Compendium Oblivion Song (regroupant en un seul volume softcover la totalité des 36 épisodes du titre en Août) et je craquerai bêtement le mois prochain pour le retour de Fire Power parce que je n'arrive pas à me sevrer de Chris Samnee.

En tout logique, je n'avais donc pas précommandé le n°1 de Void Rivals, mais un ami l'avait fait, l'a lu et me l'a passé en me promettant que c'était génial. Toujours pas convaincu, je me suis plongé et l'épisode englouti, bon sang, c'était vrai : c'est génial ! C'est comme on dit une idée qu'on aimerait avoir comme scénariste, une idée toute con, minimaliste au possible mais avec un énorme potentiel.

Avant d'aller plus loin, connaissez-vous ce film ? 



Hell in Pacific de John Boorman (1968) raconte comment deux soldats, l'un américain (joué par Lee Marvin, dont ce fut la seconde collaboration avec Boorman après Point Blank - Le Point de Non-Retour, adapté de Parker de Richard Stark, plus tard devenu un album de Darwyn Cooke), l'autre japonais (incarné par Toshiro Mifune), échouent en plein conflit sur une île. Les deux ennemis comprennent qu'ils ne survivront qu'en s'entraidant. Jusqu'à ce qu'une découverte ravive leurs différends...

Ce film est un chef d'oeuvre méconnu, avec seulement ces deux acteurs. Ce n'est jamais chiant, mais palpitant, la situation est simple mais intense, et Boorman l'exploite et la filme de manière magistrale, les deux acteurs sont incroyables.

Hé bien, ça ne m'étonnerait pas que Robert Kirkman ait vu Duel dans le Pacifique avant d'écrire Void Rivals car le postulat est identique. Deux soldats extraterrestres échouent sur un planétoïde perdu. Leurs vaisseaux sont bons pour la casse. Ils commencent par se mettre sur la tronche, se reprochant mutuellement d'être là où ils sont. Puis comprennent qu'il va falloir qu'ils s'entraident pour survivre. Avant de faire une découverte saisissante qui risque bien de tout changer pour eux et même pour la guerre dans laquelle ils étaient engagés.

Parfois, les idées les plus élémentaires, les plus dépouillées, sont comme pour le dessin les meilleures. C'est le fameux "less is more" d'Alex Toth, tout enlever jusqu'à ce qu'il ne reste plus que le coeur, l'essentiel. Pas besoin de toujours tout compliquer, complexifier, la base suffit. C'est dans la contrainte que nait l'intérêt de l'exercice et oblige l'auteur et l'artiste à se surpasser. Et Void Rivals, c'est exactement ça : un exercice de style tellement simple qu'il devient une sorte de prouesse forçant le scénariste Kirkman et le dessinateur de Felici à aller au bout d'eux-mêmes. Une métaphore aussi de ce qui arrive à leurs héros.

Car Darak et Solila échappent à la dichotomie vilain-gentil. En vérité, on ne sait pas lequel est dans le bon camp, ni même s'il y a un bon camp. Ce sont deux soldats ordinaires, on ne connait rien de leurs grades, de leurs origines, pourquoi ils se battent. Juste qu'ils se sont échoués sur un bout de caillou dans l'espace, loin de tout, du champ de bataille. Ils se méfient l'un de l'autre, et leur réaction face à cette situation est diamétralement opposée : Darak ne veut pas baisser les bras et trouver un moyen de repartir avec Solila qui, elle, est à la fois abattue et furieuse.

Les dialogues servent cette situation avec là aussi beaucoup de simplicité. Kirkman ne se lance pas dans de grandes tirades sur la vie, la mort, la guerre, ses deux personnages s'expriment naturellement, ils sont perdus, ils ont peur, ils sont en colère, ils reprennent espoir, ils le perdent... C'est ce qui rend la série universelle : tout le cadre, science-fiction, space opera, est un prétexte pour alimenter des péripéties, des rebondissements. Mais en vérité, comme dans Duel dans le Pacifique, ce sont juste deux soldats, mieux deux individus contraints par les circonstances à s'allier et à considérer l'absurdité de ce qui leur arrive.

Il y a du Samuel Beckett là-dedans, quelque chose de théâtral et en même temps de profondément viscéral, d'abstrait et de concret. Lorenzo de Felici s'en saisit et son graphisme, prodigieux, rend compte de tout ça, là encore, toujours, très simplement. Pendant les 9/10ème de l'épisode, Darak et Solila ressemblent davantage à des robots qu'à des humanoïdes, ils ne quittent pas leurs armures, leurs casques, ce sont des créatures sur lesquelles on peut tout projeter, étrangement familières grâce à ça et en même temps bizarres. Elles feront penser par leur design à Rom le chevalier de l'espace (pour ceux qui ont lu ça dans "Strange" - et, en passant, bonne nouvelle, Marvel vient de conclure un deal pour republier la série de Bill Mantlo et Sal Buscema en omnibus en 2024).

De Felici l'a prouvé avec Kroma, c'est aussi un dessinateur génial pour créer des environnements. Là, c'est le dénuement complet, absolu. Cette planète est déserte, c'est un caillou désolé, perdu au milieu de nulle part, le pire endroit où s'échouer. Pourtant, l'artiste le traite comme un cadre qui réussit à être surprenant : puisqu'apparemment rien ne s'y trouve, tout peut s'y trouver. La découverte d'une fosse avec une épave devient un événement (et ça l'est encore plus quand on découvre ce qu'est cette épave, mais chut !).

Pour ne rien gâcher, les planches de de Felici sont mises en couleurs par Matheus Lopes, le partenaire habituel de Bilquis Evely et Matias Bergara. Autant dire que c'est beau. Lopes, lui aussi, fait de ce planétoïde quelque chose d'insoupçonnable au premier regard, avec des nuances différentes pour chaque zone explorée. C'est une sorte de prouesse là encore parce qu'en fait, en réalité, il n'y a rien d'extraordinaire là où se déplacent Darak et Solila, mais Lopes arrivent à nous faire croire que, au contraire, par une teinte spéciale, on va assister à quelque chose d'extraordinaire. Parfois, c'est vraiment le cas, parfois pas du tout, mais notre attention est constante grâce à ses couleurs, mais aussi au découpage, aux angles de vue, à la valeur des plans.

Bon, et maintenant, si vous allez plus loin, c'est à vos risques et périls, donc :


Comme j'en parle plus haut, pour vendre sa série aux retailers de comics, un scénariste comme Kirkman doit trouver un argument qui convaincra lesdits détaillants à mettre en avant son produit, à le conseiller. Kirkman n'est pas qu'un auteur, c'est aussi le propriétaire d'un label au sein de Image Comics, Skybound. Ce label abrite ses créations (comme Top Cow le fait pour celles de Marc Silvestri, Todd McFarlane Productions pour McFarlane, Wildstorm pour Jim Lee - qui l'a vendu à DC - , etc) et celles d'autres auteurs.

McFarlane s'est diversifié avec des figurines, des statuettes par exemple. Skybound rachète des licences et récemment a fait pris à IDW Publishing les licences Transformers et G.I. Joe pour leurs adaptations en comics. Donc, à la rentrée, on trouvera des séries avec ces personnages chez Skybound et à la fin de Void Rivals, on a cette page d'annonces :
   

Et c'est du lourd ! Joshua Williamson, Daniel Warren Johnson, rien que ça ! Mais c'est pas tout ! Car Void Rivals s'inscrit dans un univers partagé, The Energon Universe, dont feront partie Transformers et G.I. Joe et d'ailleurs dans ce premier épisode on croise le temps d'une scène un Cybertron (en fait l'épave trouvée par Solila). Donc à terme ça signifie que des personnages de la création de Kirkman apparaîtront dans Transformers et GI Joe et réciproquement - même si le scénariste a tenu à rassurer les lecteurs de Void Rivals que ce titre pourrait se lire sans être obligé de suivre ce qui se passe à côté (mais bon, Transformers par Daniel Warren Johnson, quand même, ça pourrait me tenter).

Voilà. Quoique vous décidiez de faire, Void Rivals en tout cas, c'est de la bombe et ça mérite de passer outre les réserves que peut vous inspirer Robert Kirkman.

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