samedi 24 juin 2023

ULTIMATE INVASION #1, de Jonathan Hickman et Bryan Hitch


Avant de découvrir son très alléchant nouveau projet (G.O.D.S., avec Valerio Schiti un peu plus tard cette année), Jonathan Hickman revient donc ce mois-ci avec une mini-série en quatre numéros : Ultimate Invasion. Il est accompagné au dessin par Bryan Hitch, un artiste avec qui il souhaitait travailler depuis longtemps et dont le nom reste attaché aux Ultimates alors que le scénariste avait sonné le glas de cet univers parallèle dans Secret Wars. Vous avez dit intrigant ?


Un groupe d'hommes lourdement armés pénètre dans les locaux de Damage Control pour en libérer le Créateur, alias Reed Richards de l'univers Ultimate. Celui-ci dérobe aux inhumains, aux atlantes, aux mutants, à Stark Industries, aux wakandais de la technologie pour créer un portail inter-dimensionnel. Les Illuminati tentent de le rattraper, en vain...


Ultimate Invasion réunit le scénariste qui a enterré l'univers Ultimate (dans l'event Secret Wars), Jonathan Hickman, et le dessinateur de Ultimates (la version des Avengers qui beaucoup inspiré celle du MCU), Bryan Hitch, dans une tentative inattendu : recréer cet univers parallèle.


D'autres, avant Hickman, avaient eu cette envie : Al Ewing où il écrivait sa propre série Ultimates, Donny Cates... Mais ça n'a jamais dépassé le stade du projet. Marvel, au début des années 2000, avait lancé l'univers Ultimate pour attirer de nouveaux lecteurs que quarante ans de continuité échaudaient et avec Ultimate Spider-Man/X-Men/Fantastic Four et Ultimates, Brian Michael Bendis et Mark Millar matérialisèrent ce plan fou.


Mais, ironie du sort, l'univers Ultimate a fini par s'éteindre, écrasé par sa propre continuité, et épuisé par ses propres dérives. Le crossover Ultimatum de Jeph Loeb avait tenté de lu donner un coup de fouet en sacrifiant un nombre important de ses héros mais écoeura les fans, Mark Millar tenta de relancer la machine avec Ultimate Avengers, Brian Michael Bendis remplaça son Ultimate Spider-Man. Rien n'y fit.

Et finalement, en 2015-2016, ce qui est à la fois récent et si lointain dans la temporalité des comics, Jonathan Hickman mit fin à cette agonie avec l'event Secret Wars. Tout comme le New Universe rêvé par Jim Shooter au milieu des années 1980, l'univers Ultimate n'a pas eu le temps d'être adulte tout en voulant proposer une version mature content de l'univers Marvel.

Quelle mouche a alors piqué Jonathan Hickman de vouloir relancer cela en 2023 ? Le scénariste a expliqué son intention en notant que le projet initial de l'univers Ultimate était de montrer le monde des super-héros comme s'il faisait réellement partie de notre monde réel, mais de manière moins fantasmée que Marvels de Kurt Busiek. En prenant en compte l'évolution du monde depuis son arrêt, Hickman ambitionne de refaire ce coup aujourd'hui.

Marvel n'aimant rien tant que se spoiler tout seul, on sait désormais que Ultimate Invasion servira de rampe de lancement à Ultimate Universe, une refonte plus globale, dont Hickman écrira un titre (dessiné par Stefano Caselli) et qui verra d'autres auteurs et artistes s'y greffer (avec d'autres titres, et peut-être de nouveaux personnages). Pour un scénariste qui est défini comme un "world-builder" comme Hickman, voilà un champ des possibles encore plus grand que les X-Men, mais surtout un terrain de jeux susceptible de ne pas être parasité par des crossovers ou events comme ceux qui polluent la Terre-616.

Que dire de ce premier numéro (sur quatre) ? D'abord, sa pagination est augmentée et on y retrouve des data pages (comme pour moults projets de Hickman). Ensuite, c'est un épisode introductif, donc forcément un peu frustrant, mais à ceux qui s'en plaignent, réclamant davantage, on peut répondre simplement qu'il s'agit de faire redécoller une fusée à plusieurs étages et de ne pas tout dire en un seul chapitre.

On assiste donc à l'évasion de l'Ultimate Reed Richards/le Créateur, qui vole à différents Etats et individus de la technologie pour confectionner un portail. Il rend aussi une visite à Miles Morales, l'autre survivant de l'univers Ultimate, pour l'inviter à rentrer à la maison, mais il décline. Les Illuminati se réunissent pour la première fois depuis longtemps et on notera la présence de Charles Xavier - dont on aurait pu penser que depuis l'avènement de Krakoa, il aurait coupé les ponts avec ses anciens acolytes conspirateurs. Ils suivent the Maker, le laissent faire pour savoir ce qu'il a en tête, puis tentent de le stopper, échouent. L'épilogue de l'épisode est très étrange dans la mesure où on ignore combien de temps s'est écoulé, où on est exactement, même si on retrouve le Créateur, Peter Parker, et une fameuse araignée radioactive...

Introductif donc, mais pas inactif. Certes ça met un peu de trop de temps à démarrer, l'évasion du Créateur occupe beaucoup de pages, et on se demande légitimement comment un prisonnier si bien enfermé a pu assembler un commando capable de le localiser, de le libérer alors qu'il se vante devant ces mercenaires d'avoir découragé des psys (sans que ça alerte quiconque ?). On espère quand même que Hickman donnera quelques réponses à ces énigmes. Ou alors qu'il nous embarquera dans une suite tellement puissante et palpitante qu'on les oubliera. On souhaite par contre que le conflit qui s'annonce, inévitable, soit justifié proprement par autre chose que la volonté des Illuminati de remettre la main sur le Créateur (car, après tout, le laisser repartir dans son univers pour tenter de le reformer, si ce n'est pas pour menacer la Terre 616, devrait plutôt les soulager).

Bryan Hitch produit des planches conformes à ce qu'on attend d'un artiste comme lui : tout est détaillé de manière maniaque, dans un style réaliste et descriptif. Le découpage n'est pas avare de ces grandes cases qui lui permettent de reproduire des décors amples, majestueux ou complètement dévastés. C'est le côté Michael Bay de Hitch : tout paraît plus grand, plus fort que dans les autres comics, en même temps que tout se veut plus familier, figuratif, photographique.

Les personnages ont parfois de drôles d'expressions et postures, et on peut constater l'évolution (la régression ?) de l'artiste à cela. Aujourd'hui, il s'est complètement débarrassé de l'influence d'Alan Davis, son trait a perdu en rondeur, et il ne partage plus avec son illustre collègue anglais l'encreur Paul Neary si fort pour nuancer un dessin. C'est Andrew Currie, qui opère un bon cran en dessous, mais qui n'a pas peur de se taper des crayonnés aussi fournis qui officie, avec beaucoup moins de subtilité, quitte parfois à souligner les défauts de Hitch (son Black Panther ne ressemble à rien et en un sens, c'est attendu car c'est un personnage au design simple, trop dépouillé pour un dessinateur si habitué à vouloir faire réaliste).

Il y a donc parfois un décalage entre le script et l'image. Ainsi donc le prologue, que j'ai trouvé trop long, est la partie que Hitch dessine le mieux, avec ce commando surarmé dans les locaux aseptisés et technologiques de Damage Control. Tandis que le conciliabule des Illuminati dans une pièce sombre avec des personnages aux looks classiques de super-héros met en évidence les talents de dialoguiste et de narrateur de Hickman mais semble ennuyer Hitch. Les deux hommes se réconcilient avec la fin quand Illuminati et Créateur se sautent dessus avec fracas. En fait, c'est comme si les deux géants qu'étaient Hickman et Hitch s'annulaient, l'un étant bon là où l'autre l'est moins, et avec des styles trop marqués pour être pleinement compatibles. Il sera intéressant si la suite confirmera ce déséquilibre.

Peut-être aussi est-on désarçonné par le projet lui-même, son improbabilité ? Il est taillé par celui qui l'a conçu, Hickman, et Hickman est un conteur trop fort pour avoir finalement besoin d'un artiste aussi massif que Hitch - les meilleurs artistes pour Hickman sont soit des dessinateurs à qui il donne une histoire qui les surmotivent (Larraz, Dragotta, Schiti, Caselli), soit des graphistes qui ré-interprêtent visuellement ses histoires (Huddleston, Coker). Hitch, de son côté, a expliqué sur Twitter avoir longtemps ignoré des troubles mentaux dont il souffrait et qui l'handicapait dans son travail, son rendement, avant de se soigner et d'être aujourd'hui capable de produire à une cadence soutenue : se frotter à un architecte strict comme Hickman est peut-être sa limite au moment où sa créativité renaît.

J'aurai aimé être plus enthousiaste, mais Ultimate Invasion est pour l'instant un pari en devenir. Le projet est excitant, mais presque plus pour ce qu'il annonce que pour cette mini-série elle-même. Et c'est pour ça que je la recommande surtout aux fans de Hickman qu'à ceux de Hitch. C'est une vraie curiosité, excitante et frustrante à la fois.

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