mercredi 6 janvier 2021

FUTURE STATE : THE NEXT BATMAN #1, de John Ridley et Nick Derington

 

The Nex Batman ouvre une parenthèse éditoriale de deux mois dans les publications DC Comics. L'éditeur a en effet décidé de mettre en stand-by toutes ses séries régulières pour nous propulser dans un futur très sombre et introduire des nouveaux héros ou reconfigurer des personnages classiques. Il s'agit en vérité d'un projet recyclé (sur lequel je reviens plus bas), mais surtout d'une rampe de lancement pour une relance globale en Mars. Le scénariste oscarisé en 2013 John Ridley signe ce Nex Batman dessiné par Nick Batman pour donner le la.


Gotham, dans le futur. Le Maire de la ville, pour endiguer la criminalité, a donné toute autorité au Magistrat, une organisation paramilitaire, chargé d'appréhender, mort ou vif, tout individu masqué. Dans ces conditions, un nouveau Batman protège les rebelles et défie les Gardiens de la Paix.


Sous le masque se cache Tim Fox, dont la mère est juriste pour le Magistrat. Sa soeur, Tam, victime d'une bavure, est dans le coma et Jace est un voyou en cavale. Chubb, une détective du GCPD cherche à savoir qui est le nouveau Batman et quelles sont ses intentions.


Cependant, le gang des Bane-Litos enrôle des gamins à la dérive pour tuer des Gardiens de la Paix. Batman s'interpose et en sauve deux mais les livre aux services sociaux ensuite...

The Nex Batman est publié avec deux back-up stories, qui se déroulent en 2025 : Outsiders est écrit par Brandon Thomas et dessinée par Sumit Kumar et l'action se situe dans la périphérie de Gotham, protégée par Katana, où le Signal (Duke Thomas) convoie des civils persécutés par le Magistrat. Katana affronte Kaliber, un savant complice de ce nouvel ordre, avant d'être sauvée par Black Lightning...


Ensuite, on a droit au tout aussi dispensable Arkham Knights, écrit par Paul Jenkins et dessiné par Jack Herbert, où d'anciens pensionnnaires de l'asile de Gotham se sont associés, sous la direction d'Astrid Arkham, pour résister à l'oppresseur tout en poursuivant un objectif mystérieux...


Ces deux complètments de programme n'ajoutent rien au concept mais bénéficient de dessins soignés (j'ai tout de même une préférence pour Outsiders). Ils soulignent surtout trop une ambiance déjà très sombre avec des personnages de second rang (design très réussi pour Katana et apparition mémorable de Black Lightning sous une forme surprenante).

Revenons à The Next Batman et Future State. Il y a quelques mois, avant le renvoi inattendu de Dan Didio, responsable éditorial de DC (avec Jim Lee), les sites d'informations spécialisés dans les comics évoquent La 5G, pour un projet de relance des titres de l'éditeur. Rien n'est clair mais l'hypothèse la plus répandue est qu'une nouvelle génération de héros, souvent des héritiers spirituels des icones DC, va prendre le relais. C'est audacieux, presque trop, mais après tout, pourquoi pas de la part d'une maison d'édition habitué à se réinventer régulièrement ?

Pendant des semaines, aucune annonce ne vient préciser les contours de cette "5G". Puis la crise sanitaire survient et quasi-simultanément Dan Didio est remercié, sans explications. C'est un coup de tonnerre dans le milieu, même si le bonhomme était très décrié par les fans. Le bouleversement provoqué par le COVID-19 oblige DC (et les autres éditeurs) à repenser leurs sorties à cause de la fermeture des comics-shops, sans compter que DC décide de changer de diffuser (quittant Diamond, le principal acteur du marché). Résultat : le projet "5G" de Didio est enterré.

La situation sanitaire se calme un peu (très relativement), assez en tout cas pour que les comics sortent à nouveau normalement. Un nouveau concept émerge chez DC, Future State, qui ressemble fort à la "5G" mais que l'éditeur concentre sur les deux premiers mois de 2021. En lisant entre les lignes, on devine alors que DC prépare le Printemps et qu'on va assister à un jeu de chaises musicales du côté des auteurs. D'ailleurs, la crise a fait des dégats considérables : on assiste à une vague de licenciements massif, des contrats ne sont pas renouvelés, de nouveaux auteurs arrivent (qui feront leurs preuves durant Future State) et pour faire encore plus d'économies, une réduction drastique des séries régulières est annoncée (en effet, en Mars prochain il n'y aura plus que 17 titres DC dans les bacs).

Pour marquer les esprits, il fallait à DC un nom ronflant pour incarner Future State et c'est à John Ridley que revient ce redoutable honneur. Ridley n'est pas un inconnu : il a reçu l'Oscar du meilleur scénario en 2013 pour 12 Years a Slave de Steve McQueen... Et après Tom King, son nom était cité pour prendre en main la série Batman (avant que James Tynion IV soit confirmé à ce poste). Mais déjà, à l'époque, Ridley voulait surtout écrire le premier Batman avec un afro-américain sous le masque.

Ce sera finalement The Next Batman et Luke Fox, le fils de Lucius Fox. Une timeline a été communiquée pour les séries estampillées Future State, pourtant cette série n'est pas située. Néanmoins on peut estimer qu'elle se déroule aux alentours de 2025, un peu avant Outsiders et Arkham Knights, ce qui ferait de ce Batman le premier rebelle contre le Magistrat et l'Etat policier décrété par le Maire de Gotham. Il est mentionné que Bruce Wayne est en cavale, sa disparition a plongé la ville dans une situation oppressante et ce nouveau Batman, dont le masque recouvre tout le visage apparaît comme une lueur d'espoir, qui inspirera les autres résistants.

Le script est assez dense : Ridley a peu de place (mais si sa série comptera quatre numéros et sera donc la plus longue de Future State) pour établir ce statu quo cauchemardesque et s'en acquitte avec efficacité. Il nous plonge dans l'action dès la première scène, présente les protagonistes rapidement et clairement, sans hésiter à multiplier les pistes (entre la mère juriste, la soeur dans le coma, le frère délinquant, le gang des Bane-Litos, les Gardiens de la Paix, la détective Chubb du GCPD). On est presque pris au dépourvu par une telle quantité d'informations et la fluditié avec laquelle Ridley nous les expose. Il est rare qu'un scénariste de cinéma soit aussi vite à l'aise avec les codes narratifs de la BD.

Alors certes DC n'innove pas tant que ça : des "Elseworlds" dystopiques dans un futur répressif, ce n'est franchement pas la première fois qu'on y a droit. Je sais bien que les histoires positives ne font pas recette mais c'est tout de même un peu lourd de lire ça alors qu'on vit sous cloche depuis des mois, avec un virus qui circule toujours activement et un vaccin qui mettra des mois à être administré au plus grand nombre sans garantie qu'il nous immunise durablement. J'avoue que, en ce moment, je lirais volontiers de récits un peu plus légers et optimistes. Mais bon, ce Next Batman est accrocheur, bien fait.

Et il permet de relire des planches dessinées par Nick Derington. La dernière fois qu'on a pu profiter de cet artiste, c'était, tiens, pour l'excellent Batman Universe écrit par Bendis. Cette fois, dans un contexte radicalement différent, Derington prouve qu'il est toujours aussi à l'aise et sert le script avec un brio épatant.

Son trait est devenu plus gras (davantage que sur Doom Patrol où il était encré par Tom Fowler) mais aussi plus détaillé. Il produit des effets de textures qui évoquent le style de Rafael Grampa parfois. Et c'est ce mix étonnant qui signe l'originalité esthétique de Derington dont on pourrait dire qu'il dessine du super-héros avec une sensibiltié quasi-indé. Le soin qu'il met à représenter les décors est supérieur à la moyenne. Il découpe ses scènes en jouant sur des effets subtils de travellings, de plans fixes, de cases verticales. 

Cette variété est très agréable et dynamise la narration graphique de manière discrète. C'est seulement l'épisode lu qu'on se rend compte à quel point on a été bien servi, visuellement bien nourri, et que la densité qu'on notait dans l'écriture se retrouve dans le dessin. Tout cela fait complètement oublier en fait que le "prochain Batman" est un afro-américain, ce qui prouve bien qu'un bon personnage n'a rien à voir avec une revendication politique sur la couleur de sa peau. Ce n'est pas innocent d'imposer un Batman noir, mais pas essentiel : ce qui compte, ce qu'on retient, c'est que ce nouveau Batman est intéressant au-delà de sa couleur de peau et du symbole que cela suggère.

Même si ça ne dure que deux mois, Future State compte beaucoup de titres, très divers. Je n'ai pas l'intention de tous les acheter, je vais même être très sélectif. Mais The Next Batman me semble certainement taillé pour être incontournable par sa place dans cette collection et sa qualité intrinsèque.

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