jeudi 14 janvier 2021

FUTURE STATE : DARK DETECTIVE, de Mariko Tamaki et Dan Mora, Matthew Rosenber et Carmine Di Giandomenico

 

Future State : Dark Detective est, lui aussi, un diptyque avec deux séries au programme. D'une part, Dark Detective est écrit par Mariko Tamaki et dessiné par Dan Mora. De l'autre, Grifters est signé Matthew Rosenberg et Carmine di Giandomenico. Prime à l'action et aux premières années de la Magistrature à Gotham par deux équipes créatives inspirées.



2027. Gotham. Batman a été désigné comme l'ennemi public numéro 1 par la Magistrature. Ruiné, traqué, Bruce Wayne est aussi blessé par balles lors d'une arrestation raté. Il frappe à la porte d'un médecin qui accepte, contre de l'argent, de le soigner clandestinement.


La mort de Batman est annoncée par les médias et Bruce Wayne assiste discrétement à ses funérailles. Mais il n'a pas renoncé à protéger la population et intervient, quand, dans une ruelle, un civil se fait agresser. Bien entendu, cela n'échappe pas aux Gardiens de la Paix.


Remettant son masque de Batman, Wayne est poursuivi par des drones et touché à un mollet. Il parvient malgré tout à les semer. Mais le Gardien de la Paix 1 est à ses trousses. Pour le justicier, qui a vu sa fortune et sa technologie détournées au profit de ce nouvel ordre, il est temps de corriger cela...

Dark Detective peut se lire d'abord comme le tour de chauffe de la future équipe créative de la série Detective Comics puisqu'en Mars ce seront Mariko Tamaki et Dan Mora qui succèderont à Peter Tomasi et Brad Walker sur ce titre historique de DC.

Dans le contexte de Future State, il s'agit d'une histoire quasiment essentielle pour comprendre ce futur cauchemardesque puisqu'on retrouve Bruce Wayne et qu'on comprend à la fin de l'épisode que ce sont sa fortune, sa technologie et sa méthodologie qui ont permis le règne de la Magistrature à Gotham. Bien entendu, il faudra attendre le prochain numéro pour savoir comment le héros a été dépossédé de la sorte.

Mariko Tamaki est un peu la Kelly Thompson de DC : l'éditeur semble beaucoup miser sur elle bien qu'elle connaisse ses fortunes diverses. Quand elle signe des graphic novels visant un public plus jeune, comme Harley Quinn : Breaking Glass ou Supergirl : Being Super, elle touche juste, bien aidée par des artistes de première classe (Steve Pugh, Joelle Jones). En revanche, elle vient de conclure un piteux et éphémère run de quelques mois sur Wonder Woman sur laquelle elle sera remplacée en Mars.

Mais en s'emparant de Batman  même dans un futur comme celui de Future State, Tamaki hérite d'un sacré challenge puisqu'elle devient la première femme à écrire le Dark Knight. Et elle s'en sort bien : certes, voir Bruce Wayne traqué, comme l'ennemi public n°1, ce n'est pas nouveau, mais le résultat est efficace. Et surtout, le fait qu'il soit devenu la proie du nouvel ordre à cause de méthodes qu'il aurait lui-même imaginées ne manque pas de saveur, étant donné que Batman est connu pour avoir toujours un coup d'avance sur l'adversaire. On peut aussi se demander qui se cache vraiment derrière le Gardien de la Paix 1 qui le poursuit : est-ce un chasseur connu de la galerie de méchants du héros ? Ou un fonctionnaire zélé ? Le design des Gardiens de la Paix fait immanquablement penser à celui de Red Hood/Jason Todd, un ancien Robin, mais ce n'est qu'une hypothèse que je formule.

Dark Detective confirme en outre que les séries estampillées Future State bénéficient, pour celles que j'ai lues du moins, d'excellents dessinateurs. Voir Dan Mora dessiner Batman est un régal et augure de belles choses pour Mars (même si je me pose la question de l'engagement de l'artiste qui dessine aussi Once & Future, une série écrite par Kieron Gillen : je doute qu'il puisse réaliser deux titres réguliers simultanément, alors restera-t-il longtemps sur Detective Comics ?).

Visuellement, Mora ne s'économise pas en tout cas. Il soigne ses décors et la mise en couleurs de Jordie Bellaire est exceptionnelle : les rues de Gotham avec leurs façades d'immeubles où sont disposés de gigantesques écrans la font ressembler à une mégalopole asiatique saturée de lumières criardes et oppressantes, tandis que ses ruelles sont des artères étroites, sombres et inquiétantes.

Mora est ostensiblement inspiré par le Batman de Jim Lee, athlétique, costaud, le visage carré, les traits tirés. Mais il a pour lui un meilleur sens du découpage, une plus grande variété dans les expressions et une manière plus souple de faire bouger ses personnages, sans compter qu'il n'abuse pas des effets de textures (notamment des hachures chères à Lee).

Bref, c'est très encourageant.

*


2025. Gotham. Cole Cash, depuis l'avènement de la Magistrature, fait profil bas. Mais lorsqu'une partie de poker à laquelle il participe dans un bar dégénère, il se défend et attire l'attention du GCPD. Il tente alors de fuir mais se fait arrêter. Dans le fourgon de la police, il retrouve Luke Fox/Batwing.


Contre 50 000$, Fox obtient de Cash qu'il le fasse sortir de Gotham. Le mercenaire provoque un accident  et neutralise les policiers du fourgon. Puis il entraîne Fox dans son repaire où il récupère son arsenal. Direction : la planque d'un contact qui pourra les aider à quitter la ville.


Mais avant d'arriver là, les deux hommes traversent des bas-quartiers où Grifter est reconnu. Une fusillade éclate dont le mercenaire se sort avec son client. Ils atteignent le mystérieux cntact de Cash : Huntress...

Grifters (au pluriel...) est présenté en back-up story. Le mercenaire vedette des WildC.A.T.S, équipe de super-héros emblématique des débuts d'Image Comics, co-créée par Jim Lee, a récemment été intégré à la série Batman par James Tynion IV. Avant un retour ses ses co-équipiers (on sait que d'autres personnages Wildstorm, comme Midnighter et Apollo de The Authority, ont fait le même trajet, et durant les New 52, dans la série Grayson, des membres des WildCATS apparaissaient dans l'ombre) ? C'est une arlésienne sur laquelle bien des auteurs se sont cassés les dents (Grant Morrison le premier)...

Située en 2025 (deux ans avant Dark Detective), l'histoire écrite par Matthew Rosenberg ne trahit pas l'esprit du personnage en tout cas. La Magistrature est déjà l'oeuvre, mais le GCPD (la police de Gotham) semble encore en première ligne pour appréhender les justiciers masqués. Cole Cash, contre toute attente, a choisi la discrétion mais son mauvais caractère lui joue vite des tours. Le voilà dans le même fourgon que Luke Fox alias Batwing. Qui lui fait une offre impossible à refuser...

C'est parti pour une course-poursuite haletante, simple mais imparable. Les talents de combattant de Grifter sont mis en valeur et le sens de la répartie du mercenaire en fait un protagoniste irrésistible. Je ne lisais pas WildCATS dans les années 90 mais j'ai toujours eu un faible pour ces héros, souvent copiés sur ceux de Marvel et DC (avec ses simili-Hulk, Wonder Woman, Wolverine, etc). Leurs designs étaient bariolés mais séduisants. J'ai toujours pensé qu'entre de bonnes mains ils seraient capables de charmer encore maintenant des lecteurs. Grifter, qui était une sorte de décalque de Hawkeye (tireur d'élite, grande gueule, blond, beau gosse), a tout pour plaire : c'est l'archétype du cool.

Rosenberg n'est pas un grand scénariste mais quand il reste modeste sur son propos, il convainc sans mal - c'est plutôt qu'il s'en contente rarement et il gâche alors ses projets (comme l'an dernier avec Hawkeye : Freefall, dont la fin ruinait tout).

J'avais peur du graphisme de Grifters parce que je n'ai jamais aimé le style de Carmine di Giandomenico. Pourtant, cette fois, l'artiste se montre sous son meilleur jour. Il semble s'être calmé et son trait est plus maîtrisé, ses personnages moins moches. Il soigne ses décors, son découpage est très nerveux. Il est étonnamment parfait. La mise en couleurs, souvent dégueulasse chez lui, est ici beaucoup plus sobre, ce qui joue beaucoup.

Vraiment une belle surprise. Et pour ce titre double, un excellent investissement. Future State souffre indéniablement d'un concept répétitif et de peu d'espace pour ses auteurs, mais il constitue aussi une sorte de laboratoire pour les personnages et constitue une parenthèse honorable pour DC avant un quasi-relaunch en Mars.

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