Comme le définit lui-même son co-créateur et réalisateur, Nicolas Winding Refn, Too Old to Die Young n'est pas une série mais "un film de treize heures en dix épisodes". Toute la démesure du projet tient dans ce programme produit et diffusé par Amazon Prime. C'est surtout une expérience rare, extrême, sensorielle, qui repousse les limites du média et s'impose comme une oeuvre à part. Un chef d'oeuvre.
Martin Jones (Miles Teller)
(Le Diable) - Jeune agent du LAPD, Martin Jones fait équipe en patrouille de nuit avec Larry, un collègue ripou comme lui. Tandis qu'il répond à un appel de sa maîtresse, Amanda, il est abattu par un jeune mexicain, Jesus Rojas, qui s'enfuit avant que Martin ne puisse l'arrêter. Après avoir fait sa déposition, il rencontre Damian, un malfrat à qui Larry servait d'homme de main et dont il va devoir prendre la place pour éponger ses dettes. En échange, Martin obtient l'identité du tueur. Enfin, il est présenté à Theo, la père de sa copine, Janey, une adolescente de dix-sept ans prise en charge sur une scène de crime. Amanda balance Martin aux mexicains car il refuse de lui verser l'argent de Larry mais la jeune femme est exécutée par Damian ensuite.
Jesus Rojas (Augusto Aguilera)
(Les Amants) - Jesus Rojas a trouvé refuge au Mexique aux côtés de son oncle, chef d'un cartel, Don Ricardo. Son fils, Miguel, convoite son trône mais doit composer avec sa soeur adoptive, Yaritza. Le caïd a conclu une trève avec le capitaine Cortez de la police locale en échange d'une part des bénéfices sur la vente de drogue et de prostituées. Yaritza poursuit son propre agenda en libérant secrètement des filles sous la coupe de Miguel et en exécutant ses hommes ou ses clients. Don Ricardo décède et Miguel déterre la hache de guerre en capturant toute la brigade de Cortez et le capitaine. Jesus, pour prouver sa loyauté, les abat tous.
Viggo Larsen (John Hawkes)
(L'Ermite) - Diana DeYoung exerce, en dehors de son travail d'assistante du procureur, des activités de guérisseuse. Elle a aainsi rencontré Viggo Larsen, ex-agent du FBI, dont elle a fait son tueur contre des violeurs et des pédophiles que son bureau poursuit. Martin, muté à la brigade criminelle, enquête sur un de ces meurtres et découvre que la victime a été auditionnée par Diana. Il la suit jusqu'à ce qu'elle retrouve Viggo puis il prend ce dernier en filature et l'aborde. Mais au lieu de l'arrêter, il lui propose de devenir partenaire.
Janey (Nell Tiger Free)
(La Tour) - Janey est acceptée dans les plus prestigieuses universités mais son père lui offre de travailler à ses côtés sur le marché de l'art. Martin, pendant ce temps, se partage entre ses enquêtes pour la criminelle et ses contrats pour Damian. L'un d'eux porte sur un homme qui doit huit milles dollars. Martin l'épargne à condition qu'il rembourse cette somme à Damian. L'affaire arrangée, Martin obtient de Damian qu'il lui donne à tuer de vraies raclures et il est envoyé en mission à Albuquerque.
Martin
(Le Fou) - Au Nouveau-Mexique, Martin suit deux frères pornographes spécialisés dans les films de viol. Il aborde Steve et Rob Crockett dans un bar en compagnie d'actrices. Steve lui propose de tourner dans une scène et l'emmène dans ses studios. Martin l'abat puis cherche Rob - en vain. Mais au moment de repartir, Rob et son homme de main, Little Billy, le prennent en chasse. Une longue course-poursuite les conduit jusqu'au désert où Martin tue Little Billy et blesse Rob qui avoue avoir enterré une fille vivante. Ils vont la libérer. Martin abat Rob mais la fille le poignarde au flanc en s'échappant.
Yaritza (Cristina Rodlo)
(La Grande Prêtresse de la Mort) - Après un an passé au Mexique, Jesus est renvoyé en Amérique par Miguel qui l'a marié à Yaritza afin de développer le cartel. Ils s'installent dans la maison luxueuse de Magdalena, la défunte mère de Jesus, et y reçoivent Alfonso, qui gère les affaires courantes de ce côté de la frontière. Il est chargé de tuer Damian, leur concurrent sur le marché des prostituées et de la drogue. Mais, en passant par plusieurs intermédiaires incompétents, la mission dérape et Alfonso doit rendre des comptes. Damian demande à Martin de se renseigner sur qui veut le voir mort. Yaritza rencontre Janey à une fête donnée par un ami de Jesus et entend parler de Martin, en congé depuis sa blessure au Nouveau-Mexique.
Damian (Babs Olusanmokun)
(Le Magicien) - Janey fête ses dix-huit ans. Le lendemain matin, Martin est menacé par Theo qui a enquêté sur son passé de flic ripou. Martin tue Theo et appelle Viggo pour l'aider à se débarrasser du corps, avant de lui avouer de qui il s'agissait. Puis ils se rendent chez Damian : le repaire a été le théâtre d'un vrai massacre. Damian est prisonnier de Jesus à qui il révèle que Martin a tué sa mère (et non Larry) en échange d'une mort rapide.
Martin
(Le Pendu) - Janey signale la disparition de son père à la police au même moment où Martin donne sa démission à la brigade criminelle pour se consacrer exclusivement à ses missions pour Diana avec Viggo. Celui-ci est mourant et a dû le laisser abattre seul leur dernière cible avant d'être ramené chez lui. Martin retrouve Janey et la réconforte en se promenant sur la plage. Alfonso et un de ses sbires tuent la jeune femme et enlève Martin qui est livré à Jesus. Celui-ci le torture durant trois jours avant de l'achever.
Diana DeYoung (Jena Malone)
(L'Impératrice) - Diane, sujette à des visions violentes, devine la mort de Martin. La mère de Viggo, atteinte d'Alzheimer, meurt et il veut tuer pour conjurer la douleur. Diana l'envoie dans un campement de mobil'homes où résident plusieurs violeurs et pédophiles avec son accord pour les effacer de la surface de la Terre. Yaritza et Jesus entretiennent une vie sexuelle hantée par le souvenir de la liaison incestueuse de Jesus et sa mère. Puis Jesus arbitre les affaires du cartel en autorisant plus de meurtres contre leurs concurrents. Il confie aussi à Alfonso la mission de trouver la Grande Prêtresse de la Mort, qui continue à s'en prendre aux clients de leurs prostituées et à leurs souteneurs, et de l'exécuter. Viggo extermine tous les habitants des mobil'homes et retrouve Diana qui lui annonce l'arrivée prochaine d'une nouvelle partenaire, encore inconnue.
La Grande Prêtresse de la Mort
(Le Monde) - Diana est seule chez elle : elle se fait porter pâle pour le boulot. Après s'être masturbée à l'aide d'un programme de réalité virtuelle, elle danse dans sa luxueuse villa puis monologue sur le déclin de l'Amérique et sa renaissance future. Yaritza entre dans l'hôtel de passe de Jaime avec qui elle boit de la téquila. A sa demande, une prostituée lui interprète la chanson créée pour la Grande Prêtresse de la Mort. Le titre fini, Yaritza tue les sbires de Jaime et ce dernier à qui il explique être la graine de destruction qui purgera ce monde du mal dont il faisait partie.
Too Old to Die Young est un objet fascinant et monstrueux : treize heures de programme en dix épisodes, chaque épisode durant une heure (mais le plus souvent une heure et demie. Seul le dernier se distingue avec trente-cinq petites minutes), une intrigue s'étalant sur un an, six personnages principaux, un entrelac dhistoires qui finit par former une fresque baroque rouge sang et bleue nuit. Il n'est pas exagéré de penser à un opéra pour désigner cette oeuvre.
Nul autre que Nicolas Winding Refn, le cinéaste déjà fou de Drive, Only God Forgives et The Neon Demon (pour ne citer que ses films américains), ne pouvait accoucher d'un tel matériau. NWR (comme il signe lui-même ses oeuvres) est un type arrogant, égocentrique, qui l'assume, ses ambitions sont énormes, sa seule limite est le ciel. Il se moque de la critique, s'amusant même des attaques dont il fait l'objet (au sujet de la violence de ses histoires, du manièrisme de son style, de ses plans interminables, du mutisme poseur de ses héros). C'est le type qu'on adore détester.
Mais il n'empêche, quel talent ! Quel culot ! Refn nous fait renouer avec la démesure des Coppola, Scorses, De Palma dans les années 70, tout en se réclamant des giallo italiens et autres séries B ou Z, de tout de cinéma-bis - qu'il ne cite pas comme Tarantino en lui faisant la révérence mais en le remodelant comme un vidéo clip tapageur, une pub racoleuse. NWF, c'est ça d'abord : un fabuleux garnement qui vous a à l'usure ou vous laisse sur le bas-côté, mais qui ne laisse jamais indifférent, dont, dès la première image de la première scène, on sait que c'est lui et qu'il va pousser le bouchon trop loin.
Tout cela nécessite de ses collaborateurs comme de ses (télé)spectateurs un investissement total. Le co-créateur et co-scénariste de la série l'a appris à ses dépens, même si Ed Brubaker se dit très fier du résultat - et d'avoir survécu à un tournage marathon de dix mois (!), entre Novembre 2017 et Août 2018 (même s'il a jeté l'éponge finalement au milieu du neuvième épisode, remplacé par Halley Wegryn Gross). Idem pour le chef opérateur Darius Khondji, essoré, et suppléé par Diego Garcia. Refn est un auteur total qui réclame une disponibilité de chaque instant, réécrivant le script sans fin, multipliant les prises, composant les plans comme des tableaux.
Le jeu en vaut la chandelle - pour qui s'y abandonne. On peut être exaspéré par les tics de RWF : ses travellings latéraux, ses longs silences, ses éclairages au néon, ses flous artistiques, l'interprétation marmoréenne de ses acteurs, son récit tortueux où les pires déviances caractérisent les personnages (incestes, détournement de mineurs, hyper-violence, maladie, shamanisme, vaudou, etc). On est parfois à la limite mais ce n'est pas forcément gratuit : par exemple, le père de Janey, cocaïnomane, explique à Martin que si ce n'était pas sa fille, il la baiserait volontiers. Des paroles prononcées par Donald Trump à propos d'Ivanka !
Refn montre une Amérique déglinguée, au bord du gouffre, peut-être déjà dans les abîmes. On y croise des noirs, des latinos, des néo-nazis, des flics pourris, des fils qui désirent leurs mères, des pères qui veulent posséder leurs filles, des procureurs qui donnent à d'anciens agents du FBI des cibles à abattre. C'est d'une noirceur terrifiante, mais surtout parce qu'au fond, ça n'a rien de si fantaisiste. Diana, dans le dernier épisode, se fend d'un long monologue (sans interlocuteur) où elle évoque la suite : des camps de concentrations, un peuple dégénéré, un déclin irréversible, un monde à sa perte. Des cendres de l'apocalypse seulement pourra renaître la civilisation - si ses survivants ont compris leurs erreurs.
TOTDY est une réflexion puissante sur l'image aussi : toute la série est garnie de miroirs, de rétroviseurs, de regards échangés en silence, de hors champs cauchemardesques (comme les jours de torture subie par Martin), d'arrières-plans flous, de mises au point étranges, de plans-séquences balayant l'espace dans toute sa largeur. Il fait souvent sombre, nuit, dans ce récit dédalesque, mais la lumière du jour est aveuglante, cruelle, ou froide, terminale. Pratiquement tous les protagonistes ont leur double : Martin et Jesus, Yaritza et Janey, Diana et Viggo - autant de frères ennemis, de femmes sacrifiées, de redresseurs de torts inassouvis. Quand ils se rencontrent, la mort rôde, elle est partout : Refn ne fait pas de cadeau - comme le chauffeur anonyme de Drive ou la mannequin de The Neon Demon, Martin ne survivra pas. Et malgré ses affreux défauts, on trouve sa mort injuste car il n'a eu aucune chance contre son bourreau - tout comme ses cibles n'avaient aucune chance face à lui.
L'écriture envoûtante, la réalisation incroyablement intense, devaient être supportées par un casting très solide et NWF a choisi de mélanger les sensibilités. Il a confié le rôle principal à Miles Teller, la révélation de Whiplash et The Spectacular Now, dont le charisme et la gueule (un mix étonnant entre Elvis, Mitchum et Dean Martin) en font le digne successeur de Ryan Gosling dans le cinéma du danois. Face à lui, il filme Augusto Aguilera comme un pur fantasme homo, avec sa moue boudeuse, son corps imberbe et une froideur implacable. Nelle Tiger Free, découverte dans Game of Thrones, joue l'innocence contre l'usure mortifère de John Hawkes, impressionnant en tueur agonisant. Quant à Jena Malone, vue dans The Neon Demon, elle est épatante dans un rôle improbable auquel elle donne tout.
Mention spéciale aussi à William Baldwin, revenant tout à fait abominable en père dégoûtant. Et surtout il y a la révélation Cristina Rodlo, la justicière la plus sexy et glaciale que vous verrez de toute votre vie.
En étant mis en ligne d'un bloc au mois de Juin, Too Old to Die Young semble marquer naturellement l'année par son milieu : il y aura un avant et un après. Et sûrement au-delà de 2019.
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