lundi 12 novembre 2018

SAGA - VOLUME 5, de Brian K. Vaughan et Fiona Staples


Il y a (déjà !) trois ans de cela, je concluais ma critique du Volume 4 de Saga en soulignant la qualité de la série pour laquelle il n'y avait aucune raison de décrocher. C'est pourtant ce que j'ai fait, emporté par d'autres lectures, d'autres achats. Alors que le titre vient de s'interrompre pour une durée indéterminée (au #54), je reviens donc à l'oeuvre de Brian K. Vaughan et Fiona Staples. Pour de bon ?


Hazel résume les origines de la guerre opposant Landfall (terre de sa mère Alana) et Wraith (lune de son père Marko) et le massacre qui s'ensuit depuis, sans qu'une issue n'ait été trouvée. La fillette, mais aussi sa mère et sa grand-mère paternelle, sont otages de Dengo, le robot, qui veut, en souvenir du fils qu'il a perdu dans le conflit, soulever une insurrection et a appelé en renforts de terroristes. Marko, de son côté, a scellé une alliance avec le Prince Robot IV et, accompagnés de Ghüs et Yuma, sont à la recherche de Dengo, qui détient le fils du noble. Enfin, The Brand, Gwendolyn et Sophie arrivent sur le Demimonde pour y collecter la semence d'un dragon qui servira à guérir The Will (le frère de The Brand).


Gwen, Sophie et The Brand apprennent par Halvor, le frère de The Stalk (la maîtresse décédée de The Will), où trouver le dernier dragon mâle du Demimonde. Dengo fait connaissance avec les révolutionnaires et leur expose son plan. Marko est toujours dévasté d'avoir frappé Alana, ce qui a causé leur rupture, et il est persuadé qu'elle ne le lui pardonnera jamais. Pour le soulager, Yuma lui offre de la drogue mais il fait une overdose.
  

Entre la vie et la mort, Marko revit des épisodes traumatisants de son existence : sa dispute avec Alana, la mort de son père, le meurtre involontaire d'un civil de Wraith durant la guerre, la brutalité contre une fillette dans son enfance, la punition subie pour cela... A contrecoeur, le Prince Robot IV obtient l'aide de son médecin pour sauver Marko. Il remercie, à son réveil, Yuma de lui avoir permis d'appréhender son tempérament violent.


Les révolutionnaires négocient avec Wraith la libération de plusieurs de leurs prisonniers contre la remise de Hazel et Klara, à l'insu d'Alana. La flotte royale retrouve le vaisseau dans lequel se déplacent le Prince Robot IV, Marko, Ghüs et Yuma, et tente de l'arraisonner. Refusant de se rendre, ils sont attaqués et touchés. Leur réservoir est touché et Yuma se sacrifie pour le réparer en y entrant pour se laisser consumer.  

Sur le Demimonde, The Brand, Gwen et Sophie pénètrent dans l'antre du dragon, assoupi. Sophie fausse compagnie à ses deux amies pour recueillir son sperme mais la bête se réveille et tue The Brand et blesse Gwen qui voulaient la protéger. Les révolutionnaires sont prêts à sacrifier Dengo sur ordre de leur contact sur Wraith et il se défend. Alana se libère et le rejoint dehors. C'est alors que le vaisseau des révolutionnaires décollent, emportant avec eux Klara et Hazel. Pour échapper à la flotte royale, après la mort de Yuma et la réparation de leur réservoir, le Prince Robot IV téléporte son vaisseau dans le secteur où il a repéré Dengo.


Le vaisseau du Prince Robot IV s'crase sur la planète glacée où Marko, indemne, part à la recherche d'Alan et Dengo. Il est rejoint peu après par le Prince qui exécute Dengo et récupère son fils. Alana étreint Marko à qui elle explique l'enlèvement de Hazel... Des années plus tard, celle-ci est élève dans une école sur Wraith, sa maîtresse ignorant tout de ses origines métissées.

C'est vraiment étonnant ! D'une part parce que, sur les derniers projets qu'il a développés, Brian K. Vaughan m'avait un peu laissé sur ma faim : The Private Eye (son webcomic avec Marcos Martin) était efficace mais frustrant, je n'ai pas accroché à Paper Girls (avec Cliff Chiang, également publié par Image Comics). D'autre part, parce que, bien que cela faisait trois ans que je n'avais pas lu un épisode de Saga, je n'ai eu aucune peine à m'y remettre : c'est comme si j'avais quitté ses personnages hier.

Pour cela, BKV est un auteur réellement à part dans le circuit : certes, son brio narratif n'évite pas toujours la facilité, ni même une certaine impression de vacuité - comme tous les surdoués, il sombre parfois dans la facilité, oublie de forcer son talent. Il n'empêche, quand il est en forme, porté par son sujet, peu rivalisent avec lui : la fluidité de ses récits est telle qu'on peut les laisser de côté des mois durant, quand on y revient c'est comme si le temps s'était arrêté.

Et, ironiquement, c'est ce qui vient d'arriver à la série : à l'occasion de la sortie récente du #54 de Saga, Vaughan annonçait dans une lettre aux lecteurs que lui et Fiona Staples allaient faire une break "d'une durée indéterminée" (au moins un an, a-t-il précisé ensuite). Non pas par lassitude mais pour recharger leurs batteries, voire se consacrer à autre chose, afin de revenir toujours motivés. Le scénariste a assuré aux fans que la série n'était pas terminée ni abandonnée (d'ailleurs, elle reste un succès critique et commercial), et lui-même continue à rédiger les scripts de Paper Girls.

Ce choix aussi inattendu que radical s'explique cependant car Saga est une série qui ne s'économise pas, bien que l'éditeur ait consenti à des hiatus réguliers pour permettre à Vaughan et Staples de souffler ou d'aller s'amuser brièvement ailleurs (Vaughan avec ses webcomics, Staples pour relancer Archie avec Mark Waid). Cela rappelle à bon escient que la BD n'est pas toujours une industrie dont les auteurs sont des ouvriers corvéables à merci et que, dans le cas du creator-owned, ils sont maîtres des horloges, même si financièrement ils le sont de leurs poches.

Dans les six épisodes de ce Volume 5 (soit les #25 à 30), Vaughan compose avec les conséquences dramatiques de l'arc précédent qui a vu la séparation de Marko et Alana avec l'irruption de Dengo et l'enlèvement du fils du Prince Robot IV par ce dernier. Le récit se déroule sur plusieurs sites avec une remarquable souplesse - jamais le lecteur n'est perdu. On passe alternativement d'un groupe de personnages à un autre, chacun ayant un agenda bien défini. Marko et le Prince Robot IV veulent retrouver respectivement femme et enfants. Alana et Klara cherchent à préserver Hazel des projets insensés de Dengo qui s'allie avec de dangereux insurgés. The Brand est en quête d'un remède pour son frère, The Will, en compagnie de Gwen et Sophie.

Vaughan, fidèle à lui-même, n'hésite pas à sacrifier des protagonistes, souvent sauvagement, toujours par surprise : l'effet est garanti, le lecteur ne s'y attend jamais (ne s'y habitue jamais non plus). Mais ce n'est pas gratuit. Ce sentiment d'instabilité permanent garantit à la série un suspense implacable : nul, même les héros, même les personnages les plus aimables, n'est à l'abri (et de ce point de vue, le dernier épisode en date a fait sensation, soulignant le choc autour de l'interruption de la série).

Lorsque j'écrivais que Saga était une BD qui ne s'économisait pas, il s'agissait aussi, surtout, de pointer la contribution essentielle de Fiona Staples (là encore, les fans ont eu peur qu'elle ne revienne pas sur le titre avec son arrêt à durée indéterminée, mais elle a rassuré tout le monde et de toute manière BKV a toujours affirmé qu'il ne produirait pas le titre sans elle, qui est créditée comme co-créatrice).

L'artiste produit des planches toujours aussi fantastiques, en en assumant l'encrage et la couleur, bien qu'elle travaille sur tablette (ce qui explique qu'aucune planche originale ne circule). Comme Vaughan, Staples a une narration incroyablement fluide : ses planches comptent peu de vignettes, elle ponctue régulièrement ses épisodes de pleines pages, voire de doubles pages, mais à bon escient. On peut s'attarder sur ses compositions sans être freiné dans leur lecture.

Et elle est toujours d'une imagination débordante pour créer des extraterrestres, des monstres, des décors, instaurer des ambiances, conduire chaque issue vers un climax mémorable. C'est un régal à savourer, à ce stade Staples a acquis une maturité, une maîtrise de son art tout à fait exemplaires.

J'ai acheté en même temps que ce volume le suivant, donc j'en parlerai bientôt (je ne promets pas de date précise car la semaine qui s'annonce est riche en sorties de singles). Stay tuned !   



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