vendredi 24 juillet 2020

DAREDEVIL #21, de Chip Zdarsky et Marco Checchetto


Back in red : enfin, après tout ce temps, Daredevil enfile à nouveau son costume rouge ! Chip Zdarsky aura fait patienter les fans mais il ne déçoit pas en signant un épisode puissant. La bataille de Hell's Kitchen fut un sommet de son run, mais le début de ce nouvel arc intitulé Truth/Dare, dans un tout autre registre, en impose aussi. Et Marco Checchetto est dans la même forme que son scénariste. Il semblerait bien que l'Acte II de la série promette de grands moments.


Après avoir affronté aux côtés du détective Cole North, de Typhoid Mary et de Wilson Fisk, les mercenaires des Stromwyns, Daredevil prend tout le monde de court en annonçant se livrer à la police pour le meurtre de Leo Carraro.


Le Caïd reçoit un appel des Stromwyn mais leur raccroche au nez tandis que North conduit Daredevil au poste, mais en étant disposé à le laisser fuir avant. En route, Foggy Nelson leur barre la route et tente de raisonner Matt Murdock.


Daredevil rentre chez lui, où l'attend, comme prévu, Spider-Man, qui l'avait mis en garde s'il remettait le masque. Mais le tisseur est pris de vitesse en apprenant ce que va faire son ami. Il se retire. Daredevil repart pour le commissariat.


Là-bas, Foggy a obtenu un arrangement avec le procureur Holcher. Mais celui-ci exige de savoir qui se cache sous le masque de Daredevil avant de le poursuivre...


Le vingtième épisode de Daredevil avait été comme une libération avec sa baston épique et le retour en force de l'homme sans peur. Son twist final demeurait à la fois inattendu et logique car Matt Murdock agissait alors comme un homme responsable, assumant ses actes, refusant de se cacher plus longtemps, même en ayant remis son masque de justicier. Chip Zdarsky ne se défile pas quand, cette fois, il raconte les conséquences de ce qu'il a établi.

C'est donc un numéro beaucoup plus calme mais tout aussi intense. Daredevil se livre à la justice pour être jugé du meurtre de Leo Carraro, cette faute qui le hante depuis des mois. Cette attitude est à la fois digne et résignée : le procès auquel il accepte d'être soumis, c'est la manière, unique, d'être jusqu'au bout ce qu'il est, mais aussi d'admettre que Daredevil le dépasse tout en le restant, et enfin de savoir si oui ou non il a tué un homme, s'il est déclaré coupable pour cela. Le justicier et l'homme de loi, Daredevil et Matt Murdock, n'ont jamais été si un et indivisible.

Zdarsky manoeuvre très intelligemment en ne zappant aucune scène attendue. Cole North réticent à l'idée de menotter et de conduire DD au commissariat, Foggy qui essaie de raisonner son ami, DD qui s'explique avec Spider-Man qui l'avait prévenu de ce qui l'attendait s'il revenait, un échange avec le procureur (peut-être le moment le plus critique du lot), et l'arrestation en bonne et due forme.

Le scénariste s'appuie aussi, encore, avec respect, sur ce que son prédécesseur sur le titre, Charles Soule, a permis de poser comme acquis, à savoir le statut légal d'un super-héros, et donc la possibilité qu'il soit poursuivi sans avoir à se démasquer publiquement. Je défends le run de Soule, bien qu'il ne soit pas populaire, parce que j'estime qu'il n'est pas franchement pas si mauvais que beaucoup le prétendent et surtout parce qu'il a, comme ceci, établi des points que d'autres auteurs n'ont jamais clarifié. Si cela avait été fait avant, le sort de beaucoup de héros clandestins dans une saga comme la première Civil War aurait été bien différent.

Il y a en effet un côté très romancé er romantique dans le rôle du super-héros et cela arrange bien auteurs et lecteurs. Il s'agit tout de même de types (et de filles) masqués, parfois armés, ou dotés de super-pouvoirs, qui courent les rues et arrêtent des gens sans aucun insigne. Aux Etats-Unis, on appelle cela le "citizen's act", la possibilité de procéder à une appréhension en attendant l'arrivée des forces de l'ordre. Mais cela conduit à une forme de justice parallèle où tout un chacun peut prétendre jouer au redresseur de torts ou estimer appliquer la loi. Les risques de dérive, avec une forme d'auto-défense abusive, ne sont pas loin, et peut-être est-ce aussi pour cela qu'on assiste si régulièrement à des bavures policières par des flics qui se sentent le droit d'arrêter et même de tuer sur un soupçon.

Je me rappelle aussi d'un texte de Warren Ellis qui pointait la folie sous-jacente de tout super-héros. Pour justifier cela, accepter qu'il y ait des histoires avec ces individus en habits colorés, il fallait sans doute les regarder comme des reliques, des avatars des chevaliers en armure, arborant les armes de leur royaume (de leur quartier), mais sans excuser la violence de leurs méthodes ou comprendre l'excentricité de leur apparence. Joseph Michael Straczynski soulignait aussi l'aspect totémique des super-héros en notant que souvent leurs ennemis correspondaient visuellement à ce que les justiciers véhiculaient (Captain America contre des nazis, Spider-Man contre des vilaines bestioles, Thor contre d'autres divinités, etc). Tout cela appartient aux codes des comics mais est rarement interrogé d'une manière aussi directe que ce que fait ici Zdarsky (sans doute parce qu'on pense que ce genre de commentaires sur le genre super-héroïque est réservé aux oeuvres plus prestigieuses comme Watchmen).

Marco Checchetto avait lâché les chevaux lors de la bataille de Hell's Kitchen, mettant en scène des combats de toute beauté, régalant le lecteur avec des chorégraphies et des morceaux de bravoure qui font le sel des comics.

Il transforme en quelque sorte l'essai en prouvant, si besoin était, qu'il est aussi à l'aise quand il s'agit de maintenir la pression avec des scènes plus intimistes. Le découpage de l'épisode contribue à ce séquençage : Daredevil enchaîne les moments, brefs mais intenses, avec un interlocuteur à la fois - North, Foggy, Spider-Man, Holcher. Et à chaque fois, Checchetto donne à ces scènes une charge particulière, notamment par rapport au cadre où elles se situent - dans l'habitacle d'une voiture, à travers une vitre, dans un appartement plongé dans le noir, dans un bureau. A chaque fois, Daredevil ne peut échapper à celui qui s'adresse à lui et le personnage est économe de ses mots, mais pas de sa détermination. Il est sage avec North, muré dans le silence avec Foggy, offensif avec Spidey, affligé avec Holcher. Checchetto traduit ces étapes avec maestria grâce à des valeurs de plans, des compositions simples mais justes et efficaces.

En refermant cet épisode, on est à la fois soufflé et bousculé. Voici le personnage et la série plongés dans une tourmente inédite. Quelle qu'en soit l'issue, on peut vraiment penser qu'après ça, Daredevil ne sera plus le même.

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