vendredi 26 août 2011

Critique 257 : CHINAMAN, TOMES 4 & 5 & 6 - LES MANGEURS DE ROUILLE & ENTRE DEUX RIVES & FRERES DE SANG, de Serge Le Tendre et Olivier Taduc

CHINAMAN,
tome 4 : Les Mangeurs de Rouille (2000).

Chinaman est mêlé aux rivalités entre ouvriers chinois et irlandais sur le chantier du Transcontinental. Ces luttes entre les deux clans sont observées par le régisseur du Central Pacific. Mais le drame se noue lorsque Li, le cuisinier, s'éprend d'une jeune prostituée qu'il veut arracher des griffes de son souteneur, Sing...

Ce nouvel épisode bénéficie encore une fois d'un cadre spectaculaire, fournissant des séquences mémorables avec ces ouvriers suspendus depuis une falaise comme des acrobates, trimant dans des conditions de travail épouvantables qui rappellent comment les chinois (et autres immigrés) étaient traîtés par des employeurs impitoyables.

Chinaman est autant une série d'aventures classiques à l'époque du western que la relation de la construction de ce pays à une époque où l'Ouest était encore sauvage. Mais les péripéties historiques n'étouffent pas la trame traditionnelle et encore une fois, le héros va se trouver au centre d'un conflit dans lequel il devra prendre position, s'attirant de nouveaux ennuis. Son amitié avec le cuisinier et son affrontement avec Sing prouvent que ce solitaire en cavale est aussi un justicier au sens noble. Le Tendre narre une nouvelle fois tout cela avec beaucoup d'efficacité.

Quant à Taduc, ses planches sont également d'un niveau qui jamais ne faiblit : il n'a pas peur d'illustrer des scènes exigeant une figuration abondante tout en sachant équilibrer les compositions de ses plans, et les séquences d'action restent un modèle de dynamisme, avec un trait qui sait à la fois être clair et vif. De la belle ouvrage.
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CHINAMAN,
tome 5 : Entre deux rives (2001).

Bien que son ami Chow ait raconté l'avoir tué, Chinaman est reconnu par des chasseurs de primes et capturé. Il réussit pourtant à leur échapper et croise la route d'Ada Waters quand celle-ci est attaquée par une bande de brigands. Il l'en débarrasse, provisoirement, et entreprend sur une radeau de descendre le fleuve en plein coeur du territoire des indiens Paiutes pour rallier Blue Hill où la jeune femme veut s'installer comme institutrice. La traversée ne sera pas de tout repos...

Le Tendre a visiblement revu Rivière sans retour d'Otto Preminger, avec Robert Mitchum et Marilyn Monroe, avant de rédiger son scénario car le périple auquel il soumet Chinaman et Ada en est quasiment le décalque. Mais c'est une bonne référence et son histoire en a retenu le meilleur, aboutissant à une aventure palpitante, peut-être la meilleure depuis le début de la série.

Encore une fois aussi, le récit se déroule en extérieurs et laisse peu de répit aussi bien aux protagonistes qu'aux lecteurs : c'est un pur régal et on dévore ce tome. Taduc y démontre une vraie virtuosité en imprimant à son découpage un tempo trépidant, où il joue avec le décor de manière magistrale. Alternant plongées vertigineuses et enchaînement de vignettes de taille moyenne ou plus grandes, on est littéralement à bord du radeau avec Chinaman et Ada. Mais l'artiste sait aussi exploiter les plages plus calmes et suggérer avec subtilité l'intimité qui s'installe entre eux.

L'album est donc important car à son terme Chinaman n'est plus un "lonesome hero" mais un homme ayant trouvé un nouvel amour et s'apprêtant à vivre à Blue Hill.
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CHINAMAN,
tome 6 : Frères de Sang (2002).

Chinaman vit paisiblement à Blue Hill avec la belle Ada. Le couple s'est lié d'amitié avec des voisins, Charlie et Lalu (chinoise elle aussi). La voie ferrée doit passer non loin et à Longview, Hopper traite de nouvelles affaires avec le successeur de Wu Fei, Zi Ding, qui a pour garde du corps Chen. Ce dernier retrouve Chinaman et bientôt les deux amis vont s'allier à nouveau pour éliminer Hopper qui cherche à escroquer Zi Ding en rachetant les terres d'un certain Dood...

Ce 6ème tome marque la fin d'un cycle (même si ce n'est pas explicitement déclaré) : en effet, Chen et Chow (Chinaman) s'y retrouvent et vont règler son compte à Hopper, l'homme par lequel tout a commencé au début de la série, à San Francisco. C'est donc une histoire de retrouvailles et de vengeance, au terme de laquelle la situation est totalement retournée et le sort de Chinaman révisé.

6 tomes pour boucler un cycle, ce n'est pas si long dans le cadre d'une série franco-belge et on saura gré à Le Tendre de ne pas avoir étiré plus que de raison cette arche narrative, tout en ayant fait voyagé son héros comme ses lecteurs. La facilité avec laquelle se lit Chinaman est son meilleur atout là où trop de productions s'enlisent dans une mythologie assommante et une décompression qui tue tout suspense.

Le récit de Frères de sang est, comme toujours, plaisant, peu avare en rebondissements, alternant intelligemment des moments calmes et des plages d'action. Taduc tire le meilleur encore une fois du décor, moins spectaculaire que dans des tomes précédents. Ses personnages sont expressifs, bougent bien. C'est un dessin complet, jamais tape-à-l'oeil et qui, même s'il se lit rapidement, vous en donne pour votre argent.

Une excellente série, atypique et référentielle à la fois, et vraiment addictive.

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