mardi 23 août 2011

Critique 256 : CHINAMAN, TOMES 1 & 2 & 3 - LA MONTAGNE D'OR & A ARMES EGALES & POUR ROSE, de Le Tendre et Taduc

CHINAMAN est une série créée en 1998 par Serge Le Tendre et Olivier Taduc, sur une idée originale de ce dernier, d'abord publiée par Les Humanoïdes Associés puis Dupuis (dans la collection "Repérages").
Serge Le Tendre écrit les scénarios, Olivier Taduc les dessins.
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CHINAMAN,
tome 1 : La Montagne d'Or (1997).

Chen Long Anh débarque aux Etats-Unis en 1850 comme homme de main au service de Wu Fei, représentant des doyens de Canton, membre des Triades chinoises. Il est accompagné de son meilleur ami, un autre tueur comme lui, Chow. Progressivement, celui que les recenseurs locaux ont débaptisé en John Chinaman découvrent que son maître est en affaires avec Hopper, riche propriétaire américain, sur la route duquel se dresse la famille de la belle Kim qui exploite une "bonanza", une mine d'or. Trahi par Wu Fei, perdant Kim, Chen doit s'enfuir pour sauver sa peau, mais désormais Chow est à ses trousses...

C'est un western original dont le dessinateur Taduc a eu l'idée : le héros n'est pas un énième cowboy mais un tueur chinois qui va découvrir en même temps les magouilles de son maître, également responsable de la mort de son père, et cette Amérique en pleine ruée vers l'or, dont les natifs méprisent tous les étrangers.
En lieu et place des duels traditionnels et des oppositions entre pistoleros et indiens, le kung-fu s'invite dans ce cadre archi-connu. Ce mélange produit un résultat très efficace et ce premier tome est mené sur un rythme soutenu, avec une intrigue dense et palpitante, où la duplicité des méchants a raison de la romance naissante entre le héros et la jeune fille dont il s'est épris.
Le Tendre est un auteur qui connaît parfaitement son boulot et tire le meilleur des arguments que lui fournissent personnages et décors. Si les dialogues ne sont pas d'une folle originalité, remplissant leur rôle fonctionnel et informatif sans personnalité (même si on évite les expressions toutes faîtes et passablement ridicules comme "par les griffes du mandarin" et autres clichés du même tonneau), l'usage de la voix off est d'une remarquable sobriété.

Graphiquement, la série démarre sur les chapeaux de roue : le trait de Taduc est très affirmé, son découpage est classique mais intelligent, et les scènes d'action sont de toute beauté. On sent qu'il y a apporté un soin particulier en étudiant les films d'arts martiaux, d'ailleurs il dédie Chinaman à Chang Cheh et Tsui Hark, deux maîtres du genre. Les décors sont aussi très ouvragés, que ce soit la représentation de San Francisco, encore à l'état d'un grand village, des extérieurs environnants, ou des intérieurs. A tous points de vue, c'est une réussite.

Un premier volume très accrocheur.
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CHINAMAN,
tome 2 : A Armes Egales (1998).

Chinaman a fui San Francisco après avoir tué son maître, Wu Fei, impliqué dans des magouilles avec le riche Hopper et le meurtre de sa bien-aimée Kim. Il sait que son ami Chow est à ses trousses avec des mercenaires blancs et croise la route d'une caravane. Ses talents de chasseur lui permettent de gagner le respect des voyageurs, à l'exception d'Aaron, un bigot, qui se déplace avec sa femme et sa fille. Mais les choses vont également se compliquer lorsqu'un marshall et son prisonnier se joignent au convoi...

Ce 2ème tome ne déçoit pas et fait voyager aussi bien le héros que le lecteur : le thème de la caravane évoque des albums célèbres de Lucky Luke et permet à Le Tendre de broder un récit où les relations entre les personnages ont la part belle. Comme Chinaman apprend à découvrir le pays et ses colons, ceux-ci font aussi connaissance avec ce chinois ombrageux et mélancolique contre lequel se brisent leurs préjugés racistes. L'usage de la voix-off est ingénieux, complétant plus les dialogues que commentant l'histoire ou détaillant les états d'âme du héros.

Les dessins de Taduc sont merveilleux : il est aussi doué pour représenter les paysages sauvages que traversent les personnages que pour animer les protagonistes auxquels ils donnent de l'expressivité sans exagération. Les scènes d'action sont toujours aussi réussies. L'artiste sait dessiner ce western sans singer Jean Giraud (Blueberry) ou Hermann (Comanche) : c'est louable.

A la fin de ce tome, Chen et Chow ont une explication qui bouleverse totalement leur situation et va affecter durablement la série, preuve que les auteurs n'entendent pas se reposer sur une trame convenue et entraîner Chinaman plus loin qu'une simple et longue vengeance.

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CHINAMAN,
tome 3 : Pour Rose (1999).

Après l'Orégon, Chinaman s'aventure dans la région hostile des Rocheuses au coeur d'un hiver rugueux. Il devient un trappeur et demeure plus seul que jamais, quand bien même Chow a cessé de le traquer. C'est alors que sa route croise celle d'un vieux couple et de leur petite fille, Rose, que son autre grand-père, un riche affairiste de la ville, veut récupérer. Chinaman choisit son camp et va dénouer une situation compromise au risque de sa vie...

La série continue d'attirer les louanges : elle est, il faut le dire, parfaitement exécutée par un scénariste qui met tout son savoir-faire pour en exploiter les ressorts tout en s'inspirant de récits évocateurs. ici, il est évident que la référence est le film de Sidney Pollack, Jeremiah Johnson, avec Robert Redford, avec le héros qui devient un trappeur et le décor enneigé.

Néanmoins, Le Tendre ne se contente pas de plagier et construit une intrigue très habile et nerveuse, au suspense efficace. Le personnage, toujours délicat, de la petite fille ne sombre jamais dans le cliché ni dans l'émotion facile : de fait, la réussite de Chinaman, c'est sa faculté, à partir de poncifs, de codes éprouvés dans le genre du western, à développer des situations aussi inattendues que celle d'un ancien samouraï reconverti en cowboy-justicier malgré lui.

Toujours excellent, Taduc fait encore preuve d'une maîtrise étonnante et livre des planches somptueuses, au découpage fluide qui rend la lecture très facile. Il restitue magnifiquement l'ambiance hivernale en soignant les décors naturels, un exercice qui n'est pas si simple. A ce stade, ce n'est plus une révélation mais la confirmation d'un artiste qui propose une vision aboutie d'un genre où pourtant de grands dessinateurs se sont exprimés.

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