samedi 15 juillet 2023

WORLD'S FINEST : TEEN TITANS #1, de Mark Waid et Emanuela Lupacchino


Le succès critique et commercial de Batman - Superman : World's Finest a convaincu DC Comics de décliner la série et c'est donc logiquement que Mark Waid propose aujourd'hui World's Finest : Teen Titans sur un modèle similaire. Il est cette fois accompagné par la dessinatrice Emanuela Lupacchino qui avait signé les planches de World's Finest #12. Très drôle mais un peu déconcertant.



Après avoir fait échouer un rite satanique, les Teen Titans se rassemblent dans leur Q.G. (prêté par Green Arrow). Speedy et Robin se disputent car le premier a filmé leur intervention et l'a diffusée sur les réseaux sociaux. Et les tensions entre les deux jeunes hommes se poursuivent après une nouvelle mission au terme de laquelle Robin claque la porte !


Comme l'indique la couverture (signée Chris Samnee), nous avons affaire à l'équipe originelle des Teen Titans. Ou presque puisque la formation compte Bumblebee apparaût plus tard (en 1976, soit dix ans après le n°1 de Teen Titans). On suppose que Mark Waid la intégré pour ne pas laisser Wonder Girl la seule fille de l'équipe. Mais ce n'est pas la seule bizarrerie qu'on relèvera dans cet épisode...


World's Finest : Teen Titans est un spin-off de Batman - Superman : World's Finest où Robin figure plus souvent qu'à son tour puisque, située dans le passé, la série montre Batman flanqué de son premier sideckick, Dick Grayson. Les Teen Titans (moins Bumblebee) rejoignent le supporting cast dans le n° 7, dans l'arc avec Boy Thunder quand Robin justement propose d'entraîner David Skelela.


En toute logique donc on pense que cette nouvelle production se déroule à la même époque. Mais ce n'est pas si évident puisque donc Bumblebee a rejoint les rangs du groupe. Donc l'action se situe a minima quelques mois, voire quelques années après Batman -Superman : World's Finest

Pourquoi insister autant sur ce qui paraît n'être qu'un détail ? Parce que tout au long de ma lecture de cet épisode, je me suis demandé où on en était. L'intrigue (ou ce qui en tient lieu, étant donné que ça reste surtout un épisode introductif) montre les Teen Titans intervenant par deux fois, l'une contre un démon sur le point de sacrifier de jeunes gens, puis contre Separated Man. L'équipe vient facilement à bout de ses adversaires, avec rapidité et efficacité, ce qui démontre qu'ils travaillent ensemble depuis un moment suffisant pour ne pas se marcher sur les pieds en pleine bagarre. Ils se comportent tous de manière décontractée, sans appréhension face aux vilains qu'ils croisent, et avec beaucoup de complicité.

Toutefois, un élément trouble : Speedy, le sideckick de Green Arrow (qui donne un repaire aux jeunes héros), filme à l'aide drones les interventions de l'équipe et met les vidéos sur les réseaux sociaux pour prouver au public leurs compétences. On apprend aussi que le groupe met à disposition du public un numéro gratuit à appeler en cas d'urgence.

Or cette technologie renvoie à des dispositifs récents et n'évoque pas du tout le silver age comme dans Batman - Superman du même Waid. D'où un décalage embarrassant pour une série qui revendique se situer dans le passé et convoquer l'esprit des comics des années 1950-60. Ces anachronismes interfèrent constamment avec les intentions scénaristiques et on a l'impression de lire les aventures d'une équipe de personnages issus d'une époque mais existant dans une autre.

Cela n'empêche pas World's Finest : Teen Titans d'être une lecture divertissante. Grâce surtout à l'écriture de Mark Waid qui ne semble pas, en tout cas pour ce numéro inaugural, se préoccuper de raconter quelque chose de très palpitant ni d'original (il faut attendre la dernière page pour découvrir qu'un méchant oeuvre en coulisses pour un drôle de projet). Ici, ce sont les personnages qui comptent : les Teen Titans ne sont plus des ados, plutôt de jeunes adultes.

Ils sont tous proches de leurs mentors : Aqualad avec Aquaman (qui se félicite que son protégé se fasse des amis à la surface), Wonder Girl avec Wonder Woman (qui est plus soucieuse vis-à-vis de la jeune amazone qui vient récemment de quitter Themyscira), Bumblebee avec Charley Parker (lex-Golden Eagle), Kid Flash avec Flash, Speedy avec Green Arrow (même si celui-ci est absent) et bien entendu Robin avec Batman (qui désapprouve cette idée de former les Teen Titans car cela met en péril la double identité de Dick et que les membres de l'équipe lui sont inconnus, donc il s'en méfie).

L'épisode se focalise beaucoup sur Robin, qui s'est auto-proclamé chef de l'équipe, et Speedy, avec sa manie de filmer les missions. Si pour le jeune archer, cela permet au Teen Titans de gagner en popularité, pour Dick Grayson, il s'agit d'un gadget susceptible de mettre toute la formation en danger dans le feu de l'action (et on devine aussi que cette médiatisation ne plaît guère au partenaire de Batman, qui préfère agir dans l'ombre). 

Emanuela Lupacchino se lâche inhabituellement pour souligner l'expressivité des personnages, donnant à l'épisode une tonalité comique encore plus nette. Robin passe vraiment pour un rabat-joie reproduisant les manies de Batman, dirigeant ses troupes avec zèle et sévérité, tandis que Speedy se comporte comme une tête à claques, effronté et frondeur, n'hésitant pas à questionner l'autorité (autoritarisme) de Robin. Du coup, les autres ont plus de mal à exister, même si Waid suggère une romance entre Wonder Girl et Aqualad (qui, en outre, semble dépassé par tout ce qui se passe) et fait de Kid Flash un membre soucieux de voir Robin quitter le navire. Bumblebee est totalement transparente.

Le problème, récurrent avec l'artiste italienne, est que si elle a un joli trait et un talent certain pour raconter fidèlement ce que le script lui fournit, la composition de ses plans est souvent inégale. Ce qui peut passer pour une scène de dialogue devient plus gênant quand il y a de l'action et qu'il faut positionner pas moins de six personnages dans un cadre. On a alors le sentiment qu'elle les met un peu où elle peut, où il lui reste de la place, dans des attitudes maladroites (lors de leur première intervention, Speedy décoche une flèche d'une façon tellement irréaliste qu'on se demande comment elle atteint sa cible).

Comme pour The Avengers de Jed MacKay et CF Villa avec les couvertures de Stuart Immonen, on rêve de voir ce qu'aurait donné cette série avec Chris Samnee, ici cover-artist, sur les pages intérieures. Car en plus d'avoir plus de talent et de technique et d'expérience que Lupacchino, Samnee aurait su interpréter le script de Waid avec plus de facilité au regard de leur passé commun chez Marvel. Mais voilà, Samnee préfère toujours gâcher son talent avec Fire Power...

On rit donc de bon coeur avec ce spin-off, et il se peut que l'histoire à venir vaille le coup. Il faudra quand même que Mark Waid élève son niveau de jeu (il en est capable) et que Emanuela Lupacchino se montre beaucoup moins empruntée (quitte à diriger son style vers plus d'exagération - à défaut de Samnee, on pense aussi à ce qu'un Humberto Ramos, avec qui Waid signa un run sur The Champions aurait fait de cette bande de jeunes héros).

Aucun commentaire: