dimanche 9 juillet 2023

POISON IVY, TOME 1 : CYCLE VERTUEUX, de G. Willow Wilson, Marcio Takara, Dani et Brian Level


le premier tome de la série Poison Ivy sera disponible en français chez Urban Comics. Il faudra l'acheter car c'est une des belles histoires (éditoriales) de ces derniers mois mais surtout parce que c'est un des meilleurs titres actuels et qui est plus agréable de lire en album. Ce succès, on le doit à G. Willow Wilson, qui a trouvé une approche vraiment intéressante pour traiter du personnage, et à Marcio Takara, qui a enfin l'opportunité de prouver tout son talent sur la durée.


- Photosynthesis (Prologue - issu de Batman #124. Ecrit par G. Willow Wilson, dessiné par Dani) - Poison Ivy a été séparée de son double maléfique et surpuissant, Queen Ivy, à la suite de Fear State. Son amie Bella Garten/la Jardinière, lui explique qu'elle a risqué sa vie dans cette affaire. Mais Ivy veut récupérer l'intégralité de ses pouvoirs et se lance dans un road-trip sur les traces de Jason Woodrue, l'homme qui a fait ce qu'elle est...


- The Virtuous Cycle (#1-6) - Au volant d'un van, Pamela Isley.Poison ivy parcourt les Etats-Unis et tient un journal dans lequel elle s'adresse à son amante, Harley Quinn, restée à Gotham. En route, elle libère des spores très agressives (ophiocordyceps lamia) qui attaquent de manière très virulentes les hommes mais protège la nature. L'objectif de Ivy est de purger la Terre des humains qui, selon elle, contribuent à sa destruction.


Elle fait ensuite une halte dans un diner où elle partage sa table avec Jenny dont elle apprend qu'elle est recherchée par la police et qu'elle aide à échapper à deux agents en disséminant à nouveau quelques spores. Puis Ivy se pose dans un hôtel où elle sympathise avec la gérant, Carrie, qui essaie de créer un espace vert.


Plus loin elle se fait embaucher dans un entrepôt d'empaquetage dont le recruteur harcèle sexuellement ses employées : il le paiera cher. Ivy a une aventure avec une fille qui était victime de cet abuseur. Progressivement, au fil des rencontres qu'elle fait, ses convictions sont ébranlées : si elle estime que l'espèce humaine représente un fléau pour la survie de la Terre, elle comprend que des individus méritent malgré tout d'échapper au funeste sort qu'elle réserve aux gens. Ce qui ne l'empêche pas d'exploiter le système de livraison sur tout le pays pour faire circuler ses spores...


Enfin, elle arrive dans la ville où, jadis, Jason Woodrue la tortura pour la transformer en Poison Ivy. Leur affrontement est âpre et indécis jusqu'au bout. Au point de convaincre Ivy de modifier son terrible projet ?


C'était il y a un an (en Juin 2022 pour être exact) que sortait le premier numéro de Poison Ivy. DC décide de publier une mini-série en six épisodes pour surfer sur le succès de l'arc Fear State dans Batman (alors écrit par James Tyniion IV) où Pamela Isley tenait un second rôle spectaculaire. Un double rôle pour être précis.
 

Car en plus d'être Poison Ivy, elle était aussi Queen Ivy, son double maléfique et surpuissant, réfugiée dans les catacombes de Gotham dont elle voulait provoquer l'effondrement, ensevelissant ainsi toute la ville. Au terme de cette intrigue, avec l'aide de Harley Quinn mais aussi de la Jardinière (Bella Garten, ex-maîtresse de Pamela Isley, également pourvue de pouvoirs sur les végétaux), Queen Ivy est neutralisée et Poison Ivy sauvée d'une mort certaine. Mais elle se rend aussi compte que ses pouvoirs ont franchement diminué dans l'affaire...

G. Willow Wilson construit sa mini-série à partit de cela mais le hardcover vo n'a pas jugé bon de rappeler ces événements mais Urban Comics intégrera à son édition la back-up story issue de Batman #124 pour que tous les lecteurs sachent d'où elle part. J'ai préféré pour ma part le mentionner dans cette critique avec une page d'illustration signée Dani (excellente artiste, au style très Frank Miller, sublimé par les couleurs de Trish Mulvihill).

Aux environs de l'épisode 4, DC se rend compte que Poison Ivy est un vrai sleeper, un succès surprise, et accorde à G. Willow Wilson six épisodes supplémentaires pour conclure son intrigue. Malgré cela, la scénariste boucle son premier arc de manière déjà satisfaisante, mais elle sait aussi en profiter pour modifier ses plans et ceux de son héroïne, dont la quête prend une nouvelle tournure, moins apocalyptique.

Le conte de féé ne s'arrêtera pas là puisque, alors que le second arc est entamé, l'éditeur passe à la vitesse supérieure et demande à G. Willow Wilson d'écrire désormais une série illimitée ! Un vrai phénomène, rarissime dans le monde des comics, mais qui prouve que le public (comme la critique d'ailleurs) a répondu très favorablement à la proposition de la scénariste, la première à se coir accorder le privilège d'un titre mensuel sur Poison Ivy.

Maintenant, reprenons du début. Wilson est surtout connue pour avoir co-créé avec le dessinateur Adrian Alphona le personnage de Kamala Kahn/Ms. Marvel chez Marvel, qui a eu droit à sa propre série en live action sur Disney + l'an dernier et qu'on retrouvera cet automne au cinéma dans The Marvels (la suite de Captain Marvel). La suite fut beaucoup plus compliquée pour elle, qui passa notamment sur Wonder Woman sans convaincre, ou en indépendant avec Invisible Kingdom (chez Dark Horse).

Poison Ivy marque donc son retour au premier plan. On sent que ce personnage lui parle et qu'elle s'en sert pour faire passer des idées personnelles, mais surtout elle trouve une approche originale, respectant l'ambiguïté de celle qui fut longtemps cantonnée à être une adversaire de Batman ou la compagne de Harley Quinn ou une des trois Gotham City Sirens. Au début de ce premier tome, c'est surtout une femme qui a failli être dévorée par une partie d'elle-même, surpuissante, connectée au Vert (l'énergie cosmique qui relie tous les organismes végétaux de la Terre), incarnée en un double terrifiant, Queen Ivy.

Elle n'a dû son salut qu'à l'intervention des deux femmes qui l'aiment, Harley Quinn et Bella Garten/la Jardinière (une création de James Tynion IV, pourvue elle aussi de pouvoirs sur les végétaux). Cette dernière a étudié avec Pamela Isley les travaux de Jason Woodrue alias Floronic Man, un ennemi de Swamp Thing, qui a ensuite torturé Pamela pour en faire Poison Ivy. N'acceptant pas cette régression après avoir goûté au pouvoir suprême, Ivy décide de retrouver Woodrue, malgré leur passé douloureux, quittant Bella et Harley.

Ne vous attendez pas en lisant Poison Ivy à une série d'action. Le rythme est plutôt lent, du moins posé, très character's driven. Ce qui intéresse Wilson, c'est Ivy et Ivy d'abord. La scénariste a à coeur de définir cette femme non plus par rapport à ses ennemis (que ce soit Batman ou Floronic Man) ou ses amours (Harley, Bella). Elle revient aux sources et en fait une sorte d'éco-terroriste décidé à éradiquer les humains de la Terre car elle les juge responsables de toutes les calamités écologiques, climatiques, environnementales. Pour cela, elle use d'une arme abominable et invisible : des spores particulièrement agressives qui se répandent dans l'air et dévorent les chairs mais épargnent les végétaux.

Wilson imagine des moyens de propagation glaçants : dans le diner où elle se restaure, Ivy contamine les clients à leur insu, puis plus tard, encore plus flippant, elle pense à se servir de paquets destinés à être livrés partout dans les Etats-Unis (sur le modèle des colis Amazon) pour disséminer son poison. Il reviendra à l'auteur et au personnage de corriger le tir dans la suite puisque, comme on va le voir, au terme de ce premier arc, Ivy change ses plans et son opinion vis-à-vis de sa cible...

La narration s'appuie aussi sur une voix-off qui est en fait la retranscription du journal que rédige Ivy à l'attention de Harley Quinn. Sans être trop envahissante, cette partie du texte permet d'affiner l'évolution psychologique du personnage et pour le lecteur de s'y attacher alors qu'au tout début, on la suit, épouvanté par son plan. L'affrontement final contre Jason Woodrue tient toutes ses promesses et scelle la première partie de la série sur une note accrocheuse pour la suite.

Au dessin, c'est donc Marcio Takara qui a été choisi pour illustrer ce script remarquable. Voilà un artiste que j'apprécie mais qui n'a eu que très rarement l'occasion de briller sur le long terme car il a souvent été appelé pour des fill-in. Pourtant, c'est un professionnel au style élégant qui ne demandait qu''à être testé. Et Poison Ivy le lui permet.

Associé à un excellent coloriste en la personne de Arif Prianto (dont on peut également apprécier l'apport sur les planches de Yasmine Putri dans Dark Knights of Steel), Takara se révèle impeccable. Le registre de la série s'inscrit dans une veine volontiers horrifique, à cause des effets des spores sur les humains. Il faut avoir le coeur bien accroché sur certaines scènes qui ne ménage pas le lecteur et les victimes de Poison Ivy.

L'influence du cinéma de David Cronenberg, grand cinéaste du corps et de ses mutations, est évidente. Poison Ivy, dans le prologue, perd sa peau verte mais conserve les stigmates de son précédent état, comme des croutes, des veines, des tiges, des petites feuilles qui persistent à apparaître sur son épiderme. C'est une créature en pleine évolution, avec sa part d'étrangeté mais plus humaine, plus passe-partout. D'ailleurs, elle n'apparaît plus dans un costume de super-vilaine, ce monokini vert qui a fait sa gloire : elle porte une combinaison de jardinière verte, sous laquelle on voit un maillot de corps noir. Sa longue chevelure rousse n'est plus surplombée d'une couronne de feuilles non plus mais attachée en une queue de cheval. Takara, comme Wilson semblent avoir voulu débarrasser le personnage de ses oripeaux, du folklore comics pour, là encore, que le lecteur ne soit pas déconcentré et voit la femme avant la méta-humaine.

En revanche, lorsque Jason Woodrue apparaît, d'abord de manière cauchemardesque et fugace dans des moments dont on ne sait s'ils sont des songes ou réels, puis lors du combat contre Ivy, son apparence est monstrueuse, effrayante, imposante. Son gabarit surpasse celui de Ivy et sa puissance paraît sans égale, ce qui contribue à créer un suspense très convaincant quant à l'issue de la bataille.

Tout au long du road-trip de Ivy, elle croise des humains ordinaires, des femmes qui la renvoient à ce qu'elle a été, est ou va devenir, comme Jenny la fugitive dans le diner, Carrie l'hôtelière, ou Jesslyn dans l'entrepôt d'empaquetage. Ces rencontres vont la troubler profondément et progressivement, sans que Wilson n'oublie Harley Quinn, omniprésente en pensée pour Ivy. Une scène troublante voit même Ivy coucher et faire l'amour avec Jesslyn et Takara cadre cette étreinte hors-champ, ne projetant que l'ombre des deux corps des deux femmes sur un mur auquel est adossée Harley, observant tout ça avec un sourire ravi (ou crispé ?) aux lèvres.

Notons que sur les épisodes 5 et 6, Takara reçoit le renfort de Brian Level : leurs styles ne se ressemblent pas mais chacun s'aligne sur le scénario et le mix ne dépareille pas (même si, pour part, je préfère Takara).

J'espère, enfin, que Urban conservera les bonus du hardcover dans lequel on trouve toutes les recherches de Marcio Takara pour les différents looks de Poison Ivy au cours de ces six épisodes, notamment quand elle déchaîne ses pouvoirs. On voit que l'artiste s'est vraiment investi dans la série et n'est pas arrivé dessus simplement pour illustrer le script.

Bref, que vous choisissiez dès à présent de vous procurer l'album en vo ou d'attendre mi-Août pour la vf, notez cet achat pour votre panier. Poison Ivy est vraiment une série singulière et captivante, superbement écrite et dessinée. 

Aucun commentaire: