vendredi 21 juillet 2023

BIG GAME #1, de Mark Millar et Pepe Larraz

 

Nous y voilà : le premier event du "MillarWorld", la suite de Wanted, et la promesse faite par Mark Millar que tout le monde n'y survivra pas. Big Game débute en ce mois de Juillet et pour cinq mois, convoquant tout ce que le scénariste écossais a bâti depuis vingt ans. Un sacré pari tant il a créé de personnages et d'intrigues différentes. Mais il est bien accompagné au dessin par Pepe Larraz, et ce premier épisode se lit d'un trait.


En 1986, la Fraternité, la plus puissante organisation de super-vilains, effaçait des mémoires du monde entier le souvenir des super-héros, dont ne subsistaient que des histoires dans les films et les comics. Depuis toute une vague de nouveaux justiciers a éclos et Wesley Gibson veut les éliminer avec le renfort de Nemesis...


C'est en Mai-Juin 2016, en dévoilant un dessin promotionnel réalisé par Leinil Francis Yu, que Mark Millar évoque vraiment pour la première fois, à demi-mots, le projet de ce qui deviendra Big Game. A cette époque, le scénariste écossais suggère que tous ses comics en creator-owned depuis Wanted (2003) font partie d'un univers partagé, comme chez Marvel et DC Comics.


Par la suite, ponctuellement, d'autres artistes avec qui il a l'habitude de collaborer rappelleront cette théorie, comme quand Rafael Albuquerque, au moment du premier tome de Prodigy (2018), se fend lui aussi d'un poster avec plusieurs des personnage emblématiques du "MillarWorld" sur une même image. Mais le lecteur, lui, ne voit rien venir de plus concret et se pose même la question de savoir comment des créatures si différentes pourraient co-exister dans le même espace fictionnel.
  

Et puis, enfin, l'an dernier, comme il aime à la faire régulièrement, Millar annonce qu'il vient de ""piquer à DC et Marvel" deux de leurs meilleurs artistes pour deux nouveaux projets en 2023. Les spéculations vont bon train mais le scénariste a déjà attiré les plus grands noms et quand il prétend avoir répété cet exploit, on le croit. Ce seront Jorge Jimenez, l'actuel artiste de Batman, et Pepe Larraz, celui de X-Men, qui feront leurs premiers pas en indépendants à ses côtés, rien que ça !

Même si voir Jimenez dessiner la suite de Nemesis en a déçu plus d'un (car ce titre n'est pas le plus apprécié de sa bibliographie), ce n'est pas un coup d'épée dans l'eau puisqu'au dernier épisode de Nemesis Reloaded, on découvre les premières pages du projet avec Pepe Larraz : Big Game, présenté comme le premier event du "MillarWolrd", mais aussi la suite de Wanted, et la réunion tant attendue de tous les héros créés par le scénariste.

Pour Millar, c'est rien moins que le véritable event estival de 2023, le plus spectaculaire, le plus original. Qu'on aime ou pas ses productions, ça donne le frisson car il faut bien avouer que Marvel comme DC ne font plus rêver avec leurs sagas. Là, on ne sait pas à quoi s'attendre, d'autant plus que, de mon côté, j'ai été assez déçu par le volume 5 de The Magic Order, le volume 1 de The Ambassadors, donc j'espérai que Millar se rachète avec Big Game.

Je n'ai pas voulu relire tous mes Millar books avant de plonger dans Big Game. Je ne possède pas tout ce qu'il a écrit d'une part, et d'autre part il promettait que l'histoire serait accessible sans avoir révisé ni même avoir lu quoi que ce soit. Bien entendu, ce genre de déclarations n'engage que celui qui les fait, et il me semble préférable, pour ce premier numéro, de savoir qui sont Edison Crane (Prodigy), Duke McQueen (Starlight) et les Ambassadors, sans oublier Nemesis et Wesley Gibson. Mais ça reste lisible même sans ça.

Toutefois, pour les complétistes, voici l'ordre de lecture
recommandée par Millar lui-même pour profiter à fond de Big Game.


Millar a fait attention à bien planter le décor : il rappelle qu'en 1986, la Fraternité a effacé le souvenir des super-héros (dont ceux de Jupiter's Circle et Legacy, comme on le voit au détour d'une vignette). La seule trace de leur existence qui subsiste se trouve dans des films et les comics dont ils sont adaptés, une vision assez méta du genre et de son exploitation depuis une vingtaine d'années où le grand public s'est gavé de blockbusters avec des justiciers costumés sans rien connaître de la littérature dont ils étaient issus. A l'heure où la San Diego Comic-Con s'apprête à démarrer sans aucun studio présentant des films (à cause de la grève des scénaristes et des acteurs qui a lieu actuellement à Hollywood, rendant le lieu aux auteurs et artistes de comics), c'est quasi-visionnaire...

Millar joue avec sa propre industrie, son propre empire créatif. La fin des super-héros mise en scène dans Wanted il y a vingt ans coïncide avec l'émergence de nouveaux personnages qu'il a lancés sous le label MillarWorld : Chrononauts, Prodigy, Empress, Superior, Nemesis, Huck, Space Bandits, The Ambassadors, Night Club, MPH, Starlight, Sharkey the Bounty Hunter, Super Crooks, Kick-Ass, Hit-Girl, Prodigy, Kingsman, Jupiter's Circle/Legacy, The Magic Order... Et évidemment tout ce qu'a accompli la Fraternité et Wesley Gibson est à refaire. Idée simple et accrocheuse immédiatement. Millar ne réinventera pas la roue avec ce pitch mais il se lance quand même dans une sorte de bilan, n'hésitant pas à prévenir que tous n'y survivront pas. En conséquence, Big Game, c'est la fin de l'Acte I du MillarWorld.

Cette introduction montre les vilains sur le pied de guerre tandis que les héros ne se doutent de rien, d'autant plus qu'ils n'ont jamais communiqué entre eux. Edison Crane, qu'on suit dans ce premier épisode, n'ignore pas l'existence des Ambassadors mais il n'a jamais rencontré Choon-He Chung, et Dave Lizewski (qui a vieilli comme tous les personnages du MillarWorld) rédige une lettre de candidature pour intégrer les Ambassadors qui, justement, cherche un représentant américain. Duke McQueen raconte ses aventures à des écoliers de la classe de sa petite fille sans qu'on sache si ces gamins le croient ou pas. Un personnage mystérieux apparaît, important prévient Millar : Bobbie Griffin, qui, elle, n'a rien oublié...

Visuellement, ce n'est vraiment pas exagérer que les planches de Pepe Larraz sont somptueuses. Le dessinateur espagnol s'est uniquement consacré à ce comic-book depuis des mois, il a eu du temps comme seul un projet pour Millar le permet pour un artiste actuellement. Il a aussi avoué n'avoir jamais autant travaillé que jusque-là, devant s'approprier des dizaines de personnages designés par d'autres.

La performance est réelle et la responsabilité écrasante. Passer après tant d'illustres confrères (de Leinil Yu à John Romita Jr. en passant par Stuart Immonen, Sean Murphy, Goran Parlov, Dave Gibbons, J.G. Jones, Duncan Fegredo, Steve McNiven, Frank Quitely, etc) doit mettre une sacrée pression. Mais Larraz n'est pas non plus un débutant et ces dernières années, il a lui aussi changé de dimension, particulièrement grâce à House of X, qui en a fait une star de Marvel.

Il est soutenu aux couleurs par l'excellente Giovanna Niro, une habituée des comics Millar, avec laquelle son style se marie à la perfection. Il a visiblement mélangé les techniques pour obtenir des rendus superbes, comme cette scène avec Duke McQueen dans la salle de classe avec cette lumière dorée incroyable. Parfois il s'est appuyé sur un dessin plus classique, avec un encrage marqué par des à-plats noirs profonds qui posent une ambiance pénétrante (le site du Parc Roosevelt visité par Edison Crane).

Larraz est un narrateur puissant : son trait a une assurance et une énergie époustouflante, il varie à loisir les angles de vue, les valeurs de plans, la composition de ses images est toujours impeccable et dynamique, son découpage est aérien avec des perspectives remarquables. Le regard du lecteur n'est jamais heurté par un détail maladroit, tout coule de source avec cette impression de majesté que seuls les très grands glissent dans leurs planches. Impossible de ne pas tomber sous le charme et de pas être convaincu par la dimension épique de ce que Big Game promet. Et ce n'est que le premier épisode...

Bref, ça commence bien, ça commence fort, et pourtant c'est encore calme, posé, introductif. Alors, oui, effectivement, ça se présente bien comme l'event à ne pas rater. D'ailleurs, c'est le seul que je lirais.

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