mardi 18 juillet 2023

ALL-STAR SUPERMAN, de Grant Morrison et Frank Quitely - 3 000ème Entrée !

3 000ème entrée !


A chaque fois que je franchis un cap dans ce blog, j'aime bien marquer le coup en parlant d'une BD qui a marqué les esprits, que je l'ai aimée ou pas. Aujourd'hui, c'est la trois millième entrée du Mystery Comics et j'ai choisi d'évoquer une mini-série à laquelle je n'avais pas encore consacré d'article : All-Star Superman, de Grant Morrison et Frank Quitely, parue entre 2006 et 2008 chez DC Comics, et qui est désormais disponible à petit prix en vf dans la collection Urban Nomad chez Urban Comics. 



Lex Luthor sabote la mission solaire de Leo Quintum, obligeant Superman à venir en aide à l'équipage. Mais le super-héros absorbe une quantité trop grande de radiations solaires et son pronostic vital est engagé. Il n'a plus que quelques mois à vire et il décide de régler ses affaires pendant le temps qu'il lui reste. Il commence par révéler sa double identité à Lois Lane. Qui ne le croit d'abord pas jusqu'à ce que Superman la conduise jusqu'à sa forteresse de solitude et lui propose de partager ses pouvoirs pendant 24 heures.
 

Ensemble, ils vont affronter l'Ultra Sphinx dérangé par Atlas et Samson. Puis Jimmy Olsen fait un reportage sur la base lunaire de Leo Quintum en l'absence du savant. Exposé à de la kryptonite noire sur place, Superman devient violent mais Jimmy réussit à le calmer en s'injectant une dose de Doomsday.


Puis Clark Kent rend visite à Lex Luthor, incarcéré pour avoir voulu assassiner Superman. Une émeute éclate mais Lex ramène le calme et fait sortir du pénitencier Clark avec la complicité de Nasthaltia. De retour à Smallville, Clark est confronté à ses doubles spatio-temporels qui l'empêchent de venir en aide à son père adoptif, Jonathan, lorsqu'il est victime d'un infarctus. Leo Quintum explore le Sub-Univers et provoque accidentellement l'invasion de la Terre par une horde de Bizarros. 


Superman s'interpose et les renvoie chez eux mais il ne peut en repartir sans l'aide de Zibarro, le doyen des Bizarros, qui le met en garde : s'il reste là, il va perdre progressivement ses pouvoirs et mourir. Pensant que Superman ne reviendra pas, Leo Quintum révèle à Lois qu'il va mourir bientôt. Malgré tout, l'homme d'acier parvient à s'extraire du piège à bord d'une fusée... Pour découvrir, en son absence, que deux kryptoniens, Bar-el et Lilo, ont pris sa place et tentent de refonder leur société sur Terre. Affaiblis par l'environnement, Bar-el et Lilo sont envoyés dans la zone fantôme pour y faire régner l'ordre.



Leo Quintum élabore un plan pour tenter de soigner Superman : grâce à la science de Kandor, il se miniaturise pour traiter les cellules malades du héros qui, lui, s'emploie à créer un nouveau monde, la Terre-Q où il devient un personnage de fiction. L'essai thérapeutique de Quintum échoue mais va servir à guérir des humains. Grâce à Nasthalthia, Lex Luthor s'échappe de prison grâce au sérume que Superman avait fait absorber à Lois Lane pour partager avec elle ses pouvoirs pendant 24 heures.


Lex Luthor et Superman s'affrontent pour la dernière fois et l'homme d'acier rencontre son destin, prévu par Leo Quintum, qui a trouvé un moyen de remplacer le héros.

Avant de passer à la partie critique proprement dite, il est intéressant de s'interroger sur d'où vient l'idée de All-Star Superman. Et pour cela, il faut en vérité en passer par l'univers Ultimate de Marvel Comics !

En 2001, Marvel lance une nouvelle collection de comics pour séduire des lecteurs que la continuité rebute. C'est ainsi que Brian Michael Bendis réinvente Spider-Man dans Ultimate Spider-Man et Mark Millar les mutants dans Ultimate X-Men. L'année suivante, ce sera au tour des Avengers d'être remixé dans Ultimates puis en 2004, enfin, Ultimate Fantastic Four verra le jour.

L'idée derrière ce projet est d'abord d'ordre économique. A la fin des années 1990, Marvel est au bord de la banqueroute. La maison d'édition est racheté par le patron de la marque de jouets Toy Biz, Avi Zrad, qui décide de séparer les activités en deux départements et nommant à la tête de la division publishing Bill Jemas, connu pour ses méthodes de management brutales. Jemas impose tout de suite Joe Quesada , alors dessinateur de Daredevil comme éditeur en chef. Ensemble, ils vont repartir à la conquête des kiosques avec le projet de sortir les comics du ghetto dans lequel ils se sont eux-mêmes enfermés.

Pourtant, le projet est un échec. C'est du côté des comic-shops que que le lectorat traditionnel répondra présent avec la ligne Ultimate qui propose une remise à plat des héros préférés de Marvel. Et les recueils (les trade paperbacks) confirmeront cette tendance en trustant les premières places des ventes dans les plus grandes enseignes de distribution.

Le succès de la collection Ultimate a passé par des auteurs et artistes qui ont su porter un regard neuf et spectaculaire sur des icones de l'éditeur. Il y avait une volonté de produire des comics cinématographiques et on peut dire que le MCU s'en est largement inspiré par la suite. Mais quid de DC Comics face à ce renouveau ?

C'est là où s'opère la jonction avec All-Star Superman. Il faudra attendre 2005 pour que la Distinguée Concurrence se réveille et ne réagisse avec les DC All-Stars. Même s'ils s'en défendront l'époque, les responsables éditoriaux de DC ont adopté une stratégie similaire à leurs rivaux en voulant créer des BD spectaculaires et accessibles pour des néophytes. Pourtant ils se distinguent en ne voulant pas créer un nouvel univers : chaque projet sera la vision d'une équipe créative prestigieuse et non pas de quasi-nouveaux venus. Sont donc annoncés pour démarrer All-Star Superman par Grant Morrison et Frank Quitely et All-Star Batman & Robin the Boy Wonder par Frank Miller et Jim Lee. Deux blockbusters assurés.

Si Marvel n'a pas su éviter des retards sur Ultimates par exemple, toutefois les séries Ultimate sortiront ponctuellement. En revanche, avec des artistes comme Quitely et Lee et un scénariste comme Miller, DC n'a pas sur éviter cet écueil - d'ailleurs All-Star Batman... restera inachevé. Et All-Star Superman mettra deux années à être complété.

Qu'importe si la qualité est là, me direz-vous, et c'est là qu'on va parler de ce que vaut All-Star Superman puisque c'est le sujet de ce jour. Pour beaucoup, il s'agit, avec ces douze épisodes, de l'hstoire ultime de Superman, déjà parce qu'elle confronte le héros à sa mort. Ce n'est ni la première ni la dernière fois, mais on suit le kryptonien pendant ses derniers mois à travers une série d'exploits, de rencontres, il règle ses affaires comme le ferait un mourant, révélant sa double identité à Lois Lane, longtemps dubitative, affronte Bizarro et s'allie à Zibarro, retrouve deux explorateurs de Krypton, et s'explique avec Lex Luthor.

Morrison choisit d'écrire une Superman qui se veut un concentré de tous les Superman, avec des références à ses origines, son passé, ses époques les plus farfelues, et aussi très moderne, vulnérable, soulignant avec Frank Quitely ce qui peut encore l'être entre Clark Kent et l'homme d'acier. L'approche de l'artiste divisera, notamment en exagérant au maximum, jusqu'à la caricature, la maladresse et l'allure de Clark Kent, représenté constamment vouté, avec une coiffure ringarde, des manières balourdes, alors que, dans le même temps, il reste doté d'un gabarit exceptionnellement impressionnant, ce qui ne peut manquer d'interroger sur le fait que personne ne se doute qui puisse être Superman et que son stratagème pour le masquer est bien grossier.

Quitely ne rend pas sa meilleure copie : pour un dessinateur aussi génial, il a, il est vrai, à composer avec des scènes qui l'empêchent de s'exprimer là où il est le plus fort, dans la suggestion de la vitesse, des impacts, de la force cinétique. Pourtant, quand il en a l'occasion, Quitely déploie toute sa maestria dans des découpages virtuoses, dont le sommet me paraît être la visite de Clark à Lex en prison, avec un flux de lecture d'une extraordinaire fluidité, des doubles pages montées comme des plans séquences, ou encore lors du combat final entre Superman et Lex, avec la dimension tragique qui l'entoure.

Mais il n'en reste pas moins que parfois on sent Quitely embarrassé par les consignes d'un script qui le musèle et où toute sa puissance graphique est gênée, comme quand Superman est à Smallville et qu'il affronte ses doubles dimensionnels en espérant sauver son père adoptif. Là où, en temps normal, Quitely aurait pu produire une bagarre homérique avec un suspense à couper le souffle, tout cela apparaît freiné par trop d'événements à gérer en même temps. La mort de Jonathan Kent n'a pas l'émotion qu'on pouvait en attendre, parasité par ces Supermen. En comparaison, lorsque Morrison accepte de simplifier ses idées narratives, comme lorsque Leo Quintum et les kandoriens s'unissent pour tenter de guérir Superman puis mettent en pratique leurs recherches pour sauver des malades humains, là, Quitely renoue avec le panache qu'on lui connaît et illustre tout le potentiel dramatique du concept.

Ce qui me déplaît dans ce All-Star Superman et l'empêche, à mon sens, d'être le chef d'oeuvre que beaucoup voit en lui, c'est son surplus de concepts. Grant Morrison a beaucoup d'idées, mais trop pour douze épisodes. Ou plutôt il n'accorde pas à ses nombreuses idées la place qu'elle mérite. Par exemple, le périple dans le Sub-Univers avec les Bizarros m'a paru bien trop long alors que celui avec Bar-el et Lilo est trop court. Fallait-il absolument revenir sur les excentriques mésaventures de Jimmy Olsen durant le Silver Age dans l'épisode 4 ? Je ne le crois pas. Tout comme le doute de Lois Lane au sujet de la double identité de Superman me paraît trop appuyé et injustifié.

Il n'existe pas beaucouo d'auteurs à avoir eu l'opportunité de produire deux récits mémorables sur Superman et Batman. A mes yeux, seuls Morrison (avec donc All-Star Superman et Arkham Asylum) et Kurt Busiek (avec Superman : Secret Identity et Batman : Creature of the Night) ont vraiment marqué les esprits, qui plus est en disposant d'artistes de premeir choix (Quitely et Dave McKean pour Morrision, Immonen et John Paul Leon pour Busiek). Mais je trouve dans tous les cas que Busiek a fait montre de plus d'originalité et d'accessibilité avec ses deux comics que Morrison, qui s'est pris comme souvent les pieds dans le tapis, obsédé par l'envie de surpasser Alan Moore et sa lecture post-moderne des super-héros.

Il faut cependant posséder All-Star Superman dans sa bibliothèque. D'abord parce que, désormais, il n'y a plus d'excuse pour ne pas l'avoir : Urban Comics le vend désormais pour 7,90 Euros, un prix imbattable. Ensuite parce que, malgré ses défauts, c'est un récit complet passionnant pour ses origines éditoriales, son équipe créative, son ambition. 

Par la suite, DC voulut proposer sa All-Star Justice League avec la mini-série Justice (de Jim Krueger, Alex Ross, Doug Braithwaite - qui a été pénalisé par l'initiative absurde de Ross de vouloir peindre par dessus les crayonnés de Braithwaite, retardant considérablement la publication). Avant d'annuler ce qui aurait été peut-être le projet le plus prometteur de la collection, All-Star Wonder Woman, écrit et dessiné par Adam Hughes. L'univers Ultimate verra sa fin en 2015 lors de l'event Secret Wars (par Jonathan Hickman et Esad Ribic)... Avant de revenir à la rentrée 2023 (toujours avec Jonathan Hickman). Les DC All-Star ont depuis été oublié, un temps remplacé par les titres Earth-One.

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