mercredi 8 septembre 2021

SUICIDE SQUAD : GET JOKER ! #2, de Brian Azzarello et Alex Maleev


Voilà une mini-série bien déroutante que Suicide Squad : Get Joker ! : avec seulement trois numéros, mais longs de cinquante pages chacun, Brian Azzarello propose un récit dense. Pourtant, ce deuxième chapitre prend son temps, appuie sur les temps morts, joue la montre. C'est très déstabilisant, et ça ne s'arrête pas là... Quant à Alex Maleev, il met tout cela en images de façon très propre mais aussi très statique, au diapason du script.


Red Hood avise Larry, l'assistant de Amanda Waller, que Firefly est mort et que le Joker, après avoir agressé Waller, lui a dérobé le détonateur activant les nano-bombes que porte chaque membre de la Suicide Squad. Larry envoie une équipe de nettoyage pour récupérer le corps de Firefly.


La Suicide Squad retourne au repaire de Toyman. Mais celui-ci est incapable de retirer les nano-bombes - à moins de pratiquer une lobotomie. Harley Quinn sait que le Joker ne va pas agir contre l'équipe, préférant jouer avec leurs nerfs jusqu'à son prochain mouvement.
 

Et justement le Joker envoie ses hommes de main chez Toyman pour inviter la Suicide Squad à sa fête. Elle se tient dans un bouge avec des strip-teaseuses et, à l'entrée, les hommes de l'escadron sont désarmés. Le Joker force Harley Quinn à exécuter une danse lascive sur scène.


Wild Dog glisse dans le string de Harley une lame de rasoir avec quelques billets. Elle égorge le Joker. Red Hood et Wild Dog récupèrent leurs armes et ouvrent le feu. Dans la panique qui s'ensuit, Yonder Man récupère le détonateur et s'enfuit. Mais Toyman le tue juste avant l'arrivée d'une nouvelle formation de la Suicide Squad, menée par Rick Flagg...

Le premier épisode de Suicide Squad : Get Joker ! se distinguait par sa densité et la position de Jason Todd/Red Hood dans le rôle de leur leader. A la tête de l'escadront suicide, il devait capturer le Joker à Gotham mais découvrait que le clown du crime était en affaires avec la mafia russe. Enfin, il surgissait chez Amanda Waller qu'il rouait de coups pour lui dérober le détonateur grâce auquel elle pouvait tuer les membres de la Suicide Squad tentant de fuir la mission.

On pouvait donc s'attendre que ce deuxième chapitre (sur les trois que compte la mini-série) allait poursuivre sur le même rythme, avec une succession de scènes fortes, tendues. Sauf que ps du tout !

Brian Azzarello prend le lecteur à contrepied et même à rebrousse-poil en écrivant un épisode totalement à l'opposé du précédent. Il le fait à dessein, pas pour provoquer car l'enjeu de l'histoire s'est déplacé : il n'est plus question d'une mission suicide contre le Joker car le Joker dispose maintenant d'un moyen imparable pour se débarrasser des chasseurs à ses trousses - le fameux détonateur activant les nano-bombes implantées dans la nuque des agents de Waller et capables de leur faire exploser le ciboulot au moindre écart.

Comme le Joker est fou et donc imprévisible, il est susceptible désormais de tuer Red Hood et son équipe à chaque instant. Harley Quinn l'explique à Red Hood : il va jouer avec leurs nerfs car il est maître des horloges maintenant, il les tient tous, il va s'amuser avec eux comme un chat avec une souris. Tout le monde, lecteur compris, va devoir attendre le prochain mouvement du Joker.

C'est alors que Azzarello consacre plusieurs pages à cette attente et montre les réactions diverses des membres de la Suicide Squad. C'est l'occasion pour ces criminels de faire connaissance, parfois de manière étonnament comique comme quand Plastique, Peebles et Yonder Man se partagent un joint pour se relaxer. Parfois de manière presque émouvante quand Silver Banshee interroge Meow Meow sur ce qui l'a conduit derrière les barreaux. Red Hood doit composer avec la frustration de Wild Dog mais aussi avec le souvenir de sa première confrontation avec le Joker.

Ces pages vont diviser car certains lecteurs estimeront que Azzarello n'y raconte rien, décompresse à outrance. Pourtant, avec le recul, j'ai trouvé que c'était sacrément culotté et finalement payant car on n'a pas l'habitude qu'un vilain ait autant la main sur la situation et les héros. On n'a pas l'habitude de voir des héros être obligés d'attendre que leur ennemi bouge le premier. Ce sentiment horripilant que rien ne se passe est parfaitement traduit grâce au parti-pris du scénariste qui ose mettre son récit sur pause.

Alex Maleev est au diapason. Le décor de cette non-action est désolé, on est dans une zone désertique, le garage de Toyman, entouré de grillages, sous un soleil de plomb. Maleev ne cherche pas à dissimuler cette misère esthétique, il ne meuble pas les arrière-plans, souvent à l'image il n'y a que des personnages qui bavardent, échangent des banalités ou des propos incongrus. Ils sont volontairement statiques, peu expressifs, figés dans cette attente insupportable. De même Matt Hollingsworth applique des couleurs plates, sans éclat, pour bien souligner l'ambiance pénible qui s'installe. Le format long de l'épisode (50 pages) permet cette expérimentation et Maleev et Azzarello en profitent, quitte à déranger le lecteur qui espère de l'action, du mouvement.

Puis, enfin, après quelques touches d'humour absurde (Meow Meow qui fait remarquer à Peebles que son nom civil, Livinstone, correspond mieux que son surnom à ses pouvoirs, Yonder Man qui justifie sa consommation de cannabis pour activer son pouvoir), le Joker bouge. Et la Suicide Squad aussi du même coup. L'action se déplace dans un bouge minable, avec des strip-teaseuses qui font du poll-dance, avec des hommes de main qui fouillent et désarment les membres de la Suicide Squad.

L'apparition du Joker est spectaculaire et glaçante : ses mains et ses avant-bras sont couverts de sang (sans qu'on sache pourquoi). Maleev découpe la scène avec des cases qui occupent toute la largeur de la bande, histoire de donner une dimension quasi-cinématographique à ce moment. Azzarello ne fait pas du Joker un clown hystérique, qui gesticule : au contraire, là encore, il prend le contrepied, c'est un type fardé, habillé de blanc (la fameuse combinaison inspirée de celle portée par Alex/Malcolm McDowell dans Orange Mécanique de Kubrick), très calme, arborant un large sourire et dévisageant, d'un air supérieur, l'assemblée et ses invités. L'effet est redoutable.

La suite aboutit à une autre scène incroyable, malaisante au possible - gratuite diront certains, mais ô combien efficace et perturbante. Le Joker force Harley Quinn à exécuter une danse lascive en sous-vêtements sur scène après avoir menacé de faire sauter la tête de ses compagnons. Elle obéit. Là encore, le temps se dilate et Azzarello et Maleev étirent ce moment à dessein pour que lecteur ressente la gêne, l'humiliation. Puis la surprise. Car, évidemment, Harley ne s'est pas pliée au caprice du Joker innocemment.

C'est dans les dernières pages que tout s'accélère (enfin...). Tout est clairement montré en peu de planches. Maleev ne se départit pas d'une certaine raideur dans son dessin, il n'est pas Immonen ou Samnee, mais finalement ses compositions un peu rigides, un peu gauches, traduisent de manière plus réaliste ce qui se passe dans une fusillade dans un bar et la fuite d'un groupe de soldats. Deux twists imprévisibles achèvent de cueillir le lecteur et de semer le trouble avant la sortie du troisième et dernier acte le mois prochain.

Suicide Squad : Get Joker ! désarçonne : Brian Azzarello et Alex Maleev trompent leur monde en ne nous donnant pas ce qu'on attendait. Cette façon de faire va diviser, je le répète, mais si vous aimez les sorties de route, les scènes de malaise, de tension, et les surprises, alors c'est un régal. En tout cas, c'est culotté, ça, c'est indéniable. Et ça fait du bien.
   
La variant cover de Jorge Fornes.

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