vendredi 6 août 2021

THE NICE HOUSE ON THE LAKE #3, de James Tynion IV et Alvaro Martinez


Si j'avais qu'une série à conseiller en ce moment, tous éditeurs confondus, alors ce serait The Nice House on the Lake. Trois numéros à ce jour et c'est toujours une sensation unique, une expérience de lecture incroyable. Ce que font James Tynion IV, Alvaro Martinez sans oublier Jordie Bellaire est exceptionnel. Un candidat sérieux pour rafler plusieurs Eisner awards l'an prochain.


Sam NGuyen a rencontré Walter quand ils étaient encore au lycée. Sam s'est ensuite éloigné pour poursuivre ses études de journalisme et apprendre la photographie mais sans perdre le contact avec Walter qui lui demandait volontiers des nouvelles de leurs amis communs.


En bon reporter, aujourd'hui, Sam s'interroge sur ce que va devenir le groupe dans la maison. Il s'énerve contre la légèreté affichée par Rick, Naya et David, qui ont décidé de profiter de ce refuge, comptant sur Walter pour ne pas qu'ils dépérissent. 


Sam décide donc d'inspecter les environs de la propriété pour en définir les limites et peut-être débusquer Walter afin de lui soutirer des explications. Il découvre qu'une sorte de champ de force entoure la maison et que d'autres sculptures énigmatiques décorent l'endroit.


Finalement il atteint un terrain sur lequel est bâti une autre demeure, entièrement noire avec une cour sur laquelle sont disposées des sculptures et des signes abstraits. Walter l'observe à son insu, retenant prisonnier à l'intérieur un certain Reg qui appelle au secours sans être entendu...

C'est une série véritablement fascinante que The Nice House on the Lake. Certes si elle n'a pas été publiée par un éditeur indépendant (comme Image Comics, Dark Horse Comics ou Boom ! Studios), c'est parce que son artiste est exclusif chez DC et que James Tynion IV est devenu le nouvel auteur chouchou de Jim Lee. Mais le fait même que DC la produise est encourageant pour le Black Label (déjà pourvoyeur d'excellentes mini-séries) dans la mesure où il ne s'agit pas d'une histoire de super-héros.

Il y a quelques années, Vertigo aurait donc publié The Nice House... et personne n'aurait trouvé cela étonnant. Cela prouve bien à quel point le marché a évolué et à quel point les Big Two ont renoncé à leurs ambitions auteuristes, en privilégiant les super héros, devenus la coqueluche du cinéma et donc la garantie pour les majors de toucher le plus large public.

Pour moi qui aime les super héros mais qui apprécie aussi de lire autre chose, je pense qu'une BD comme The Nice House... a valeur d'exemple et j'espère que d'autres auteurs auront la possibilité d'explorer d'autres genres au sein du Black Label, voire que Marvel s'y aventurera aussi (même si, là, j'ai de sérieux doutes). Tout le monde y gagnerait : DC en donnant un espace de liberté à ses meilleurs talents, le lecteur en disposant d'une offre plus variée, les comcis en général en ne réservant pas aux indés la priorité à des histoires différentes.

Sur le fond, comme à chaque numéro, cet épisode s'ouvre par un flash-forward où un des amis de Walter s'adresse directement à nous dans un paysage désolé, comme pris dans un incendie, mais où on peut encore distinguer les silhouettes des mystérieuses sculptures de la propriété de Walter. Ce procédé est simple : James Tynion IV utilise un personnage différent chaque mois pour nous donner son point de vue sur Walter mais aussi un aperçu sur l'issue de cette intrigue. Cette scène d'ouverture est invariablement ponctuée par un flashback situé avant le début de la série, quand le héros du mois a fait connaissance ou était déjà proche de Walter. Cette fois, il s'agit de Sam NGuyen, le journaliste de la bande.

La profession du protagoniste a une importance cruciale car elle va orienter toute la lecture en lui imprimant un point de vue unique, presque spécialisé. Dans le cas de Sam, c'est un regard de reporter, quasiment d'explorateur qui va prédominer. Que fait un journaliste enfermé dans une maison au lendemain de l'apocalypse ? Il investigue, il enquête, il cherche des réponses. Ce qui n'est pas/plus le cas de tout le monde parmi les autres résidents de ladîte maison.

Car, comme on l'a vu dans le précédent épisode, des clans commencent insensiblement à se former. Il n'y a pas que sam qui cherche des réponses, qui fouine. Mais il y a aussi des amis de Walter qui se sont résignés, acceptent la situation - parfois manipulés par l'hôte désormais introuvable et pourtant présent. Rick collabore avec Walter et manipule Naya. Il a gagné la confiance de David (l'acteur). Leur aprti-pris, téléguidé par Rick (et donc Walter), est de profiter du gîte et du couvert sans plus se soucier de la catastrophe : il est question de se divertir, en allant nager dans le lac, en regardant des films Disney (une pique à l'adresse de Marvel détenu par Disney ?). C'est une réaction compréhensible : quand le monde a cessé d'exister, que tous vos proches sont morts et que vous êtes dans une maison luxueuse, à l'abri, après tout, pourquoi ne pas s'en contenter ? L'oisiveté comme remède à la souffrance, à l'horreur.

Evidemment, Sam ne l'accepte pas. Lui pense plutôt à dresser une liste des vivres pour déterminer leur stock, à explorer la demeure pour tenter de mieux la connaître et d'y trouver des réponses, d'aller voir dehors pour découvrir jusqu'où le cataclysme a frappé. Il ignore que Sarah et Norah ont déjà découvert derrière la bibliothèque des armes et des explosifs...

James Tynion IV, en choisissant Sam pour visiter les environs, se prive de dialogues. Il n'a pas non plus recours à l'artifice de la voix-off. Nous suivons Sam dans sa randonnée et découvrons en même temps que lui ce qui existe hors de la maison. Il y a d'autres de ces étranges sculptures, comme celle à l'entrée de la propriété qui, lorsqu'on la touche, vous fait voir ce qu'il est arrivé à l'endroit où chacun habitait - une vision effroyable, traumatisante, bouleversante. Et il y a aussi, surtout, un champ de force.

La série bascule alors complètement dans ce qui n'était alors que suggéré : une sorte de reality show malsain, bizarre, flippant, avec des personnages sous cloche, qui ignore qu'on les filme et les écoute quand ils sont à l'intérieur de la maison, et qu'ils sont coincés sous une dôme, avec Walter qui se cache dans les bois. Lorsque Sam atteint un autre bâtiment, l'étrangeté de la situation atteint une sorte de comble car il s'agit moins d'une autre maison que d'une structure, noire, lisse, inquiétante, insondable, insonorisée aussi. Une sorte de néo-monolithe comme dans 2001 : L'Odyssée de l'espace. Mais aussi une sorte de double à la maison. Avec deux réisdents : Walter, et un certain Reg, mentionné auparavant comme un ami de Walter, membre de la bande, invité lui aussi, mais qui n'avait pas répondu à l'invitation. Sauf que si, il est bien là, dans ce bâtiment, prisonnier, appelant à l'aide sans être entendu. Pourquoi Walter le retient ?

Si on aime les histoires qui se développent sur des questions, alors The Nice House..., comme Lost en son temps, est un régal. C'est si finement écrit, si intense, qu'on a la chair de poule, mi-angoissé, mi-réjoui par ce mystère contenu dans une énigme. Il y a une dimension ludique et sadique dans tout ça, et on tisse un parallèle entre le scénariste et Walter, le premier s'amusant avec nous, lecteurs, et le second avec ses amis. Comme la narration n'emploie pas de voix-off, est avare en indices, que son casting est riche et donc suggère encore des développements imprévisibles, on est à la fois perdu et excité. C'est un récit risqué car si la réponse n'est pas à la hauteur, la frustration balaiera tout. Mais c'est quand même délectable d'être ainsi mené par le bout du nez, sans savoir où on va.

Et en plus c'est incroyablement mis en images. Le premier Mardi de chaque mois, avec The Nice House..., on a rendez-vous avec Alvaro Martinez pour son meilleur travail, dans lequel il s'est réinventé et prouve, si besoin était, quel grand dessinateur il est.

Cette fois, il use à plusieurs reprises de doubles pages. Ceux qui lisent mes critiques régulièrement savent que je suis toujours prudent, voire méfiant, avec ce format car il est souvent utilisé pour des effets tape-à-l'oeil faciles. C'est presque trop simple d'épater la galerie avec des doubles pages : la dimension même que prennent les images ainsi invite le lecteur à être subjugué par la générosité graphique qu'elles convoquent. Pourtant, c'est un faux-ami si on dessine une double page juste pour l'espace qu'elle procure.

La nature comme la narration graphique a horreur du vide, ou plutôt la narration graphique accentue la sensation de vide. Si vous ne racontez rien sur une double page, vous serez d'abord épatés avant de vous rendre compte qu'il ne s'agit souvent que d'un moyen de vous épater sans rien raconter de substantiel. Mais si vous avez un excellent dessinateur qui en use à bon escient, alors l'exercice de style devient une démonstration de son brio narratif et les images étalées sur cette impressionnante surface deviennent un véhicule pour raconter un tas de choses - les émotions qui traversent les personnages, les dimensions d'un décor, l'impact d'une scène, la fluidité des transitions.

A plusieurs reprises donc, dans cet épisode, Martinez déploie sa page pour rendre compte de l'espace dans lequel évoluent ses personnages et comme tout l'épisode est raconté du point de vue de Sam, qui justement explore, fouine, gratte, c'est tout à fait indiqué, très judicieux. Mais encore faut-il que ce soit bien exécuté. Et là, pas de souci : Martinez sait remplir ses cases, en les détaillant sans les surcharger, en les composant pour que le regard s'y attarde sans se perdre jamais. Il varie les angles, joue sur la décomposition des mouvements, serre sur les visages, appuie les attitudes. Du grand art. Jamais on n'a cette impression d'un dessinateur qui cherche comment animer ses images, tout est là, tout est juste, tout est pesé.

Et les couleurs de Jordie Bellaire créent des ambiances vertigineuses, hypnotiques. La beauté de sa palette a quelque chose de brute pourtant, elle ose des contrastes forts, intenses, flirte avec des saturations. La couleur ici est organique, elle interagit avec le trait du dessin, le noir de l'encrage, mais aussi traduit les sentiments, les climats, le temps. Quand on compare la scène d'ouverture, cauchemardesque, avec la suite de l'épisode, on est saisi par la différence entre ce feu environnant et le cadre paradisiaque de la maison et ses alentours. Ainsi Bellaire nous laisse travailler, imaginer comment on passe d'une temporalité idyllique (malgré la fin du monde) à ce futur épouvantable. Très fort.

Oui, très fort. Presque trop. Car, après avoir lu ça, le reste paraît presque fade. C'est le lot des grandes BD. Et assurément, The Nice House on the Lake en fait partie.   

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