jeudi 27 février 2020

X-MEN #7, de Jonathan Hickman et Leinil Yu


Si ce n'était pas encore assez clair que les X-Men avait franchi le Rubicon et qu'ils étaient entrés dans leur période la plus étrange depuis que Jonathan Hickman présidait à leur destinée, alors ce nouvel épisode dissipera les derniers doutes - et décidera les ultimes lecteurs à en accepter le postulat ou à la rejeter. En tout cas, c'est, je trouve, très fort, audacieux. Et même Leinil Yu semble trouver un nouveau souffle (malgré la perte de son emblématique encreur, Gerry Alanguilan).

Melody Guthrie est la soeur de Sam (Cannonball), Paige (Husk) et Joshua (Icare). Mais contrairement à eux, elle vit à Krakoa en ayant perdu ses pouvoirs (depuis le M-Day, où la Sorcière Ecarlate a privé de leur don un million de mutants). Aujourd'hui, elle va passer l'épreuve.


Cette épreuve interroge Cyclope qui s'en ouvre à Wolverine, lequel se montre très réservé à ce sujet. Il renvoie Scott Summers à leur ami Diablo pour trouver des réponses à ses doutes et Kurt Wagner est également en pleine interrogation.


Alors qu'ils rejoignent l'arène où doit avoir lieu l'épreuve, Diablo explique à Cyclope que la protocole de résurrection maîtrisé par les mutants désormais a modifié complètement leur condition - et remet en question leur situation face à la vie, la mort, l'éternité.


Dans l'arène, Melody Guthrie affronte Apocalypse dans un duel à mort. Diablo continue à échanger avec Cyclope sur la responsabilité que leur donne la résurrection. Melody Guthrie meurt sous les coups d'Apocalypse en s'étant consciemment prêté à cette cérémonie étrange.


Melody renaît et, ainsi, recouvre ses pouvoirs et son statut de mutante, citoyenne légitime de Krakoa, récupérant son nom de code d'Aero. Diablo dévoile son projet à Cyclope : bâtir une religion mutante pour penser à leur nouvelle existence et continuer à l'interroger.

Je crois vraiment qu'on est en train d'assister à une révolution avec ce que fait Jonathan Hickman. Pour la première fois depuis longtemps, les mutants sont écrits d'une manière si radicale et novatrice qu'il est impossible de se référer à une quelconque nostalgie. Il ne s'agit pas d'une réinterprétation, mais bien d'une réinvention, initiée avec les mini-séries House of X-Powers of X, qui ont enclenché un mouvement contraire à tout ce qui avait été entrepris depuis la période Grant Morrison (en gros, l'idée qu'il fallait établir l'histoire de l'extinction des mutants).

Bien entendu, un tel projet oblige chacun à reconsidérer son affection pour les mutants. Certains fans manifestent déjà leur désapprobation devant l'image que renvoie Hickman. D'autres (comme moi) adhérent à ce plan parce qu'il a le mérite de trancher avec une stratégie qui avait atteint ses limites et parce qu'on assiste à une redéfinition de ces personnages, de leur objectif - quitte, en effet, à les rendre moins sympathiques, moins héroïques.

Je l'ai déjà dit, mais il me semble que ce que Hickman accomplit, c'est que Marvel a raté, par frilosité, avec les Inhumains il y a quelques années (alors même que couraient des rumeurs comme quoi lesdits Inhumains allaient remplacer les mutants, mais c'était avant que Marvel récupèrent les droits d'exploitation cinéma des mutants). A l'époque, ni Matt Fraction (passé en coup de vent) ni Charles Soule n'avaient osé, avec leurs editors, embrasser le côté antipathique des Inhumains (une famille royale, avec ses classes diverses jusqu'à ses esclaves, vivant à l'écart des humains tout en ayant déclenché, lors de la saga Infinity, écrite par Hickman, une bombe réveillant toute une population secrète).

Or, c'est précisément ce qu'ose Hickman aujourd'hui avec les X-Men : décrire une société retiré des l'humanité, assumant désormais de la supplanter, bâti sur des règles dérangeantes. L'épreuve qui est au coeur de cet épisode peut être un des aspects les plus saillants de cette philosophie puisqu'en interrogeant, via Diablo, le protocole de résurrection domestiquée par les mutants, il s'agit de mettre en scène l'exécution d'une ancienne mutante (ayant perdu ses pouvoirs depuis House of M) avant de la faire renaître, à nouveau pourvu de son don.

Hickman alterne le cérémonial de l'épreuve, voulue par Melody Guthrie (soeur de Cannonball, Husk et Icare), et le débat entre Cyclope et Diablo.  Dans le premier cas, on assiste à un combat absurde par son inégalité, opposant Melody à Apocalypse dans une arène. Elle n'est plus qu'une humaine, tolérée à Krakoa, mais résolue à se battre pour mourir dignement, assez pour mériter sa résurrection et la récupération de ses pouvoirs. Ce spectacle est perturbant car on assiste à une sorte de corrida où le petit taureau Melody Guthhrie n'a vraiment aucune chance face au matador Apocalypse. Le malaise est d'autant plus grand qu'assiste au combat les frères et soeurs de la jeune femme, mais aussi tout un public de mutants (des plus hauts dignitaires aux plus anonymes citoyens de Krakoa). L'issue ne fait aucun doute, malgré la bravoure de Melody Guthrie, mais il ne s'agit pas de vaincre Apocalypse. Il s'agit bien de mourir pour avoir le droit de renaître et d'être à nouveau pleinement soi-même.

Dans le second cas, le dialogue entre Diablo, présenté comme un homme de foi mais aussi traversé par le doute, et Cyclope, dessiné comme un adepte heureux à peine titillé par quelques interrogations sur ce qui se passe, est d'une richesse assez peu commune dans un comic-book mainstream. Hickman réfléchit à voix haute, au travers de ses deux personnages, sur des concepts comme l'éternité, la mesure de celle-ci quand on a le pouvoir de renaître à volonté, la préservation de l'âme dans le corps physique après la résurrection, la responsabilité vis-à-vis des volontés de celui prêt à mourir pour revivre comme mutant à part entière, la notion même de mutant à part entière comparé à la condition d'humain (entendu que le mutant est désigné comme homo superior). Diablo n'a pas de réponses toutes faites à ces questions, cela ne lui inspire que de nouvelles interrogations existentielles, philosophiques, sur le prix à payer pour un tel privilège, la portée religieuse de ce pouvoir de vie et de mort, la place du mutant dans la société, le communautarisme qui guette, le transhumanisme (ou "transmutantisme"). A la fin, Diablo envisage de créer un mouvement religieux, une église sur Krakoa, moins pour convertir en discours de conversion ce qu'il questionne que pour poursuivre ce travail d'interrogation avec des fidèles, des penseurs (on voit d'ailleurs Exodus enseigner, à sa manière, ce qu'a fait la Sorcière Ecarlate à un groupe d'enfants - et on se rappelle que Wanda Maximoff est sur la liste des plus grands criminels mutants de Krakoa).

Evidemment le portrait de Diablo en religieux en hérissera certains. On sait que son créateur, Dave Cockrum, désapprouvait qu'on écrive son personnage ainsi (alors que lui l'avait conçu en hommage aux personnages de pirates charmeurs incarnés par Errol Flynn). Mais aucun scénariste n'a jamais tenu compte de la volonté de Cockrum (ni Claremont, ni les autres). Personnellement, je préfère aussi le Diablo bondissant et séducteur au curé à l'apparence de démon, donc le choix de Hickman me plait moyennement (mais j'attends son Giant-Size X-Men : Nightcrawler, dessiné par Alan Davis - le seul, depuis Cockrum, à avoir conservé l'essence du personnage - pour vérifier s'il ne creusera que cet aspect).

En attendant, cet épisode bénéficie de dessins remarquables de Leinil Yu. Pour ce dernier, c'est un retour particulier puisque c'est son premier job depuis la mort inattendue de son encreur, Gerry Alanguilan (auquel ce numéro, comme les précédents, est dédié : Alanguilan était plus qu'un encreur puisqu'il était aussi enseignant, auteur, et se battait pour la reconnaissance de ses pairs).

Yu rend une copie très forte, pour un numéro très dense (plus de trente pages, sans data pages). Il est à son aise dans cet épisode fourni en dialogues, mais aussi lorsqu'il anime le duel entre Apocalypse et Melody Guthrie. Il excelle à souligner la différence de gabarit entre les deux adversaires et donc l'inégalité du combat, son absurdité même, sa cruauté.

Certes Yu néglige souvent les arrières-plans, notamment quand on se trouve dans l'arène. Mais, avant cela, il nous guide dans la végétation de Krakoa en soignant sa luxuriance et la beauté de ses architectures. Une scène comme celle avec Cyclope et Wolverine sur la Lune, au début, a même une forme de majesté sobre épatante.

Tout cela contribue à faire de cette prestation la plus aboutie de Yu depuis le début de son travail sur le titre (même si on peut facilement lui préférer les épisodes illustrés par Silva ou Buffagni, encore plus peaufinés). Mais il est indéniable que Yu maîtrise particulièrement un colosse comme Apocalypse, et les leaders de Krakoa (comme Xavier, Magneto, Storm), bien aidé par la colorisation magnifique de Sunny Gho (son fidèle complice).

Il est sûr que X-Men n'a plus rien à voir avec que qu'on a lu depuis plus de quarante ans. La direction imprimé à ce titre emblématique par Hickman nous emmène loin ailleurs, transformant l'ensemble en un objet assez unique, et clivant. Mais c'est aussi sa force si on y adhère : ce n'est plus la même chose, c'es quelque chose de différent, et qui s'assume comme tel. Je trouve cela passionnant.    

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour! J'attends toujours avec impatience tes critiques qui sont très bien écrites et généreuses en détails. Bref, c'est passionnant.
Merci beaucoup pour la qualité de ton travail. Ca doit prendre un temps!!!!

Pour le comics en soit, très dérangeant et dur. Rein a voir avec ce que l'on a lu jusqu'à présent. Le choix de Melody est vraiment bien pensé. j'aurais bien vu Sofia aussi (winddancer, New mutants).

Bonne continuation!