mardi 25 février 2020

SKULLDIGGER + SKELETON BOY #3, de Jeff lemire et Tonci Zonjic


La mini-série écrite par Jeff Lemire arrive à mi-parcours et on s'attend donc légitimement à des révélations et des rebondissements pour préparer les deux derniers épisodes. On n'est pas déçu car ce numéro est encore une fois exceptionnel d'intensité et les surprises sont vraiment excitantes. Visuellement, c'est une "tuerie" grâce à Tonci Zonjic, exceptionnel.


1976. Crimson Fist trouve le repaire de GrimJim. Il affronte ses sbires avec difficulté - Tex Reed sent que l'âge le rattrape et il lui faut appréhender le vilain sans tarder. Mais pourtant une fois sur le point de le neutraliser, celui-ci réussit à lui échapper.


1996. Tex Reed tente de maîtriser GimJim qui a interrompu son meeting de candidat à la mairie de Spyral City. Mais il ne fait plus le poids face à son ennemi que le temps a épargné. Skulldigger intervient alors comme le voit l'orphelin devant la télé qui retransmet l'événement.


Le garçon crochète avec succès la serrure du réduit où l'a enfermé Skulldigger et enfile son costume de Skeleton Boy pour aller l'aider. C'est que le justicier est en fâcheuse posture car GrimJim a réussi à le poignarder au flanc droit et s'apprête à l'exécuter avec un pistolet.


Skeleton Boy évite le drame sous le regard sidéré de la détective Reyes, présente sur place. Dans la confusion qui s'ensuit, GrimJim enlève Tex Reed en s'enfuyant grâce à un hélico et Skeleton Boy évacue Skulldigger en semant Reyes grâce à une grenade phosphorescente.


De retour à leur base, l'orphelin soigne son mentor tout en l'interrogeant sur GrimJim et leur adversité. Skulldigger rechigne à répondre avant d'avouer que le vilain est son père, dont Crimson Fist l'a jadis libéré.

Aucun temps mort dans la narration de Jeff Lemire : l'efficacité avec laquelle il conduit son récit est un modèle du genre et rappelle justement la réflexion récente de Tom King sur la manière dont des auteurs comme Frank Miller dans les années 80 réussissaient à boucler des histoires, devenues des classiques, en peu de numéros alors qu'aujourd'hui la décompression narrative n'est pas toujours bien exploitée.

Je ne veux pourtant pas utiliser Skulldigger + Skeleton Boy pour faire le procès d'une façon de raconter contre une autre, ou fredonner le refrain si facile du "c'était mieux avant". Nous n'avons pas le recul nécessaire pour cerner ce qui pourra devenir des classiques alors que les années 80 nous offrent la distance pour juger ce qui a révolutionné le genre.

Par ailleurs la démarche de Lemire s'inscrit, dans le monde de Black Hammer, dont ce titre est issu, comme un hommage et non comme une vision nostalgique. Il est fascinant d'analyser comment le scénariste recycle des idées, des motifs pour en donner sa version. Il ne copie pas, ne plagie pas non plus, mais joue avec l'Histoire du média.

C'est particulièrement remarquable dans ce troisième numéro où la construction dramatique procède par des effets de miroir, de renvoi. L'action fonctionne en écho entre ce qui s'est passé en 1976 et vingt ans plus tard. Les agissements du Crimson Fist (dont j'aimerai, à l'occasion, lire une mini-série dédiée) ont des répercussions en 1996 quand Tex Reed se présente à la mairie de Spyral City mais aussi dévoilent le passé du Skulldigger. On se doutait bien que les destins de GrimJim, Crimson Fist et le justicier étaient liés mais Lemire orchestre ce chassé-croisé magistralement et surtout cela éclaire d'un jour nouveau la relation avec Skeleton Boy.

Ce n'est pas la première fois que Lemire joue sur la répétition (déjà dans Black Hammer, Lucy succédait à son père, et les manigances de Mme Dragonfly et du colonel Weird réécrivaient les existences de leurs compagnons), mais il maîtrise si bien son affaire qu'on se fait prendre à chaque fois.

Par ailleurs, la série bénéficie d'un traitement visuel exceptionnel grâce à Tonci Zonjic. Ce dernier s'est investi dans la conception graphique en ne laissant rien au hasard : le design du Crimson Fist est fabuleux et la séquence d'ouverture est un morceau de bravoure, une leçon de découpage, toute en simplicité et en efficacité.

Le reste est à l'avenant avec le combat entre Skulldigger et GrimJim, l'évasion de Skeleton Boy, la présence du détective Reyes aux premières loges. Zonjic compose avec tous ces éléments sans jamais égarer le lecteur. Son découpage est exemplaire de lisibilité, on sait toujours où on est, ce qu'il faut regarder, et les compositions de chaque plan mériteraient d'être étudiées par tout aspirant bédétiste.

Quand on est à ce niveau d'excellence, il suffit de se laisser porter. Il n'y a strictement rien à jeter, ça se lit tout seul et en même temps c'est d'une richesse narrative et graphique merveilleuse. C'est très fort. 

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