dimanche 23 septembre 2018

MISTER MIRACLE #11, de Tom King et Mitch Gerads


Dans un mois, ce sera fini. Et, en définitive, on peut se demander s'il n'est pas plus délicat de préparer la conclusion d'une maxi-série du niveau de Mister Miracle, avec ce onzième épisode, que de la terminer - car alors, ce sera de toute façon un quitte ou double (le lecteur comblé ou déçu par le terme). Tom King et Mitch Gerads ont choisi de prendre tous les risques pour cette pénultième étape en proposant un cliffhanger ET un twist qui nous laissent pantois.


Scott et Barda se préparent, avec leur fils Jacob, à aller voir Darkseid qui a exigé la garde du petit contre la fin de la guerre entre Apokolips et New Genesis. Ce qui ne laisse aucun autre choix au couple que d'accepter. Scott emporte avec lui un plateau végétarien.


Desaad reçoit Scott et Barda qui lui remettent Jacob que prend Darkseid. Ce dernier consent à renoncer au rayon oméga qui projette l'équation d'anti-vie en s'arrachant un oeil. Barda le reçoit et l'écrase. Scott demande à pouvoir dire adieu à son fils et il le serre dans ses bras.


C'est le signal pour l'offensive de Barda qui sort de sous la poussette de Jacob la Machine Miracle dont la puissance est telle que rien ne lui résiste et qu'elle pointe sur Darkseid. Il vacille sous la force de frappe de l'engin puis, lentement, se redresse. Il détruit la machine et frappe Barda.


Puis Darkseid s'en prend aussi brutalement à Scott. Mister Miracle est à terre, rampant jusqu'à son fils qui marche à quatre pattes à côté du plateau végétarien. Scott en tire un couteau forgé par Orion, le propre fils de Darkseid, la seule arme capable de le tuer. Ce dernier, blessé mortellement, s'effondre. Scott et Barda se retrouvent, leur fils indemne dans les bras.


Mais un ultime rebondissement survient : sous la capuche de Desaad se cachait en fait Metron, l'explorateur et scientifique suprême des New Gods qui, assis sur le trône de Darkseid, révèle au couple l'image d'un autre monde, d'une autre réalité...


La magie n'existe pas au sens fantaisiste où bien des ouvrages de fiction et des films la montrent, altérant la réalité elle-même. Ce qui existe, c'est l'illusionnisme, la prestidigitation, auxquels on donne le nom de "magie" pour faire rêver le public. Et ce qui en découle, ce sont des "tours" de magie.

Les tours de magie impliquent une mise en scène. C'est ainsi que l'illusionnisme fonctionne. On fait croire au public une chose en attirant son attention d'un côté pour mieux dissimuler ce qui se joue de l'autre. Une fois le tour effectué, la surprise est totale car nous n'avons pas regardé dans la bonne direction.

Ces règles sont celles que Tom King appliquent dans ce onzième et avant-dernier numéro de Mister Miracle où, à bien des égards, il attire notre attention d'un côté pour mieux préparer son tour de l'autre. Ainsi, à la fin de cet épisode, on n'a rien vu venir et la sidération est totale devant le gouffre qui s'ouvre sous les pieds des lecteurs et du héros. La surprise est telle qu'elle remet en question tout ce qui s'est passé depuis le début de la série et rend impossible d'anticiper ce que sera le douzième et dernier chapitre de la maxi-série.

Le tour de King est avant tout une affaire de regard. Et Mitch Gerads le traduit magistralement. Par exemple, vous noterez, presque inconsciemment, que jamais Darkseid (à l'exception d'une unique case) n'est montré intégralement, comme s'il était trop grand pour cela. Et sa présence menaçante, ogresque, terrifiante, s'en trouve soulignée, simplement mais puissamment.

Jusqu'à l'attaque préparée par Barda et Scott contre Darkseid, tout est mis en scène à coups de champs-contre-champs. Et lorsque l'image est en contre-champ, le plan est vue comme si le cadre était inscrit par le champ de vision de Darkseid. Du coup, on voit Scott et Barda de loin, au fond d'une pièce austère (où se déroule tout l'épisode, sauf pour la première page) : le procédé a pour effet, inversement à la mise en scène montrant Darkseid, d'insister sur leur petitesse, leur insignifiance dans l'endroit où ils sont reçus.

King aime, comme souvent, inscrire le fantastique avec le banal, voire le trivial. Darkseid, qu'on n'avait encore pas vu depuis le début de la série, apparaît donc pour la première fois ici, et dans les premiers plans qui lui sont consacrés, il est présenté en gros plan dans une action décalée, en train de croquer des carottes et de les mâcher. Cette tête de pierre, inquiétante, patibulaire, devient presque grotesque eut égard à ce que surprend le personnage dans une situation aussi ordinaire que manger des carottes. C'est à la fois terrifiant (un néo-dieu aux yeux rougeoyants et fumants) et comique (en train de croquer des carottes). 

Gerads continue d'appliquer le "gaufrier" de neuf cases à ses planches mais il en dispose de telle manière cette fois qu'on sent que tout la rigidité de ce découpage est au bord de l'implosion. Par exemple, Darkseid et Desaad tout comme Scott et Barda sont alternativement montrés dans des bandes de trois cases mais qui ne forment qu'un seul plan saucissonné. Et, effectivement, l'avant-dernière page explose littéralement en une double-page, la première depuis celle du premier épisode où on découvrait, médusé, Scott gisant sur le sol de sa salle de bain après s'être ouvert les veines des poignets. Cette image, inoubliable, présageait une fin tragique. Celle de ce numéro augure d'un commencement, tout en transmettant au héros et au lecteur l'impression que la terre s'ouvre sous leurs pieds, avec la révélation d'une vérité incroyable et à la limite du compréhensible.

Pas de doute, tous les fans de Mister Miracle vont se gratter la tête en attendant le dernier épisode après le tour de Metron. Chacun peut l'interpréter à sa manière et je ne veux pas imposer la mienne ici, d'autant que je n'ai pas d'avis tranché sur ce que j'ai lu. Sauf que j'ai été bluffé par cette double-page, somptueuse visuellement et totalement nébuleuse au plan narratif. On peut s'en irriter, comme d'une sorte d'escamotage par King. Mais aussi se régaler de l'énigme qu'elle recèle. Et même, peut-être, du mystère insoluble qu'elle porte.

De toute façon, tout l'épisode est construit et illustré de manière à choquer, non pour choquer gratuitement, mais pour être imprévisible. Lorsque Barda dégaine la Machine Miracle et tire sur Darkseid, hurlant plusieurs fois "Die !" ("Meurs !"), tandis qu'il trébuche, vacille, s'agenouille, puis se redresse, et progresse jusqu'à elle pour la frapper une seule fois très brutalement, nous sommes saisis par ce double coup de théâtre (l'attaque-contre-attaque). Ensuite Darkseid inflige une raclée terrible à Scott et la violence des coups, leur effet sur le visage de Mister Miracle, qui ne fait plus que ramper, brisé, jusqu'à son fils, tout cela est pétrifiant.

Gerads semble alors répéter le même plan sur toute la planche où Scott est au tapis. Mais, insensiblement, on voit que Scott bouge encore, avance, péniblement, douloureusement, jusqu'à Jacob. Ou plutôt vers ce plateau végétarien, dont on se demandait ce qu'il faisait là depuis le début, pourquoi il avait emporté pour cet échange, et qui, en fin de compte, joue un rôle crucial pour terrasser Darkseid. Quelle leçon de narration !

Le spectaculaire coup de théâtre final (ou plutôt la succession de surprises, depuis Metron qui se cachait sous la capuche de Desaad jusqu'à la double-page représentant le DC Univers et les visages hébétés, incrédules, de Scott et Barda, aussi troublés, perturbés, que nous) est un défi que se pose King de manière insensé. Comment finir après ça ?

C'est ce à quoi devra répondre le douzième épisode (comme autant de travaux d'Hercule) pour le baisser de rideau le plus attendu de l'année. Certains ont déjà peur de cette fin et d'une déception. Moi, je suis confiant car King ne m'a pas déçu jusqu'à présent - pourquoi le ferait-il alors ? Mais quoiqu'il en soit, au moment d'ouvrir le prochain fascicule de Mister Miracle, nous aurons tous les mains tremblantes d'émotion. Et cela, combien de comics le procurent aux fans ?   

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