mardi 4 septembre 2018

A BEAUTIFUL DAY, de Lynne Ramsay


Le Festival de Cannes a désormais ceci de particulier que ses jurys décernent des Palmes d'or dont personne ne se souvient quelques mois après alors que les autres prix récompensent des films parfois plus mémorables. C'est le cas de ce A Beautiful Day de Lynn Ramsay qui, après une standing ovation de sept minutes, se vit honorer des prix de la mise en scène et d'interprétation masculine. Assez pour être "le Taxi Driver du XXIème siècle" selon certains critiques ? 

 Joe et sa mère (Joaquin Phoenix et Judith Anna Roberts)

Joe est un mercenaire qu'on paie pour retrouver de jeunes filles enlevées par des trafiquants. Il est connu pour la brutalité de ses méthodes et son efficacité. Pourtant derrière ce colosse barbu, il y a un ancien de l'armée et du F.B.I., traumatisé par la violence infligée par son père contre lui et sa mère, avec laquelle il vit encore, et rongé par des pulsions suicidaires.

Joe

De retour d'une mission, il est remarqué par le fils d'Angel, son intermédiaire avec son pourvoyeur de contrats, John McCleary. Joe rencontre ce dernier et lui fait part de ce problème, risquant de compromettre sa sécurité. Puis il accepte un nouveau job : le sénateur de New York, Albert Votto, offre une grosse récompense à qui sauvera sa fille, Nina, d'un réseau de prostitution infantile.

Joe et Nina (Joaquin Phoenix et Ekaterian Samsonov)

Joe se fournit en matériel - ruban adhésif et marteau - puis se rend au bureau de Votto qui lui révèle où est retenue sa fille et lui demande de châtier durement les ravisseurs. Il reste en planque de longues heures devant un immeuble afin de savoir combien d'hommes sont à l'intérieur, menace un livreur pour apprendre le digicode, et y pénètre. Une fois dans la place, Joe tue plusieurs agents de sécurité, leurs patrons, et récupère Nina.

Joe et Nina

Il emmène la fillette dans un motel où doit les rejoindre Votto. Mais ce sont deux policiers en uniforme qui se présentent. L'un embarque Nina et l'autre tient en respect Joe. Celui-ci le désarme, l'étrangle et s'enfuit. Il se rend chez McCleary qu'il trouve mort, abattu à bout portant. Puis direction le magasin d'Angel, également tué, comme son fils. Joe s'introduit discrètement chez sa mère : elle gît dans son lit, une balle dans la tête. Au rez-de-chaussée, Joe abat un homme et en blesse mortellement un autre qui lui révèle que le gouverneur Williams est à la tête de cette vendetta car Nina est sa "favorite". 

Joe

Joe noie le corps de sa mère dans un lac où il s'enfonce avec elle, les poches lestées de cailloux. Il se laisse couler jusqu'à ce qu'une vision de Nina sombrant dans les eaux noires le fasse sursauter et remonter à la surface.

Joe

Joe attend le gouverneur Williams devant sa permanence en ville et le suit jusqu'à sa propriété. Il tue ses gardes du corps puis s'introduit dans sa luxueuse villa jusqu'à sa chambre. Là, il trouve le politicien égorgé. Joe, désespéré à l'idée que Nina ait disparu, fond en larmes. Il descend jusqu'à la salle à manger où la fillette mange, le rasoir à la lame ensanglantée avec lequel elle a tué Williams à côté d'elle. Joe la prend dans ses bras, soulagé.

Nina et Joe

Plus tard, dans un dinner, Joe a une nouvelle crise d'angoisse et se tire une balle dans la tête. Nina le sort de sa rêverie macabre et lui dit que c'est "une belle journée". Il acquiesce et part avec elle.

Comme ce résumé le montre, le scénario écrit par Lynne Ramsay d'après le roman, You were really never here (le titre original du film également... Mais on se gardera de railler sa "traduction" pour la France car A Beautiful Day renvoie ironiquement à la dernière réplique de l'histoire après le périple violent de Joe et Nina), tient à peu de choses. On est donc loin du chef d'oeuvre de Scorsese, plongée extrême dans la nuit d'un ancien du Vietnam aux motifs christiques. Toutefois, ce long métrage présente ses propres atouts.

Et c'est justement par son minimalisme que le projet séduit. Dans quelle mesure la cinéaste a-t-elle modifié son montage entre la projection cannoise et la sortie en salles à l'Automne dernier ? Seuls qui ont vu le film ces deux fois peuvent le dire. Mais l'objet final est tout sauf confortable et cela colle au sujet.

Ramsay a visiblement voulu faire partager au public une expérience immersive dans la tête de Joe, ce colosse barbu et taiseux, hanté par un passé familial et professionnel traversé de violences. Pour souligner sa confusion et nous la faire ressentir, la réalisatrice s'appuie plus sur la musique de Jonny Greenwood, membre du groupe Radiohead. Multi-instrumentiste et adepte du rock progressif, le compositeur utilise des guitares saturées, des ondes Martenot, des synthétiseurs pour créer des ambiances sonores agressives et troublantes qui font parfois office de dialogues.

Ajoutez à cela les voix fantomatiques qu'entend Joe, ses pulsions suicidaires qui le poussent à s'asphyxier la tête dans du plastique (comme Kevin Garney dans la série The Leftovers) et qui altèrent ensuite son ouïe, les bruits de la ville, le son des coups qu'il inflige à ses adversaires, les détonations des armes à feu... C'est tout un paysage sonore qui accompagne ce trip.

L'intrigue est sommaire et la caractérisation réduite au strict minimum : on ne devine le passé de Joe que par des flash-backs fulgurants et cryptiques, telles des pièces d'un puzzle incomplet que le spectateur doit assembler. Le héros, ombrageux, massif, trimbale sa carcasse usée d'un pas lourd, sa silhouette hante chaque plan, comme celle d'un funambule au-dessus de l'abyme. Ramsay s'appuie sur sa gestuelle, son charisme, son look pour le présenter, comme si son apparence disait l'essentiel sur le personnage. A la fois doux et complice avec sa mère (quand bien même elle doit ignorer son "métier") que brutal et pugnace en action.

On n'en sait pas plus, et même encore moins, sur la petite Nina : la grâce naturelle avec laquelle la jeune Ekaterina Samsonov l'incarne suffit à la désigner comme la victime de prédateurs sexuels immondes jusqu'à ce qu'elle se rebiffe de manière terrible, résumant son enfance souillée définitivement. La scène où Joe la retrouve après la mort du gouverneur Williams en dit très long, sans un mot, sur le soulagement du mercenaire de la savoir en vie et l'affliction qui le dévaste de comprendre qu'elle a dû tuer son agresseur.

C'est dans ces moments-là que le film est le plus intense : des épisodes très brefs et puissants, un coup d'oeil méfiant sur le fils d'Angel, des bonbons qu'on manipule dans le bureau d'un pourvoyeur de contrats qui explique qu'avec la prochaine affaire il pourra enfin mettre son yacht à l'eau, le choix d'un marteau (redoutable arme employée par Joe) dans une boutique, les funérailles impies d'une mère, le suicide imaginaire du tueur dans une cafétéria...

Lynne Ramsay a eu la chance de disposer de l'acteur parfait pour porter son récit. Qui mieux que Joaquin Phoenix pour incarner ce loner barbu et rustre mais aussi capable de tendresse ? L'acteur s'est fait une sorte de spécialité de ce genre de rôles qu'il investit avec une sorte de d'absolutisme confondant. Il est très impressionnant en sous-jouant, exprimant mille émotions avec très peu d'effets. Son corps est un fantastique instrument comme sa gueule. Il y a une force magnétique et une fragilité bouleversante chez ce très grand interprète, boudé dans son propre pays pour ses préférences envers le cinéma d'auteur (à moins que sa prochaine prestation dans le film consacré au Joker, par Todd Phillips et produit par Scorsese, ne change la donne) mais enfin consacré à Cannes.

A Beautiful Day est une oeuvre radicale : c'est à la fois sa première qualité, car elle procure des sensations brutes, et son défaut, car il faut l'accepter comme telle pour l'apprécier. Mais pour qui s'y abandonne, c'est la garantie d'un trip vertigineux.

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