dimanche 2 septembre 2018

CIVIL WAR II, de Brian Michael Bendis et David Marquez (avec Olivier Coipel, Jim Cheung et Andrea Sorrentino)


Civil War II est une saga qui fâche. Allez faire un tour sur les forums consacrés aux comics, vous ne trouverez pas grand-monde pour défendre cet event de 2016, le dernier écrit par Brian Michael Bendis pour Marvel. La faute d'abord à son titre, qui laisse penser (à tort) qu'il s'agit d'une suite à la Civil War de Mark Millar. Mais est-ce vraiment une si mauvaise histoire ? Il est temps de revenir sur cet épineux sujet.


- #0 (dessins de Olivier Coipel.). Ulysse est un étudiant dans l'Etat de L'ohio lorsqu'il est exposé aux brumes terratogènes (libérées par Black Bolt durant la saga Infinity) et qui doit révéler qui parmi la population est un Inhumain. A la même période, Jennifer Walters/She-Hulk défend devant un jury le cas d'un super-vilain récidiviste mais qui a cessé toute mauvaise action. Carol Danvers/Captain Marvel reçoit la visite du Dr. Samson à qui elle confie sa frustration de ne pouvoir faire plus pour protéger des civils innocents. Le client de She-Hulk meurt en prison après avoir été une nouvelle condamné. Ulysse découvre qu'il peut voir le futur grâce à des visions catastrophistes que son entourage peut sentir physiquement.
  

- #1 (dessins de David Marquez.). Quelques semaines plus tard, les Avengers et les Inhumains affrontent le Destructeur Céleste et réussissent à l'éloigner de la Terre. Tony Stark/Iron Man donne une réception pour fêter cette victoire et Carol Danvers/Captain Marvel en profite, grâce à Medusa (la reine des Inhumains), lui présenter celui qui l'a prévenue de cette menace : Ulysse. Stark se montre tout de suite méfiant face ces prédictions qui pourraient mener à une justice préventive et des excès. Trois semaines après, les Inhumains piègent Thanos mais durant la bataille She-Hulk est gravement blessée et War Machine tué. Iron Man en fait porter la faute sur Captain Marvel et se montre résolu à contrecarrer ses prochaines actions.


- Free Comic Book Day : Civil War II (dessins de Jim Cheung.). En utilisant une nouvelle prévision d'Ulysse, qui s'entraîne à les maîtriser avec Karnak des Inhumains, l'équipe des Ultimates menée par Captain Marvel tend une embuscade à Thanos venu sur Terre dérober un cube cosmique dans le complexe du Projet Pegasus. Mais She-Hulk est gravement blessée et War Machine est tuée par le titan.


- #2 (dessin de David Marquez.). Iron Man s'introduit discrètement dans la cité de New Attilan et kidnappe Ulysse en affrontant les Inhumains. Il emmène le jeune homme dans un de ses laboratoires pour l'examiner afin de comprendre comment fonctionne son don divinatoire. Les Inhumains sont sur le pied de guerre mais Captain Marvel convainc Medusa de la laisser raisonner Iron Man. Elle libère Ulysse au moment où il partage une de ses visions dans laquelle Hulk massacre tous les Avengers.


- #3-6 (dessins de David Marquez.). Captain Marvel se rend chez Bruce Banner qui a réussi à ne pas se transformer en Hulk depuis plusieurs mois mais pratique des expériences sur lui-même pour tuer son alter ego. Elle veut l'arrêter mais Iron Man s'y oppose. Le débat est brutalement interrompu lorsque Hawkeye (Clint Barton) tue Banner avant de se rendre, jurant que son ami lui avait demandé de l'abattre s'il risquait de perdre le contrôle de lui-même. La mort de Banner creuse encore un peu plus le fossé entre Danvers et Stark qui l'interroge sur la prochaine victime causée par ses méthodes.


Clint Barton est jugé pour le meurtre de Banner. Au terme de plusieurs interrogatoires, dont ceux de ses partenaires, le jury se retire pour délibérer. Stark en profite pour convoquer Avengers et Inhumains afin de leur expliquer ce qu'il a découvert au sujet des pouvoirs d'Ulysse : celui-ci ne prédit pas le futur mais un futur parmi d'autres, une probabilité certainement influencé par ses émotions et son environnement. Carol Danvers demande une contre-expertise à Hank McCoy/le Fauve, qui confirme la conclusion de Stark. Elle persiste pourtant à vouloir utiliser ces prédictions. Le verdict tombe ensuite : Barton est acquitté !


L'opinion publique salue unanimement le jugement rendu en faveur de Hawkeye, estimant qu'en tuant Banner il a empêché de nouveaux ravages commis par Hulk. Comme promis, et confortée par les sondages, Captain Marvel continue de s'appuyer sur les visions d'Ulysse pour combattre le crime. Jusqu'à ce qu'elle procède à l'arrestation d'une civile accusée de complicité avec l'organisation terroriste HYDRA. Mais aucune preuve ne la relie à ces malfrats. Iron Man agit en organisant l'évasion de la prévenue et défie Captain Marvel au Triskelion, la quartier général des Ultimates et du SHIELD. C'est alors qu'elle abat son joker en appelant les Gardiens de la galaxie à la rescousse.


Une gigantesque bataille oppose les partisans de Captain Marvel à ceux d'Iron Man. L'Alpha Flight, les X-Men et les Inhumains s'en mêlent. La lutte est âpre et disputée, occasionnant surtout des dommages collatéraux, comme la destruction du vaisseau spatial des Gardiens de la galaxie par Vision. Affolé par ce chaos, Ulysse partage alors sa nouvelle prédiction : Spider-Man (Miles Morales) tue Captain America sur les marches du Capitole.


Captain Marvel, droite dans ses bottes, fidèle à son principe pro-actif, veut enfermer Spider-Man mais Captain America estime qu'il n'est pas dangereux et ordonne à Thor (Jane Foster) de l'éloigner. L'équipe d'Iron Man en profite pour s'éclipser grâce au Dr. Strange. Les Gardiens de la galaxie reproche à Captain Marvel la perte de leur vaisseau. Les Inhumains sont désolés. Le SHIELD ordonne l'évacuation du Triskelion menacé d'effondrement. Les X-Men se retirent. Tandis que chacun tente de faire le point, Spider-Man choisit de tester la prévision d'Ulysse en se présentant sur les marches du Capitole. Captain America l'y rejoint et le tranquillise, certain qu'ils ne s'entre-tueront pas. Mais Captain Marvel préfère encore une fois prévenir que guérir et resurgit pour appréhender le jeune super-héros. Et à nouveau Iron Man s'interpose...


- #7 (dessins de David Marquez, avec la participation d'Andrea Sorrentino) & #8 (avec la participation de Adam Kubert, Leinil Yu, Daniel Acuña, Alan Davis, Rod Reis, Mark Bagley et Esad Ribic.). Ulysse voit son pouvoir croître et se dérégler au point d'être expédié dans le futur où il croise Old Man Logan. Il l'interroge sur l'état dévasté de la Terre et le mutant lui explique que c'est la conséquence du dernier affrontement entre Iron Man et Captain Marvel. Excédée, Captain Marvel affronte en duel Iron Man, quitte à l'arrêter. Ils se rendent coup pour coup dans un déchaînement de violence. Prévenue par Medusa des conséquences de cette bataille, Maria Hill, la directrice du SHIELD ordonne alors aux Ultimates et à l'Alpha Flight d'y mettre fin. Ulysse accède à un nouveau plan existentiel et rejoint le panthéon des plus puissantes entités cosmiques, accueilli par Eternité. Captain Marvel ne retient plus ses assauts et éventre l'armure d'Iron Man (comme Thanos l'avait fait contre War Machine). Ayant anticipé sa probable défaite, Tony Stark s'eest placé en animation suspendue. Carol Danvers est reçue par le Président des Etats-Unis qui lui confie la Sécurité Nationale, poste qu'il avait offert à James Rhodes (War Machine).

Il est bien difficile de savoir précisément ce que reprochent ses détracteurs à cette histoire quand on l'évoque avec eux en vérité. Les anti-Bendis, pas forcément majoritaires mais plus bruyants que ses supporteurs, visent surtout le scénariste honni mais sans trop détailler ce qu'il aurait mal fait ici.

Comme je l'avançais en préambule, Marvel a sans doute commis une erreur en intitulant cette saga Civil War II, induisant qu'il s'agissait d'une suite directe à la première Guerre Civile écrite par Mark Millar. On y retrouve bien un affrontement entre super-héros, mais cependant le conflit oppose surtout Captain Marvel et Iron Man et pas tellement deux camps de justiciers. Par ailleurs, le récit de Millar était une charge contre le "Patriot Act" de l'administration de George Bush Jr. et l'atteinte portée aux libertés individuelles par une loi visant à soupçonner n'importe qui de terrorisme au lendemain des attentats du 11-Septembre 2001 en ayant recours à des méthodes invasives. Millar transformait cela en obligation pour les surhommes masqués de s'enregistrer auprès des autorités, donc à dévoiler leur identité secrète.

Ici, le noeud de l'intrigue concerne les visions d'un jeune Inhumain et leur fiabilité pour agir avant qu'un crime soit commis. On n'est pas loin de Minority Report, le texte de Philip K. Dick adapté au cinéma par Steven Spielberg. Iron Man prouve que les prédictions d'Ulysse déterminent un futur et non pas le futur, ce qui sème le trouble et divise la communauté super-héroïque. Captain Marvel choisit pourtant de continuer à s'y fier, estimant qu'une marge d'erreur est compensée par les résultats globaux obtenus grâce à ces visions.

En tant que "futuriste", Tony Stark expose très bien sa position : il pense qu'on peut améliorer les prévisions de l'avenir et éviter des catastrophes, mais il refuse de s'appuyer uniquement sur les divinations d'un jeune homme qu'il pense trop influencé par la découverte récente de son pouvoir et son nouvel environnement au sein des Inhumains, personnages qui vivent en marge de la société, dans un régime monarchique strict (et sans le souci de s'intégrer comme les X-Men).

En tant que militaire, Carol Danvers veut d'abord oeuvrer pour la protection civile et si cela doit s'appuyer sur des pronostics aléatoires, qu'importe car il vaut mieux prévenir que guérir. Au début de l'histoire, l'héroïne agit avec les meilleures intentions du monde. La perte de son amant, James Rhodes/War Machine (qui est aussi le meilleur ami de Stark/Iron Man), la fait provisoirement douter avant de la radicaliser, convaincue que ce dernier aurait approuvé ses méthodes.

Captain Marvel ne sort pas grandie, même si elle gagne la partie finalement, de cette saga. Son absolutisme, sa rigidité, sa violence ne suscitent guère la compassion. En ce sens, Civil War II restaure au contraire la réputation d'Iron Man, qui passait pour le "méchant" de la première Civil War. On peut convenir du fait que Bendis donne le beau rôle à Stark dont il avait fait un éphémère membre des Gardiens de la galaxie et dont il était alors l'auteur de sa série (le retour de Stark en tant qu'Iron Man lui fournira même l'essentiel de la matière de sa dernière histoire pour Marvel, après avoir intronisé Riri Williams/Iron Heart et l'Infamous Iron Man). Mais dans le cadre de cette saga, les deux adversaires sont logiquement décrits et le crescendo dramatique de l'intrigue est justement développé.

Comme toujours dans ce genre d'events, il y a beaucoup de monde et peu de personnages surnagent. Bendis donne de belles scènes à sa création Miles Morales/Spider-Man, à Captain America (dont personne ne savait alors qu'il était remplacé par un agent de l'HYDRA - ce qui conduira à Secret Empire en 2017). Néanmoins, le scénariste a le mérite d'impliquer tout le monde : X-Men, Inhumains, Gardiens de la galaxie, Avengers, Ultimates, Alpha Flight. Peu de sagas ont réussi à convoquer tous ces héros autour d'un thème commun (et si les Fantastic Four n'avaient été écartés des stands à cette époque, il aurait été intéressant de savoir de quel côté se serait rangé un Reed Richards alors que Ben Grimm faisait partie des Gardiens de la galaxie. Pour les mutants, on voit bien que la situation embarrasse Kitty Pryde, alors aux côtés de Peter Quill/Star-Lord qui soutient Carol Danvers.).

Visuellement, Civil War II est gâté : depuis le le numéro 0 dessiné par Olivier Coipel en passant par l'exemplaire du Free Comic Book Day par Jim Cheung et les participations d'Andrea Sorrentino et de plusieurs guests lors du #8, on en prend plein la vue, avec des épisodes dépassant souvent les trente pages. David Marquez s'acquitte du reste sans faillir, même si la profusion des personnages l'oblige à sacrifier souvent les décors, faute de temps. Il n'empêche, la régularité du jeune artiste, l'efficacité et la finesse de son trait, ses compositions parfois hardies ont prouvé qu'il avait la carrure d'un grand.

En dressant, le plus objectivement possible, les plus et les moins de cette production, alors que je suis clément avec Bendis, mais pas aveugle, je ne comprends guère plus ce qu'on reproche à cette saga, dont les thèmes, la caractérisation, la progression, et l'issue sont captivants, quoique encombrés par son casting XXL (alors même que le conflit oppose surtout deux personnages).

En fin de compte, j'y vois une conséquence de la lassitude des events chez certains lecteurs. Quand bien même ces grandes réunions de super-héros connaissent toujours de belles ventes, vitales même pour les éditeurs dans un marché en crise. Bendis sert-il du coup de tête de turc à ceux qui sont insupportés par ce procédé ?  Peut-être. Mais alors il faudrait s'interroger sur la pertinence de se passer les nerfs sur un auteur qui a écrit une histoire solide et sanctionner ces récits saisonniers en refusant de les acheter. Mais cela, les fans préféreraient tout plutôt que de s'y résoudre...

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