LES TOURS DE BOIS-MAURY : BABETTE est le premier tome de la série créée, écrite et dessinée par Hermann, publié en 1984 par les éditions Glénat.
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Au XIIème siècle, en plein Moyen-Âge, le chevalier Aymar de Bois-Maury parcourt, en compagnie de son écuyer Olivier, la France pour regagner son château (dont les tours seraient les "plus belles et les plus hautes du monde"), d'où il a été chassé.
Les deux hommes sont actuellement les invités de Messire Eudes, en attendant de repartir pour participer à divers tournois sur leur route.
C'est alors qu'une jeune paysanne du domaine est violée par Geoffroy, le fils aîné de Eudes, avant qu'on le retrouve mort, sa lance plantée dans le corps. Le maçon Germain, qui participe à l'édification d'une cathédrale voisine, est soupçonné parce qu'il était l'amant de Babette, mais Aymar ne croit pas à sa culpabilité.
Le frère cadet de Geoffroy mutile le maçon avant de défier Aymar, dont il ne supporte pas l'attitude. Le chevalier tue le dernier fils de son hôte et doit partir ensuite. Quant à Germain, il essaie de retrouver une place sur un chantier, puis entre au service d'une lingère, avant de retrouver une bande de forains voleurs qui lui offre le gîte et le couvert...
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LES TOURS DE BOIS-MAURY : ELOÏSE DE MONTGRI est le deuxième tome de la série créée, écrite et dessinée par Hermann, publié en 1985 par les éditions Glénat.
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Une bande de pillards, emmené par leur inquiétant chef qui dissimule son visage sous un masque et une peau de mouton, sème la terreur dans le pays de Caulx en pénétrant dans les châteaux avec un troupeau. Partout où ils violent, volent, tuent, incendient.
Aymar de Bois-Maury et Olivier croisent le brigand sans se douter de ses activités puis rencontrent ses dernières victimes. C'est alors que surgit Eloïse de Montgri, venue de Catalogne, à la poursuite des malfrats, et qui convainc le chevalier de les aider, elle et ces gens, de se venger.
Mais la jeune femme, aussi belle que redoutable, a un contentieux encore plus ancien avec le chef des pillards...
La relecture de Comanche m'a donné envie d'enchaîner avec celle des Tours de Bois-Maury, un projet autour duquel je tournais depuis quelque temps sans trouver le temps de m'y consacrer. Mais dans ce cas comme le précédent, me replonger dans une série qui m'a marqué lorsque j'étais plus jeune m'a motivé. Il est toujours tentant de confronter ses souvenirs, surtout quand ils sont favorables, avec un regard plus tardif : l'occasion de tester la qualité d'une bande dessinée.
Si je n'aime guère (passés les premiers tomes) Jérémiah, l'autre série-phare de Hermann comme auteur complet, Les Tours de Bois-Maury sont toujours aussi impressionnants : le projet fut d'abord accepté par l'éditeur yougoslave Strip Art Features avant d'être repris par les éditions Jacques Glénat, c'est ainsi que le titre devient un des fleurons de la revue "Vécu" pendant des années.
Le dépaysement est assuré avec cette saga qui se déroule durant le Haut Moyen-Âge, même si Hermann ne précise pas exactement l'année où l'histoire commence.
L'Europe comptait moins de 50 millions d'habitants alors, et la première croisade allait opposer à partir de 1096 les turcs seldjoukides aux pèlerins chrétiens auxquels était refusé le libre passage vers Jérusalem. En 1150 Thierry d'Alsace finit par ramener de la ville sainte la relique du Saint-Sang du Christ, après la deuxième croisade entamée en 1146.
De 1136 à 1155, la légende du Roi Arthur prit forme, tandis que la société médiévale se transformait grâce à de nouvelles codifications des usages et obligations (en faveur des dépendants) mais aussi aux progrès techniques (la fertilisation des terres avec la récolte des fruits, les moissons, la culture des vignes, des prés, des pâtures, et l'élevage des moutons et des vaches grâce à l'apparition des harnais, de l'étrier, de la charrue à roues).
C'était aussi le temps des cathédrales, avec l'invention d'engins de levage sur les chantiers, et la participation active des francs-maçons (qui "signèrent" bien des bâtiments).
La bande dessinée d'Hermann a de toute évidence été très documentée, mais l'auteur a su digérer toutes ces informations pour éviter de produire une oeuvre scolaire. Le résultat, c'est que Les Tours de Bois-Maury est un projet où la reconstitution passe davantage par la représentation visuelle, avec des décors incroyablement réalistes, des ambiances d'une authenticité puissante, des personnages d'une vérité troublante, que par le texte. On est dans une expérience sensible, où le lecteur est immergé dans un monde évoqué avec une richesse et une fluidité exceptionnelles.
Ces deux premières aventures montrent aussi que l'originalité du propos tient au traitement des protagonistes : Aymar de Bois-Maury et son écuyer Olivier sont moins les héros au sens de premiers rôles que les participants à des histoires dont les vrais acteurs sont souvent à la marge du récit. Ainsi, Babette connaît un sort tragique et rapide mais qui va impacter toute une galerie d'individus tout aussi dramatiquement (la confrontation entre le deuxième fils de Messire Eudes et Aymar, la punition infligée à Germain - pourtant innocent mais soumis au "jugement de Dieu", consistant à lui brûler une main qui si elle n'était pas guérie au bout de trois jours prouvait sa culpabilité - , les rapines d'une petite troupe de forains).
Hermann procède avec son scénario comme avec un fait divers dont il nous expose ensuite les conséquences sur une toute une communauté. C'est encore le cas avec Eloïse de Montgri, même si, là, la construction est plus classique, avec un prétexte plus convenu (la vengeance - celle d'Eloïse, mais aussi celle de Basile de Caulx, des gueux qui suivent l'héritier de leur seigneur et ceux qui se volent entre eux pour survivre, ou encore du vieillard qui veut qu'on épargne sa poule Aldegonde). Aymar et Olivier font d'abord connaissance avec le méchant de l'histoire sans savoir qui il est, puis le chevalier hésite à s'engager dans l'expédition punitive de ses victimes (une nuit d'amour avec Eloïse le fera revenir sur sa décision).
L'auteur maîtrise toute son entreprise avec une maestria éblouissante et on finit ces deux premiers tomes avec le souvenir d'images fulgurantes, d'une beauté à couper le souffle, dessinées d'un trait de plume d'une finesse sensationnelle : Hermann use de croisillons, de hachures, de points, qui restituent fantastiquement le crépitement d'un feu, la sauvagerie de la nature, le tapis des herbes folles, la boue des chemins.
Maître en matière de scènes nocturnes, il produit également des vignettes impressionnantes, comme la prise du château de Caulx, un repas sous un pont, l'assaut d'une grotte.
Les décors sont aussi dignes de gravures, comme cette vue en plongée de la cathédrale où travaille Germain quand le fils de messire Eudes vient l'arrêter : une pleine page qui rappelle à quel point Hermann est génial pour capturer un lieu en un seul plan d'envergure. Plus loi, au terme du duel opposant Aymar au second fils de Eudes, il utilise le même angle de vue pour figer la scène, en dessinant chaque pierre (!) d'un mur d'enceinte à l'intérieur du château.
Les personnages se prêtent plus que dans n'importe quelle autre série de son artiste à son goût pour les trognes : Aymar n'est, par exemple, pas un bellâtre, mais un chevalier d'âge déjà mûr, à la physionomie crédible. Mais le dessin peut aussi révéler toute la beauté d'un visage de femme comme lorsque apparaît Eloïse de Montgri, avec ses cheveux courts mais ses traits si fins. Et Hermann réussit aussi à créer une créature inquiétante, à la limite du fantastique, quand il représente le chef des pillards, dont la cape en peau de mouton et la tête ornée de cornes en font une silhouette inoubliable.
Les couleurs de Fraymond finissent d'envoûter, avec une palette aux nuances délicates (admirez comment il traite un cour d'eau, un prés : il sublime réellement l'imagerie si élaborée de Hermann).
Plus de trente après, Les Tours de Bois-Maury ont bel et bien gardé toute leur magie.
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